Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 8 octobre 2025, 24-13.962, Publié au bulletin

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Résumé

Apport de la jurisprudence : CDD / Rupture / Force majeure

Sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l'échéance du terme qu'en cas de faute grave, de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du travail. Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur.

Cass.soc., 8 octobre 2025, n° 24-13.962

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

CZ



COUR DE CASSATION
______________________


Arrêt du 8 octobre 2025




Rejet


M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 933 FS-B

Pourvoi n° X 24-13.962




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 OCTOBRE 2025

La société Sysco France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° X 24-13.962 contre l'arrêt rendu le 26 octobre 2023 par la cour d'appel de Rouen (chambre sociale et des affaires de sécurité sociale), dans le litige l'opposant à Mme [T] [P], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Flores, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Sysco France, et l'avis de Mme Molina, avocate générale référendaire, après débats en l'audience publique du 10 septembre 2025 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Flores, conseiller rapporteur, Mme Monge, conseillère doyenne, Mmes Cavrois, Deltort, Le Quellec, conseillères, Mmes Thomas-Davost, Laplume, Rodrigues, Segond, conseillères référendaires, Mme Molina, avocate générale référendaire, et Mme Jouanneau, greffière de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, du président et des conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 26 octobre 2023), Mme [P] a été engagée en qualité de gestionnaire crédit client par la société Sysco France par contrat de travail à durée déterminée du 20 janvier au 31 décembre 2020.

2. Le 19 mars 2020, l'employeur a notifié à la salariée la rupture du contrat de travail pour force majeure.

3. Le 3 août 2020, la salariée a saisi la juridiction prud'homale d'une demande au titre de la rupture de son contrat de travail.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la salariée certaines sommes au titre des salaires jusqu'au terme du contrat et d'indemnité de précarité, alors :

« 1° / que sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l'échéance du terme qu'en cas de faute grave, de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du travail ; qu'il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur ; qu'il résulte des propres constatations de la cour d'appel que lui était extérieur et n'était pas prévisible pour l'employeur lors de la signature du contrat à durée déterminée de la salariée le 14 janvier 2020, l'évènement de situation sanitaire exceptionnelle liée à la pandémie de Covid 19 ayant entrainé la décision gouvernementale consécutive du 14 mars 2020, de fermeture jusqu'à nouvel ordre de tous les lieux recevant du public non indispensables à la vie du pays, compte tenu de l'activité de l'employeur dans la production et la distribution de produits alimentaires frais, surgelés et d'épicerie pour la restauration professionnelle ; qu'en retenant que la rupture anticipée du contrat de travail de la salariée conclu pour une durée déterminée n'était pas justifiée par un cas de force majeure aux motifs inopérants que le gouvernement avait mis en place diverses mesures permettant aux entreprises de maintenir les contrats de travail, lorsqu'il lui appartenait seulement de rechercher si la société Sysco France ne s'était pas trouvée empêchée d'exécuter son obligation de fournir du travail à la salariée par cette fermeture, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L1243-1 du code du travail et 1218 du code civil ;

2° / que sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l'échéance du terme qu'en cas de faute grave, de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du travail ; qu'il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur ; que l'existence de mesures appropriées permettant au débiteur de s'exécuter s'apprécie à la date de la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt qu'à la date de la rupture du contrat de travail de la salariée par la société, le 19 mars 2020, le dispositif d'activité partielle n'était pas applicable aux contrats à durée déterminée conclus pour un accroissement temporaire d'activité ; qu'en jugeant néanmoins que l'extension de ce dispositif intervenue en vertu du décret n° 2020-325 du 25 mars 2020, excluait que la rupture anticipée du contrat de travail de la salariée soit justifiée par un cas de force majeure au motif inopérant que cette extension était prévisible à la date de la rupture du contrat, la cour d'appel a violé les articles L1243-1 du code du travail et 1218 du code civil ;

