Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 23 octobre 2024, 22-18.190, Inédit

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Résumé

Apport de la jurisprudence : Pénal / Autorité de la chose jugée / Compétence / Procédure

Un salarié est licencié pour faute grave. L'employeur engage par ailleurs des poursuites pour abus de confiance. Le tribunal correctionnel a relaxé le salarié. La décision de relaxe devenue définitive dont avait bénéficié le salarié était motivée par le fait que ces détournements n'étaient pas établis. Les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l'action publique ont au civil autorité absolue en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l'existence du fait incriminé, sa qualification et la culpabilité ou l'innocence de ceux auxquels le fait est imputé.

Cass.soc., 23 octobre 2024, n°22-18.190

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

ZB1



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 23 octobre 2024




Cassation


Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 1061 F-D

Pourvoi n° B 22-18.190




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 23 OCTOBRE 2024

M. [Y] [P], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° B 22-18.190 contre l'arrêt rendu le 1er avril 2022 par la cour d'appel de Toulouse (4e chambre, section 2), dans le litige l'opposant à l'association [3], dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Panetta, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, qui s'est radiée le 4 septembre 2024 au profit de la SCP Boucard - Maman, avocat de M. [P], de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de l'association [3], après débats en l'audience publique du 24 septembre 2024 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Panetta, conseiller rapporteur, M. Seguy, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 1er avril 2022), M. [P] a été engagé en qualité d'intervenant extérieur par l'association du lycée privé [3] (l'association), à compter du 1er octobre 1995. En dernier lieu, il occupait le poste de directeur informatique.

2. Licencié le 22 décembre 2015 pour insuffisance professionnelle et fautes graves, le salarié a saisi la juridiction prud'homale pour contester cette mesure.

3. Saisi au cours de la procédure prud'homale, sur plainte de l'association, de poursuites du chef d'abus de confiance, le tribunal correctionnel a relaxé le salarié par jugement du 18 décembre 2019, devenu définitif.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire son licenciement fondé sur une faute grave et de le débouter de ses demandes de rappel de salaire pendant la mise à pied conservatoire, des congés payés afférents, d'indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents, d'indemnité de licenciement, de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour préjudice moral et d'indemnité de départ en retraite, alors « que la chose jugée au pénal s'impose au juge civil relativement aux faits constatés par la juridiction pénale au soutien de sa décision ; qu'il s'ensuit que ne peuvent justifier un licenciement les faits allégués par l'employeur identiques à ceux portés à la connaissance du juge pénal et pour lesquels le salarié a été relaxé faute d'être établis ou de lui être imputables ; qu'en l'espèce, le tribunal correctionnel de Toulouse a, par un jugement définitif du 22 octobre 2019 prononcé la relaxe de M. [P] du chef d'abus de confiance en retenant que n'était rapportée ni la preuve de l'imputabilité des faits à M. [P], ni celle de la matérialité des faits ; qu'en jugeant, pour dire le licenciement fondé sur une faute grave, qu'étaient établis les griefs disciplinaires relatifs aux abonnements téléphoniques et internet, à l'engagement financier de l'association [3] auprès d'Orange Business Services, à une imprimante ou encore aux mots de passe administrateur, quand ces mêmes faits ont été jugés non établis et non imputables à M. [P] par le juge pénal, la cour d'appel a violé le principe de l'autorité, au civil, de la chose jugée au pénal, ensemble l'article 1355 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu le principe de l'autorité, au civil, de la chose jugée au pénal et l'article 1355 du code civil :

5. Les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l'action publique ont au civil autorité absolue en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l'existence du fait incriminé, sa qualification et la culpabilité ou l'innocence de ceux auxquels le fait est imputé. L'autorité de la chose jugée au pénal s'étend aux motifs qui sont le soutien nécessaire du chef de dispositif prononçant la décision.

6. Pour dire le licenciement fondé sur une faute grave et débouter le salarié de l'ensemble de ses demandes, l'arrêt relève d'abord, que le salarié a été relaxé du chef d'abus de confiance commis entre le 12 février 2013 et le 22 décembre 2015, notamment en faisant financer par le lycée, sur le budget du service informatique, des abonnements téléphoniques et internet, des locations de serveurs, des réservations de noms de domaine qu'il utilisait en réalité à des fins personnelles et mettait à disposition de sa famille, en faisant installer à son domicile principal et dans sa résidence secondaire les équipements nécessaires à l'utilisation des abonnements ainsi souscrits au nom du lycée et financés par ce dernier, en détournant à son profit du matériel appartenant au lycée et qui lui avait été confié dans le cadre de ses fonctions au sein de ce lycée, et en particulier un ordinateur, une imprimante, des téléphones portables, une clé USB et des consommables et en refusant de restituer à la direction du lycée, au moment de son licenciement, ses codes administrateur.

7. Il constate que le tribunal correctionnel a relaxé le salarié en estimant qu'il n'était pas clairement démontré que les avantages de prestations téléphoniques et internet à domicile lui auraient été accordés à l'insu de la direction ni qu'il en aurait fait un usage purement privé faute de vérification particulière à cet égard, que le détournement de matériel informatique n'était pas établi alors que l'imprimante revendue par son épouse n'avait pas été facturée au lycée où elle ne pouvait être matériellement mise en réseau, pour être, en définitive, gracieusement cédée par le fournisseur et, enfin, que le refus du salarié de communiquer à l'huissier ses codes administrateur était alors justifié par l'absence du directeur du lycée.

8. L'arrêt retient ensuite que, toutefois la lettre de licenciement ne reproche pas au salarié de s'être rendu coupable de l'infraction pénale d'abus de confiance, mais d'avoir commis des manquements dans le cadre de son contrat de travail en faisant preuve d'insuffisance professionnelle et en ayant commis des actes de déloyauté et en déduit que le fait que le tribunal correctionnel ait relaxé le salarié du chef d'abus de confiance n'empêche pas l'employeur d'invoquer des faits constitutifs d'une faute civile ou des faits non fautifs, tenant à l'exécution du contrat de travail, et ne lie nullement la cour statuant sur le licenciement. Il estime enfin, après un examen des différents griefs, qu'ils sont établis.

9. En statuant ainsi, alors que la décision de relaxe devenue définitive dont avait bénéficié le salarié, poursuivi pour avoir détourné à son profit des matériels et des fonds mis à sa disposition en sa qualité de directeur informatique pour faire fonctionner ce service était motivée par le fait que ces détournements n'étaient pas établis dès lors qu'il n'était pas démontré que les avantages de prestations téléphoniques et internet à domicile lui auraient été accordés à l'insu de la direction ni qu'il en aurait fait un usage purement privé, la cour d'appel a violé le principe et le texte susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 1er avril 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;

Condamne l'association [3] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois octobre deux mille vingt-quatre.