Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 8 octobre 2025, 23-23.501, Publié au bulletin

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Résumé

Apport de la jurisprudence : Transaction / Nullité / Prescription quinquennale

L’action en nullité d’une transaction conclue entre un salarié et son employeur, qu’elle porte sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail, constitue une action personnelle soumise au délai de prescription de droit commun de 5 ans (art. 2224 C. civ.) et non aux délais abrégés prévus par le Code du travail. Ainsi, un salarié peut contester une transaction entachée d’un vice du consentement ou d’un déséquilibre manifeste pendant 5 ans à compter du jour où il a eu connaissance des faits, même si la transaction a été conclue avant la rupture du contrat.

Cass. soc., 8 octobre 2025, n° 23-23.501

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

HE1



COUR DE CASSATION
______________________


Arrêt du 8 octobre 2025




Cassation


M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 920 FS-B

Pourvoi n° V 23-23.501




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 OCTOBRE 2025

Mme [F] [N], domiciliée [Adresse 4], a formé le pourvoi n° V 23-23.501 contre l'arrêt rendu le 21 septembre 2023 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-4), dans le litige l'opposant :

1°/ à l'établissement public Pôle emploi, dont le siège est [Adresse 1], devenu établissement public France travail,

2°/ à l'établissement public Pôle emploi Grand Est, dont le siège est [Adresse 3], devenu établissement public France travail Grand Est,

3°/ à l'établissement public Pôle emploi PACA APE [Localité 5], dont le siège est [Adresse 2], devenu établissement public France travail PACA APE [Localité 5],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Chiron, conseiller référendaire, les observations de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme [N], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat des établissement publics France travail, France travail Grand Est, France travail PACA APE [Localité 5], l'avis écrit de Mme Roques, avocate générale référendaire et l'avis oral de Mme Wurtz, première avocate générale, après débats en l'audience publique du 9 septembre 2025 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Chiron, conseiller référendaire rapporteur, Mme Capitaine, conseillère doyenne, Mmes Degouys, Lacquemant, Nirdé-Dorail, Palle, Ménard, Filliol, conseillères, Mmes Valéry, Pecqueur, M. Leperchey, conseillers référendaires, Mme Wurtz, première avocate générale, et Mme Piquot, greffière de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, du président et des conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 21 septembre 2023), Mme [N] a été engagée en qualité de conseillère le 23 juin 2008 par l'Assedic Côte d'Azur, avec une reprise d'ancienneté au 8 mars 2007.

2. Son contrat de travail a été transféré à Pôle emploi, devenu France travail.

3. Le 29 mai 2015, elle a conclu avec l'employeur une transaction aux termes de laquelle ce dernier a accepté de lui verser une certaine somme réparant son préjudice professionnel, psychologique et moral se rapportant notamment aux conditions de travail et d'exécution de son contrat de travail, la salariée se déclarant « parfaitement remplie de tous ses droits actuels ou futurs, indemnité quelconque comme conséquence de l'exécution de son contrat de travail à ce jour, tout compte pouvant exister entre les parties à ce titre étant considéré comme définitivement et irrévocablement apuré entre les parties au moment du paiement ».

4. La salariée a saisi le 8 juin 2018 la juridiction prud'homale aux fins d'annulation de la transaction et paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral, manquement à l'obligation de sécurité et exécution déloyale du contrat de travail.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La salariée fait grief à l'arrêt d'accueillir la fin de non-recevoir tirée de la prescription opposée à la demande de nullité de la transaction du 29 mai 2015, de la déclarer irrecevable comme prescrite en sa demande de nullité de la transaction et de déclarer irrecevables les demandes de paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral, manquement à l'obligation de sécurité et exécution déloyale du contrat de travail, alors « que l'action en nullité d'une transaction est soumise à la prescription quinquennale de droit commun prévue à l'article 2224 du code civil ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevable comme prescrite la demande de nullité de la transaction du 29 mai 2015, que cette demande était soumise au délai de prescription de deux ans de l'article L1471-1 du code du travail, la cour d'appel a violé, par refus d'application, le premier de ces textes et, par fausse application, le second. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2224 du code civil et L1471-1 , alinéa 1er du code du travail, le second dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 :

6. Aux termes du premier de ces textes, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

7. Aux termes du second, toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

8. Il résulte de la combinaison de ces textes que l'action aux fins de nullité d'une transaction ayant mis fin à un litige relatif à l'exécution ou à la rupture du contrat de travail revêt le caractère d'une action personnelle et relève de la prescription de l'article 2224 du code civil.

9. Pour déclarer irrecevable comme prescrite la demande de la salariée en nullité de la transaction du 29 mai 2015, l'arrêt retient que pour déterminer le délai de prescription applicable à l'action en nullité d'une transaction qui a pour objet l'exécution d'un contrat de travail, il convient d'écarter les dispositions de l'article 2224 du code civil fixant un délai de prescription de cinq ans et de faire application des dispositions spéciales de l'article L1471-1 , alinéa 1er, du code du travail et que l'action en nullité de la transaction qui a pour objet l'exécution d'un contrat de travail est soumise au délai de prescription de deux ans.

10. L'arrêt relève ensuite que l'employeur et la salariée ont conclu une transaction le 29 mai 2015 dont l'objet repose sur l'exécution du contrat de travail et retient que la salariée, qui a disposé d'un délai de deux ans pour agir en nullité de la transaction qui a expiré le 29 mai 2017 et a saisi le conseil de prud'hommes le 8 juin 2018 d'une demande de nullité de la transaction, se trouve prescrite en sa demande.

11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé, par refus d'application, le premier des textes susvisés et, par fausse application, le second.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 septembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;

Condamne France travail aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne France travail à payer à Mme [N] la somme de 3 000 euros et rejette toute autre demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le huit octobre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.