Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 9 mai 2019, 18-14.515, Publié au bulletin

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Résumé

Apport de la jurisprudence : Faute inexcusable

La majoration de rente allouée à la victime en cas de faute inexcusable de l’employeur est payée par la caisse qui en récupère le capital représentatif auprès de l’employeur

Cass. Civ 2e 9 mai 2019 n°18-14.515

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

IV. 2

LM


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 9 mai 2019


Cassation


Mme FLISE, président


Arrêt n° 611 F-P+B+I

Pourvoi n° Z 18-14.515







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône, dont le siège est [...], contre l'arrêt rendu le 30 janvier 2018 par la cour d'appel de Lyon (sécurité sociale), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Mecano technique, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [...],

2°/ à M. G... K..., domicilié [...], défendeurs à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, en l'audience publique du 27 mars 2019, où étaient présents : Mme Flise, président, Mme Brinet, conseiller référendaire rapporteur, M. Prétot, conseiller doyen, Mme Szirek, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Brinet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône, de la SARL Cabinet Briard, avocat de la société Mecano technique, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. K..., l'avis de M. de Monteynard, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur le moyen unique, pris en ses première et troisième branches :

Vu les articles L. 452-2, alinéa 6, L. 452-3 et D. 452-1 du code de la sécurité sociale, le premier dans sa rédaction modifiée par la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012, le dernier dans sa rédaction modifiée par le décret n° 2014-13 du 8 janvier 2014, applicables au litige ;

Attendu, selon le premier et le dernier de ces textes, que la majoration de rente allouée à la victime en cas de faute inexcusable de l'employeur est payée par la caisse qui en récupère le capital représentatif auprès de l'employeur dans les mêmes conditions et en même temps que les sommes allouées au titre de la réparation des préjudices mentionnés au deuxième ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. K... (la victime), salarié de la société Mecano technique (l'employeur), a souscrit le 24 janvier 2011 une déclaration de maladie professionnelle, dont la prise en charge a été refusée par la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône ; qu'à la suite d'un recours de la victime, l'affection a été prise en charge le 22 novembre 2012 au titre de la législation professionnelle ; que la victime a saisi une juridiction de sécurité sociale d'une action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur ;

Attendu que pour dire que la caisse pouvait recouvrer auprès de l'employeur dont la faute inexcusable était établie uniquement les sommes correspondant aux préjudices personnels de la victime et non celles correspondant aux prestations de sécurité sociale, dont la majoration de rente, la cour d'appel retient que le recours de la caisse, seule tenue du règlement de la majoration de rente au salarié en cas de reconnaissance de l'existence d'une faute inexcusable, aux fins d'être remboursée de cette majoration par l'employeur, est fondé sur un droit personnel de la caisse à l'encontre de l'employeur aux fins de remboursement de cette prestation complémentaire de sécurité sociale ; qu'il s'agit dès lors d'un recours en garantie et non d'un recours subrogatoire et que l'employeur est fondé à s'opposer au recouvrement à son encontre par la caisse de la majoration de rente servie à l'assuré du fait de la reconnaissance de la faute inexcusable, eu égard à la décision de refus de prise en charge de la maladie professionnelle qui lui est acquise, dans ses rapports avec la caisse ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il est lieu de statuer sur la deuxième branche du moyen :

Met hors de cause M. K... ;

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 janvier 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée ;

Condamne la société Mecano technique aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes de M. K... et de la société Mecano technique et condamne la société Mecano technique à payer la somme de 3 000 euros à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf mai deux mille dix-neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Rhône

Il est fait grief à l'arrêt partiellement infirmatif attaqué d'AVOIR dit que les conséquences financières de la maladie professionnelle imputable à la faute inexcusable de l'employeur ne sont opposables à la société Mecano Technique qu'au titre des préjudices personnels subis par M. K... et non des prestations de sécurité sociale servies par la Caisse dont la majoration de la rente.

