Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 24 septembre 2025, 24-16.960, Inédit

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Résumé

Apport de la jurisprudence : Accident de trajet / Accident du travail

Les dispositions de l'article L. 1226-14 du Code du travail relative à l'indemnité compensatrice de préavis et l'indemnité spéciale de licenciement ne s'appliquent pas au salarié victime d'un accident de trajet.

Cass.Soc., 24 septembre 2025, n° 24-16.960

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

JL10



COUR DE CASSATION
______________________


Arrêt du 24 septembre 2025




Cassation partielle


Mme CAPITAINE, conseillère doyenne
faisant fonction de présidente



Arrêt n° 874 F-D

Pourvoi n° F 24-16.960



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 24 SEPTEMBRE 2025

La Mutualité française des Pyrénées-Atlantiques, dont le siège est [Adresse 1], anciennement dénommée Mutualité 64, a formé le pourvoi n° F 24-16.960 contre l'arrêt rendu le 27 juillet 2023 par la cour d'appel de Pau (chambre sociale), dans le litige l'opposant à M. [D] [J], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.

M. [J] a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.

Le demandeur au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Ménard, conseillère, les observations écrites de la SCP Waquet, Farge, Hazan et Féliers, avocat de la Mutualité française des Pyrénées-Atlantiques, de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [J], après débats en l'audience publique du 8 juillet 2025 où étaient présentes Mme Capitaine, conseillère doyenne faisant fonction de présidente, Mme Ménard, conseillère rapporteure, Mme Lacquemant, conseillère, et Mme Aubac, greffière de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des présidente et conseillères précitées, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 27 juillet 2023), M. [J] a été engagé en qualité de chirurgien dentiste le 4 janvier 2001 par la Mutualité française des Pyrénées-Atlantiques.

2. Le 17 novembre 2016, le salarié a été victime d'un accident de trajet, pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie au titre de la législation des risques professionnels et a été reconnu travailleur handicapé par décision du 14 septembre 2017 puis a été placé en arrêt de travail à compter du 5 décembre 2018.

3. Déclaré inapte à son poste le 27 août 2019 avec impossibilité de reclassement, il a été licencié pour inaptitude le 26 septembre 2019 et a saisi la juridiction prud'homale de demandes au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal de l'employeur

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le second moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que l'inaptitude est d'origine professionnelle et que le licenciement est nul, et de le condamner au paiement de dommages-intérêts pour licenciement nul, d'un reliquat d'indemnité de licenciement, d'une indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, alors « que la protection instaurée par le code du travail en faveur des salariés licenciés pour inaptitude d'origine professionnelle ne s'applique pas au salarié dont l'inaptitude est la conséquence immédiate ou indirecte d'un accident de trajet seulement pris en charge au titre de la législation professionnelle ; en considérant que l'inaptitude de M. [J], constatée par le médecin du travail après une période d'arrêts de travail pour maladie depuis le 5 décembre 2018, avait au moins pour partie une origine professionnelle, résultant de "l'accident de trajet de 2016 reconnu d'origine professionnelle" quand elle avait par ailleurs retenu que "le 17 novembre 2016, à l'âge de 52 ans, M. [D] [J] a été victime d'un accident de trajet ? de la voie publique à moto" et que "par décision du 6 décembre 2016 la caisse primaire d'assurance maladie de Pau a pris en charge cet accident au titre de la législation sur les risques professionnels", la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations desquelles il résultait que le 17 novembre 2016, M. [J] avait été victime non pas d'un accident du travail mais d'un accident de trajet de sorte que l'inaptitude qui s'en était suivie ne pouvait pas être reconnue d'origine professionnelle, a violé les articles L. 1226-10 et L1226-14 du code du travail, ensemble, les articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de la sécurité sociale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1226-7, alinéa 1, et L1226-14 du code du travail :

6. Aux termes du premier de ces textes, le contrat de travail du salarié victime d'un accident du travail, autre qu'un accident de trajet, ou d'une maladie professionnelle est suspendu pendant la durée de l'arrêt de travail provoqué par l'accident ou la maladie.

7. Selon le second, la rupture du contrat de travail lorsque le salarié ne peut être reclassé ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis prévue à l'article L. 1234-5 ainsi qu'à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité prévue par l'article L. 1234-9.

