Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 12 juillet 2022, 21-11.936, Inédit

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Résumé

Apport de la jurisprudence : Procédure / Sanctions disciplinaires / Nullité / Cause réelle et sérieuse

Après plusieurs sanctions disciplinaires, un salarié est licencié. Ce dernier conteste son licenciement en invoquant à titre principal la nullité et à titre subsidiaire, l’absence de cause réelle et sérieuse. La Cour d’appel infirme le jugement qui avait accueilli la demande d'annulation du licenciement et juge que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse, mélangeant ainsi les demandes. La Cour de cassation qui ne revient pas sur la nullité du licenciement revient toutefois sur le défaut de motivation concernant la cause réelle et sérieuse. Le salarié soutenait qu'il incombait à l'employeur, d'une part, d'établir la réalité de la faute en communiquant le rapport de « l'enquêteur mystère » qui aurait constaté les griefs qui lui étaient imputés, et d'autre part, de démontrer qu'il avait été préalablement informé de l'existence d'une procédure en matière de contrôle pouvant être mise en œuvre par la société.

Cass. soc 12 juillet 2022, n°21-11.936

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

CA3



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 12 juillet 2022




Cassation partielle


Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 855 F-D

Pourvoi n° G 21-11.936
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Monsieur [L].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 10 décembre 2020.





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 12 JUILLET 2022

M. [M] [L], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° G 21-11.936 contre l'arrêt rendu le 16 octobre 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 4), dans le litige l'opposant à la société Transdev Ile-de-France, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Barincou, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [L], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Transdev Ile-de-France, après débats en l'audience publique du 31 mai 2022 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Barincou, conseiller rapporteur, Mme Le Lay, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 octobre 2019), M. [L] a été engagé, le 21 juillet 2011, par la société Véolia transports, aux droits de laquelle se trouve la société Transdev Ile-de-France, en qualité de conducteur receveur.

2. Après s'être vu notifier plusieurs sanctions, en septembre et décembre 2013 puis en avril 2014, le salarié a été licencié par lettre du 3 juin 2014.

3. Contestant cette rupture, le salarié a saisi la juridiction prud'homale pour voir dire que le licenciement était, à titre principal, nul et à titre subsidiaire, sans cause réelle et sérieuse.

Examen du moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. Le salarié fait grief à l'arrêt de juger son licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et de le débouter de l'ensemble de ses demandes, alors « que les écritures des parties fixent les limites du litige ; que le salarié soutenait à titre subsidiaire, dans ses écritures d'appel, que la preuve utilisée par son employeur, un rapport rédigé par un « client mystère », était déloyale et en conséquence, privait son licenciement de cause réelle et sérieuse ; qu'en ne se prononçant pas sur ces conclusions pourtant déterminantes du litige, la Cour d'appel a violé l'article 4 du Code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

5. L'employeur conteste la recevabilité du moyen. Il fait valoir que la cour d'appel n'a en réalité pas statué sur la demande subsidiaire du salarié tendant à voir juger que son licenciement était sans cause réelle et sérieuse.

6. Dans le dispositif de son arrêt, la cour d'appel, après avoir infirmé le jugement qui avait accueilli la demande d'annulation du licenciement, a jugé que ce dernier était fondé sur une cause réelle et sérieuse.

7. La cour d'appel a donc statué sur le caractère réel et sérieux du licenciement.

8. Le moyen, qui critique un défaut de motivation et non une omission de statuer, est donc recevable.

Bien fondé du moyen

Vu l'article 4 du code de procédure civile :

9. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.

10. Pour dire le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que la matérialité des faits reprochés n'est pas contestée.

11. En statuant ainsi, alors que, dans ses conclusions d'appel, le salarié soutenait qu'il incombait à l'employeur, d'une part, d'établir la réalité de la faute en communiquant le rapport de « l'enquêteur mystère » qui aurait constaté les griefs qui lui étaient imputés, et d'autre part, de démontrer qu'il avait été préalablement informé de l'existence d'une procédure en matière de contrôle pouvant être mise en oeuvre par la société, ce dont il résultait que le salarié contestait la loyauté de la preuve utilisée par l'employeur pour justifier de la matérialité des faits, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

12. La cassation prononcée n'entraîne pas la cassation du chef de dispositif ayant infirmé le jugement en ce qu'il avait prononcé l'annulation du licenciement.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il infirme le jugement ayant prononcé l'annulation du licenciement, l'arrêt rendu le 16 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne la société Transdev Ile-de-France aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Transdev Ile-de-France et la condamne à payer à la SCP Lyon-Caen et Thiriez, la somme de 3 000 euros.

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze juillet deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour M. [L]


Monsieur [M] [L] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir jugé le licenciement de Monsieur [M] [L] fondé sur une cause réelle et sérieuse et de l'avoir débouté de l'ensemble de ses demandes ;

Alors, d'une part, que les écritures des parties fixent les limites du litige ; que Monsieur [L] soutenait à titre subsidiaire, dans ses écritures d'appel (p. 7), que la preuve utilisée par son employeur – un rapport rédigé par un « client mystère » - était déloyale et en conséquence, privait son licenciement de cause réelle et sérieuse ; qu'en ne se prononçant pas sur ces conclusions pourtant déterminantes du litige, la Cour d'appel a violé l'article 4 du Code de procédure civile ;

Alors, d'autre part, que si l'employeur a le droit de contrôler et de surveiller l'activité de son personnel durant le temps de travail, il ne peut mettre en oeuvre un dispositif de contrôle qui n'a pas été porté préalablement à la connaissance des salariés; qu'en l'espèce, Monsieur [L] a été licencié au motif que « le 14 mai 2014, lors du service LX-20 un enquêteur mystère (dans le cadre des enquêtes STIF) a constaté que vous aviez répondu à deux appels téléphoniques personnels distincts pendant une course commerciale avec des clients à bord » ; qu'en décidant que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse, sans rechercher si le dispositif de contrôle utilisé par l'employeur avait été porté à la connaissance du salarié, la Cour d'appel a violé l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, l'article 9 du Code civil, ensemble l'article 9 du Code de procédure civile.