AUX MOTIFS QUE la faute inexcusable de l'employeur doit donc être retenue ainsi que l'a dit le tribunal (
) ; Sur la demande d'inopposabilité de la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie de M. K... ; que la SAS Mecano Technique fait valoir qu'elle a reçu de la Caisse notification du refus de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie du salarié de sorte que cette décision lui reste acquise conformément au principe d'indépendance des parties ; que dans ces conditions, selon elle, la prise en charge pouvant intervenir suite au recours en faute inexcusable par le salarié ne lui sera pas opposable et les dépenses ne seront pas imputables à son compte ; qu'elle soutient que les dispositions de l'article L. 452-3-1 du code de la sécurité sociale ne visent que l'hypothèse d'un non respect de la procédure d'instruction par l'organisme sociale des demandes de prises en charge au titre de la législation professionnel et n'est pas applicable à la présente instance ; qu'elle fait observer que le tribunal a, de manière contradictoire, rappelé que la maladie ne pourrait fait l'objet d'une tarification sur le compte employeur de la SAS Mecano Technique, la décision initiale de refus de prise en charge étant acquise, tout en rejetant sa demande tendant à voir dire que la Caisse devrait supporter toutes les conséquences financières attachées à la reconnaissance de la faute inexcusable ; que M. K... soutient que l'article L. 452-3-1 du code de la sécurité sociale entré en vigueur au 1er janvier 2013 ne permet plus à l'employeur de se prévaloir de l'inopposabilité, la reconnaissance de la faute inexcusable emportant dans tous les cas, obligation pour celui-ci de s'acquitter des sommes dont il est redevable à ce titre auprès des caisses ; que la caisse primaire d'assurance maladie s'oppose à la demande de l'employeur puisqu'il convient selon elle de distinguer les indemnités versées par la caisse au titre de la reconnaissance du caractère professionnel d'un accident ou d'une maladie des indemnités dues par l'employeur suite à la reconnaissance de la faute inexcusable et les sommes dues au titre de la majoration de rente qui relèvent exclusivement de la responsabilité quasi-délictuelle de l'employeur et des règles de droit commun qui s'y attachent ; qu'elle estime que l'article L. 452-3-1 du code de la sécurité sociale est applicable à l'espèce et pose comme unique condition à l'obligation de l'employeur de rembourser les sommes avancées par la caisse que sa responsabilité soit reconnue par un jugement passé en force de chose jugée et ce quelles que soient les conditions d'information à l'égard de l'employeur ; qu'aux termes de l'article L. 452-3-1 du code de la sécurité sociale issu de la loi n° 2002-1404 du 17 décembre 2012 : « Quelles que soient les conditions d'information de l'employeur par la caisse au cours de la procédure d'admission du caractère professionnel de l'accident ou de la maladie, la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte l'obligation pour celui-ci de s'acquitter des sommes dont il est redevable à raison des articles L. 452-1 à L. 452-3 » ; que cette disposition invoquée au soutien de leurs prétentions par l'assuré et la caisse primaire concerne exclusivement l'incidence sur l'action en remboursement des caisses primaires en cas de reconnaissance de l'existence d'une faute inexcusable d'un non-respect par celles-ci de la procédure d'instruction des demandes de prise en charge au titre de la législation professionnelle des accidents et maladies ; qu'en l'espèce, la discussion ne porte pas sur un prétendu non-respect par la caisse de la procédure d'instruction de la demande de prise en charge au titre de la législation professionnelle dont les modalités ne font l'objet d'aucune contestation ; que la caisse a en effet refusé la prise en charge de la maladie de M. K... au titre de la législation professionnelle, tableau n° 42 et il est constant que cette décision est définitivement acquise à l'employeur ; que ce texte ne saurait pas ailleurs autoriser la caisse à considérer que les sommes dues au titre de la faute inexcusable, notamment la majoration de la rente, relèveraient de la responsabilité quasi délictuelle de l'employeur et des règles de droit commun qui s'y attachent dès lors que le régime de la faute inexcusable de l'employeur, permettant au salarié d'obtenir une indemnisation complémentaire, est une procédure spécifique organisée par le code de la sécurité sociale et dérogatoire au droit commun comme le précise d'ailleurs l'article L. 451-1 du code de la sécurité sociale qui interdit à la victime ou à ses ayants-droit d'exercer contre l'employeur une action en réparation selon les règles de droit commun ; que la validité de ce régime d'indemnisation et de son caractère dérogatoire au droit commun a été confirmé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 18 juin 2010 ; qu'en revanche, l'employeur est en droit d'opposer tous les moyens de défense tirés de ses relations avec la caisse ; que l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale indique qu'en cas de reconnaissance de l'existence d'une faute inexcusable de l'employeur, la victime ou ses ayants droits reçoivent une majoration des indemnités qui leur sont dues en vertu du livre IV ; que le versement des prestations de sécurité sociale dues en vertu du livre IV incombe aux caisses d'assurance maladie selon les modalités fixées aux articles L. 431-1 et suivants et R. 431-1 et suivants du code de la sécurité sociale ; que le débiteur de la majoration de la rente n'étant pas l'employeur mais la caisse, celle-ci dispose uniquement d'un recours en remboursement à l'encontre de l'employeur ainsi que le précise le dernier alinéa de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale : « La majoration est payée par la caisse, qui en récupère le capital représentatif auprès de l'employeur dans des conditions déterminées par décret » ; que cet article ne mentionne pas un droit direct du salarié au règlement de la majoration de la rente à l'encontre de l'employeur, ni l'obligation pour la caisse de faire l'avance du versement de cette majoration de la rente pour le compte de l'employeur ; que le recours des caisses, seules tenues du règlement de la majoration de rente au salarié en cas de reconnaissance de l'existence d'une faute inexcusable, aux fins d'être remboursées de cette majoration par l'employeur, est donc fondé sur un droit personnel de la caisse à l'encontre de l'employeur aux fins de remboursement de cette prestation complémentaire de sécurité sociale ; qu'il s'agit dès lors d'un recours récursoire en garantie et non d'un recours subrogatoire ; que la SA Mecano Technique est donc fondée à s'opposer au recouvrement à son encontre par la caisse de la majoration de rente service à l'assuré du fait de la reconnaissance de la faute inexcusable, eu égard à la décision de refus de prise en charge de la maladie professionnelle qui lui est acquise, dans ses rapports avec la Caisse ; qu'il n'est pas contestable par contre que le recours de la caisse à l'encontre de l'employeur prévu par l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale est un recours subrogatoire ; que cet article L. 452-3 énonce en effet que : « Indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit en vertu de l'article précédent, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. Si la victime est atteinte d'un taux d'incapacité permanente de 100%, il lui est alloué, en outre, une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation. (
) La réparation de ces préjudices est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l'employeur » ; qu'en vertu de ce texte, l'employeur est donc le seul débiteur des indemnités dues au salarié en réparation de ses préjudices personnels liés à la reconnaissance de l'existence d'une faute inexcusable, la caisse faisant uniquement l'avance du versement de ces sommes pour le compte de l'employeur ; que la caisse est effectivement subrogée, à due concurrence des sommes versées, dans les droits que possède la victime contre l'employeur responsable de la faute inexcusable ; que l'employeur ne peut invoquer à cet égard la décision de la caisse de refus de prise en charge de la maladie professionnelle qui est indifférentes dans ses rapports avec l'assuré dans le cadre de l'action en reconnaissance de la faute inexcusable ; que le jugement doit donc être infirmé en ce qu'il a déclaré que les conséquences financières de la maladie professionnelle imputable à la faute inexcusable de l'employeur sont entièrement opposables à la SAS Mecano Technique et il doit être plutôt dit qu'elles ne sont opposables qu'au titre des préjudices personnels subis par M. K... et non des prestations de sécurité sociale services par la caisse dont la majoration de rente.