8. Pour condamner l'employeur au paiement de sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents et de reliquat d'indemnité de licenciement, l'arrêt retient, après avoir constaté que le salarié avait été victime d'un accident de trajet alors qu'il conduisait une moto le 17 novembre 2016 et qu'il s'en était suivi un handicap physique au niveau des épaules, que celui-ci a été placé en arrêt de travail à compter du 5 décembre 2018 jusqu'à son licenciement pour inaptitude et que si cet arrêt n'a pas été considéré par la caisse primaire d'assurance maladie comme une rechute de l'accident de trajet de 2016, il n'en demeure pas moins que les douleurs se sont manifestées au niveau de l'épaule gauche et que les différents arrêts de travail postérieurs, continus, établis par le médecin généraliste puis par le médecin psychiatre, retiennent des douleurs physiques et des troubles anxieux ou instabilité émotionnelle.

9. L'arrêt en déduit que l'inaptitude du salarié a, au moins partiellement, pour origine un caractère professionnel.

10. En statuant ainsi, alors que les dispositions de l'article L1226-14 du code du travail ne s'appliquent pas au salarié victime d'un accident de trajet, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le moyen du pourvoi incident du salarié

Enoncé du moyen

11. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande des congés payés acquis pendant son arrêt maladie, alors « qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, n'opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d'un congé de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période ; qu'il s'ensuit que, s'agissant de travailleurs en congé maladie dûment prescrit, le droit au congé annuel payé conféré par cette directive à tous les travailleurs ne peut être subordonné par un État membre à l'obligation d'avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit État ; que s'agissant d'un salarié, dont le contrat de travail est suspendu par l'effet d'un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle, les dispositions de l'article L3141-3 du code du travail, qui subordonnent le droit à congé payé à l'exécution d'un travail effectif, ne permettent pas une interprétation conforme au droit de l'Union européenne ; que dès lors, le litige opposant un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité de particulier, il incombe au juge national d'assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection juridique découlant de l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de garantir le plein effet de celui-ci en laissant au besoin inappliquée ladite réglementation nationale ; qu'il convient en conséquence d'écarter partiellement l'application des dispositions de l'article L3141-3 du code du travail en ce qu'elles subordonnent à l'exécution d'un travail effectif l'acquisition de droits à congé payé par un salarié dont le contrat de travail est suspendu par l'effet d'un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle et de juger que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L3141-3 et L3141-9 du code du travail ; que pour débouter le salarié de sa demande en paiement de droits à congés pendant la période d'arrêt maladie, la cour d'appel a retenu, par motifs propres, que la directive européenne 2003/88/CE ne pouvant permettre, dans un litige entre des particuliers, d'écarter les effets d'une disposition de droit national contraire, le salarié ne pouvait prétendre au paiement d'une indemnité compensatrice au titre d'une période de suspension du contrat de travail pour maladie non professionnelle laquelle ne relevait pas de l'article L3141-5 du code du travail et, par motifs adoptés, que l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne n'ayant pas été ratifié par le législateur français, il ne pouvait s'appliquer en droit français ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et les articles L3141-3 et L3141-5 du code du travail, ce dernier dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et les articles L3141-3 et L3141-5 du code du travail, ce dernier dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024 :

12. Aux termes du premier de ces textes, tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu'à une période annuelle de congés payés.

13. Aux termes du deuxième, le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur.

14. Selon le troisième, sont considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé, les périodes, dans la limite d'une durée ininterrompue d'un an, pendant lesquelles l'exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle.

15. Le droit au congé annuel payé constitue un principe essentiel du droit social de l'Union (CJUE, 6 novembre 2018, Stadt Wuppertal c/ Bauer, C-569/16 et Willmeroth c/ Broßonn, C-570/16, point 80).

16. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, n'opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d'un congé de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période. Il s'ensuit que, s'agissant de travailleurs en congé maladie dûment prescrit, le droit au congé annuel payé conféré par cette directive à tous les travailleurs ne peut être subordonné par un Etat membre à l'obligation d'avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit Etat (CJUE, 20 janvier 2009, Schultz-Hoff, C-350/06, point 41 ; CJUE, 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10, point 20).

