Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 7 mai 2024, 22-21.992, Inédit
Ref:UAAAKDTR
Résumé
Apport de la jurisprudence : Accident du travail / Licenciement / Origine
Les règles protectrices applicables aux victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle s’appliquent dès lors que l’inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l’employeur avait connaissance de cette origine au moment du licenciement.
Les Juges du fonds doivent caractériser l’existence d’un accident du travail et vérifier si l’inaptitude du salarié avait, au moins partiellement, pour origine cet accident du travail et si l’employeur avait connaissance de cette origine au moment du licenciement.
Cass.soc.7 mai 2024, n°22-21.992
SOC.
CZ
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 7 mai 2024
Cassation partielle
Mme CAPITAINE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 450 F-D
Pourvoi n° J 22-21.992
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 7 MAI 2024
La société A Votre Service, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° J 22-21.992 contre les arrêts rendus les 6 avril 2022 et 8 août 2022 par la cour d'appel de Metz (chambre sociale, section 1), dans le litige l'opposant à Mme [M] [B], épouse [H], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Chiron, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet François Pinet, avocat de la société A Votre Service, de Me Ridoux, avocat de Mme [B], après débats en l'audience publique du 26 mars 2024 où étaient présents Mme Capitaine, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Chiron, conseiller référendaire rapporteur, Mme Nirdé-Dorail, conseiller, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon les arrêts attaqués (Metz, 6 avril 2022 et 8 août 2022), Mme [B] a été engagée en qualité d'aide à domicile le 25 juillet 2011 par la société A Votre Service.
2. A l'issue de deux examens médicaux, la salariée a été déclarée inapte à tous les postes dans l'entreprise le 30 septembre 2015.
3. Elle a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 29 octobre 2015 et a saisi la juridiction prud'homale de demandes relatives à l'exécution et à la rupture du contrat de travail.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. L'employeur fait grief aux arrêts de le condamner à verser à la salariée des sommes au titre de l'indemnité compensatrice prévue par l'article L1226-14 du code du travail, des congés payés afférents, du solde de l'indemnité spéciale de licenciement et d'un solde d'indemnité compensatrice de congés payés, alors « que les règles protectrices applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent uniquement lorsque l'inaptitude du salarié ou les réserves affectant son aptitude, quel que soit le moment où elle est constatée et invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur a connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement ; que, pour allouer à Mme [M] [B], épouse [H], l'indemnité compensatrice et l'indemnité spéciale de licenciement prévues par l'article L1226-14 du code du travail, la cour d'appel - dans son arrêt n° 22/00566 du 8 août 2022 - a retenu que "la lecture de l'arrêt [n° 22/00206 du 6 avril 2022] montre que la présente juridiction, après avoir constaté que l'accident subi par Mme [M] [B], à l'origine de son inaptitude justifiant son licenciement, a la nature d'un accident de travail, a débouté Mme [M] [B] de ses demandes liées au licenciement, sans statuer sur les demandes d'indemnité de préavis et d'indemnité spéciale de licenciement fondées sur le défaut de cause réelle et sérieuse du licenciement, mais également sur le caractère professionnel de son inaptitude", de sorte qu'"il convient, en conséquence, de statuer sur ces deux chefs de prétentions"; que, dans son arrêt n° 22/00206 du 6 avril 2022, elle avait, à ce titre, relevé que le fait invoqué par Mme [M] [B], épouse [H], a "la nature d'un accident de travail, même s'il n'a pas été déclaré comme tel par la salariée ou l'employeur, Mme [H] s'étant trouvée soudainement en arrêt de travail pour dépression du fait du comportement prêté à l'employeur, donc d'un événement survenu par le fait ou à l'occasion du travail" ; qu'en se déterminant ainsi, sans constater la survenance d'un événement daté au temps et lieu de travail ou l'existence d'un fait effectivement survenu par le fait ou à l'occasion du travail, peu important à cet égard que la salariée eut "prêté" sa soudaine dépression au comportement de l'employeur ou à ses conditions de travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1226-10 et L1226-14 du code du travail, le premier dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012, ensemble l'article 12 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1226-10 et L1226-14 du code du travail, le premier dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 :
5. Il résulte de ces textes que les règles protectrices applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur avait connaissance de cette origine au moment du licenciement.
6. Pour condamner l'employeur au paiement de sommes au titre de l'indemnité compensatrice prévue par l'article L1226-14 du code du travail, des congés payés afférents et du solde de l'indemnité spéciale de licenciement, l'arrêt du 8 août 2022 souligne que l'arrêt du 6 avril 2022, qui relève que l'action de la salariée tendait à faire reconnaître un fait dommageable imputable à l'employeur ayant conduit à l'inaptitude, puis à la perte d'emploi, s'agissant d'un arrêt de travail pour dépression du fait du comportement prêté à l'employeur, retient que cet événement survenu par le fait ou à l'occasion du travail a la nature d'un accident de travail même s'il n'a pas été déclaré comme tel par la salariée ou l'employeur.
7. La cour d'appel en a déduit, dans l'arrêt du 8 août 2022, que le licenciement de la salariée était prononcé pour inaptitude fondée sur un accident ayant la nature d'un accident du travail et que l'article L1226-14 était applicable.
8. En se déterminant ainsi, sans caractériser, dans l'arrêt du 6 avril 2022, l'existence d'un accident du travail ni vérifier si l'inaptitude du salarié avait, au moins partiellement, pour origine cet accident du travail et si l'employeur avait connaissance de cette origine au moment du licenciement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
Portée et conséquences de la cassation
9. Le moyen ne formulant aucune critique contre les motifs de l'arrêt fondant la décision en ce qu'il condamne l'employeur au paiement d'une somme au titre d'un solde d'indemnité compensatrice de congés payés, la cassation ne peut s'étendre à cette disposition de l'arrêt.
10. La cassation des chefs de dispositif de l'arrêt du 8 août 2022 condamnant l'employeur au paiement de sommes au titre de l'indemnité compensatrice prévue par l'article L1226-14 du code du travail, des congés payés afférents et du solde de l'indemnité spéciale de licenciement n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt du 6 avril 2022 disant que chaque partie garderait la charge de ses dépens d'appel et disant n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile, dispositions de l'arrêt non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, rectifiant l'arrêt du 6 avril 2022, il condamne la société A Votre Service à verser à Mme [B] les sommes de 2 728,26 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, 272,82 euros brut au titre des congés payés afférents et 1 342,60 euros net au titre du solde de l'indemnité spéciale de licenciement, l'arrêt rendu le 8 août 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Metz ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Colmar ;
Condamne Mme [B] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du sept mai deux mille vingt-quatre.