1° - ALORS QU'ayant pour objet exclusif la prise en charge ou le refus de prise en charge au titre de la législation professionnelle, de l'accident, de la maladie ou de la rechute, la décision prise par la caisse dans les conditions prévues par l'article R. 441-14 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009, est sans incidence sur l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur ; que l'inopposabilité à l'employeur de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle du salarié, à raison du caractère définitif à son égard d'une décision antérieure de refus de prise en charge, ne fait pas obstacle à l'action récursoire de la caisse à son encontre et ne saurait la priver du droit de récupérer sur lui, après reconnaissance de sa faute, les compléments de rente et indemnités versées par elle ; qu'en jugeant en l'espèce que l'employeur était fondé à s'opposer au recouvrement à son encontre, par la caisse, de la majoration de rente servie à l'assuré du fait de la reconnaissance de sa faute inexcusable, eu égard à la décision de refus de prise en charge de la maladie qui lui était acquise dans ses rapports avec la caisse, la cour d'appel a violé les articles L. 452-1, L. 452-2, L. 452-3 et L. 452-3-1 du code de la sécurité sociale.

2° - ALORS QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; que pour dire que la caisse ne pouvait récupérer sur l'employeur le montant de la majoration de la rente prévue à l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale, la cour d'appel a relevé que le recours de la caisse pour être remboursée de cette majoration de rente était fondé sur un droit personnel à l'encontre de l'employeur, de sorte qu'il s'agissait d'un recours récursoire en garantie et non d'un recours subrogatoire ; qu'en statuant ainsi lorsqu'il résulte de l'arrêt que les parties avaient repris oralement à l'audience leurs conclusions écrites et que celles-ci ne contenaient pas un tel moyen , la cour d'appel qui a soulevé d'office ce moyen sans avoir recueilli les observations des parties sur ce point, a violé l'article 16 du code de procédure civile.

3° - ALORS QUE la caisse dispose d'un recours subrogatoire contre l'auteur de la faute inexcusable pour obtenir le remboursement de la majoration de rente prévue à l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale, de sorte que l'employeur ne peut lui opposer que les moyens de défense qu'il aurait été en mesure d'opposer à la victime et non les moyens de défense tirés de ses relations avec la caisse; qu'en jugeant que le recours de la caisse en remboursement de la majoration de rente était personnel, récursoire et non subrogatoire, de sorte que l'employeur était en droit de lui opposer le moyen de défense tiré du caractère définitif de la décision de refus de prise en charge de la maladie professionnelle dans ses rapports avec la caisse ; la cour d'appel a violé les articles L. 452-2, L. 452-3 et D. 452-1 du code de la sécurité sociale, ensemble l'article 1249 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.