17. La Cour de justice de l'Union européenne juge qu'il incombe à la juridiction nationale de vérifier, en prenant en considération l'ensemble du droit interne et en faisant application des méthodes d'interprétation reconnues par celui-ci, si elle peut parvenir à une interprétation de ce droit permettant de garantir la pleine effectivité de l'article 7 de la directive 2003/88/CE et d'aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par celle-ci (CJUE, 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10).

18. Par arrêt du 6 novembre 2018 (Stadt Wuppertal c/ Bauer, C-569/16 et Willmeroth c/ Broßonn, C- 570/16), la Cour de justice de l'Union européenne a jugé qu'en cas d'impossibilité d'interpréter une réglementation nationale de manière à en assurer la conformité avec l'article 7 de la directive 2003/88/CE et l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux, la juridiction nationale doit laisser ladite réglementation nationale inappliquée. La Cour de justice de l'Union européenne précise que cette obligation s'impose à la juridiction nationale en vertu de l'article 7 de la directive 2003/88/CE et de l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux lorsque le litige oppose un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité d'autorité publique et en vertu de la seconde de ces dispositions lorsque le litige oppose le bénéficiaire à un employeur ayant la qualité de particulier.

19. La Cour de cassation a jugé que la directive 2003/88/CE ne pouvant permettre, dans un litige entre des particuliers, d'écarter les effets d'une disposition de droit national contraire, un salarié ne peut, au regard de l'article L3141-3 du code du travail, prétendre au paiement d'une indemnité compensatrice de congés payés au titre d'une période de suspension du contrat de travail ne relevant pas de l'article L3141-5 du code du travail (Soc., 13 mars 2013, n° 11-22.285, Bull. V, n° 73).

20. S'agissant d'un salarié, dont le contrat de travail est suspendu pour une cause de maladie ne relevant pas de l'article L3141-5 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024, le droit interne ne permet pas une interprétation conforme au droit de l'Union.

21. Dès lors, le litige opposant un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité de particulier, il incombe au juge national d'assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection juridique découlant de l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de garantir le plein effet de celui-ci en laissant au besoin inappliquée ladite réglementation nationale.

22. Il convient en conséquence d'écarter partiellement l'application des dispositions de l'article L3141-3 du code du travail en ce qu'elles subordonnent à l'exécution d'un travail effectif l'acquisition de droits à congé payé par un salarié dont le contrat de travail est suspendu par l'effet d'un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle et de juger que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L3141-3 et L3141-9 du code du travail.

23. Pour rejeter la demande en paiement de droits à congés pendant la période d'arrêt maladie, l'arrêt rappelle que l'arrêt de travail du 5 décembre 2018 n'a pas été reconnu d'origine professionnelle et que l'article L3141-5 qui précise les périodes considérées comme étant de travail effectif pour la détermination du droit à congé n'assimile pas à des périodes de travail effectif les périodes de maladie non professionnelle.

24. Il retient ensuite que la directive 2003/88/CE ne pouvant permettre, dans un litige entre des particuliers, d'écarter les effets d'une disposition de droit national contraire, un salarié ne peut prétendre au paiement d'une indemnité compensatrice au titre d'une période de suspension du contrat de travail pour maladie non professionnelle.

25. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

26. Le second moyen du pourvoi principal ne formulant aucune critique contre les motifs de l'arrêt fondant la décision de dire le licenciement nul et de condamner l'employeur à payer au salarié des dommages-intérêts pour licenciement nul, la cassation ne peut s'étendre à ces dispositions de l'arrêt qui ne sont pas dans un lien de dépendance avec les dispositions de l'arrêt critiquées par ce moyen.

27. La cassation des chefs de dispositif relatifs à l'indemnité compensatrice de préavis, au reliquat d'indemnité de licenciement et aux congés payés durant l'arrêt de travail n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la Mutualité française des Pyrénées-Atlantiques à payer à M. [J] les sommes de 55 555,72 euros à titre de reliquat d'indemnité de licenciement, 30 612,33 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 3 061,23 euros au titre des congés payés afférents et en ce qu'il déboute M. [J] de sa demande au titre des congés payés acquis pendant son arrêt maladie, l'arrêt rendu le 27 juillet 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;

Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le vingt-quatre septembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.