3° / que sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l'échéance du terme qu'en cas de faute grave, de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du travail ; qu'il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur ; que la société Sysco France faisait valoir que la fermeture le 14 mars 2020 jusqu'à nouvel ordre de tous les lieux recevant du public, non indispensables à la vie du pays, concernant notamment les restaurants, bars et cafés, ainsi que la fermeture le 16 mars 2020 de toutes les cantines scolaires, lesquels constituaient le coeur de sa clientèle, avaient eu pour conséquence la cessation de la quasi-totalité de son activité et l'impossibilité pour la salariée d'effectuer ses fonctions de gestion des encaissements et des factures, des crédits clients et des recouvrements, faute de pouvoir entrer en contact avec lesdits clients ; qu'en se bornant à relever que l'activité de la société n'avait pas totalement cessé et que la salariée avait des missions essentiellement administratives et financières, dont il n'était pas établi qu'elles avaient toutes cessé pendant le confinement, pour en déduire que la rupture anticipée de son contrat de travail n'était pas justifiée par un cas de force majeure, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la société Sysco n'avait pas été dans l'impossibilité de fournir à la salariée le travail contractuellement convenu, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L1243-1 du code du travail et 1218 du code civil ;

4° / que sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l'échéance du terme qu'en cas de faute grave, de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du travail ; qu'il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur ; que la société Sysco France faisait valoir que la fermeture le 14 mars 2020 de tous les bars, cafés et restaurants, et la fermeture le 16 mars 2020 de toutes les cantines scolaires, avaient été décidées pour une durée indéterminable, la durée initiale de 15 jours prévue étant reconductible ; que la cour d'appel a elle-même constaté que cette fermeture avait été décidée le 14 mars 2020 "jusqu'à nouvel ordre" ; qu'en se fondant sur le caractère temporaire de la fermeture des établissements ouverts au public pour en déduire que la rupture anticipée du contrat de travail de la salariée conclu pour une durée déterminée, n'était pas justifiée par un cas de force majeure, sans rechercher, comme elle y était invitée, si à la date de l'annonce des mesures gouvernementales de fermeture des cantines, cafés bars et restaurants, les 14 et 16 mars 2020, la société Sysco France était en mesure de savoir que les fermetures seraient temporaires et d'une durée inférieure à la durée limitée du contrat de travail de la salariée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L1243-1 du code du travail et 1218 du code civil. »

Réponse de la Cour

5. Selon l'article L1243-1 du code du travail, sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l'échéance du terme qu'en cas de faute grave, de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du travail.

6. Aux termes de l'article 1218, alinéa 1er, du code civil, il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur.

7. La cour d'appel a constaté qu'en conséquence de la situation sanitaire exceptionnelle liée à la pandémie de Covid-19 et des décisions gouvernementales consécutives, l'employeur avait subi une baisse significative de son activité au cours des semaines de confinement et non un arrêt total, que la salariée, engagée en qualité de gestionnaire de crédit pour une période expirant le 31 décembre 2020, avait des missions essentiellement administratives et financières, dont il n'était pas établi qu'elles avaient toutes cessé en raison des mesures de confinement. Elle a relevé que l'empêchement était temporaire.

8. La cour d'appel a ajouté que le gouvernement avait mis en place un dispositif exceptionnel de report de charges fiscales et sociales, de soutien au report d'échéances bancaires et de garanties de l'Etat, afin que personne ne soit laissé sans ressources et de permettre de sauvegarder des emplois. Elle a précisé que le dispositif de chômage partiel avait été massivement élargi et ouvert aux salariés en contrat à durée déterminée pour accroissement d'activité par décret n° 2020-325 du 25 mars 2020 et que si cette extension était postérieure à la notification de la rupture, elle était très largement prévisible au vu des annonces en ce sens effectuées par les instances gouvernementales en amont du décret.

9. La cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes, en a exactement déduit que l'employeur ne pouvait pas invoquer la force majeure pour rompre le contrat de travail à durée déterminée.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Sysco France aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Sysco France ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le huit octobre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.