Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 17 février 2021, 19-20.635, Publié au bulletin

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Résumé

Apport de la jurisprudence : Clause de non-concurrence / Contrepartie financière / Renonciation / Transaction / 2048 du Code civil

Un salarié qui conclut une transaction avec son employeur ne peut plus exiger le paiement de la contrepartie financière sous-jacente à la clause de non concurrence après la signature de la transaction.

Pour la Cour de cassation, le fait que l’employeur n’est pas renoncé à la clause ainsi que l’absence de mention de la clause au sein de la transaction, ne contraint pas l’employeur à s’acquitter de la contrepartie financière une fois la transaction signée. En l’espèce, la transaction a donc fait échec à toute demande ultérieure du salarié et tout litige né ou à naître ayant existé entre les parties. Pour rappel, les transactions se renferment dans leur objet : la renonciation qui y est faite à tous droits, actions et prétentions, ne s'entend que de ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu.

Cass. Soc., 17 février 2021, n°19-20.635

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

LG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 17 février 2021




Cassation


M. CATHALA, président



Arrêt n° 228 FS-P+I

Pourvoi n° X 19-20.635




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 17 FÉVRIER 2021

La société Markem Imaje Industries, dont le siège est 9 rue Gaspard Monge, 26500 Bourg-lès-Valence, a formé le pourvoi n° X 19-20.635 contre l'arrêt rendu le 25 juin 2019 par la cour d'appel de Grenoble (chambre sociale, section A), dans le litige l'opposant à Mme F... S..., domiciliée [...] , défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Van Ruymbeke, conseiller, les observations de la SCP Rousseau et Tapie, avocat de la société Markem Imaje Industries, de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de Mme S..., et l'avis de Mme Rémery, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 janvier 2021 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Van Ruymbeke, conseiller rapporteur, Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen, MM. Pion, Ricour, Mme Capitaine, conseillers, M. Duval, Mmes Valéry, Pecqueur, conseillers référendaires, Mme Rémery, avocat général, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 25 juin 2019) et les productions, Mme S... a été engagée, le 1er février 1988, par la société Markem Imaje Industries, en qualité d'assistante service ressources humaines.

2. Son contrat de travail prévoyait une clause de non-concurrence.

3. Le 16 mars 2015, elle a été licenciée pour motif personnel.

4. Les parties ont signé un protocole transactionnel le 30 mars 2015.

5. Le 27 juillet 2016, la salariée a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en paiement de la contrepartie financière à la clause de non-concurrence.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la salariée la somme de 39 969,96 euros, alors « que la transaction portant sur l'ensemble des droits résultant de l'exécution et la rupture du contrat de travail a autorité de la chose jugée quant aux prétentions en résultant nées à la date de sa signature ; que l'arrêt constate que, dans la transaction du 30 mars 2015, les parties se sont accordées sur les indemnités dues à Mme S..., qui a reconnu qu'elles constituaient le solde définitif et irrévocable de tout compte ; que la société lui a versé une indemnité « ayant vocation à réparer l'ensemble des préjudices tant professionnels que moraux que Mme S... prétend subir du fait des modalités d'exécution de son contrat de travail, de sa rupture, des conditions dans lesquelles elle est intervenue et au regard de ses conséquences de toute nature, et notamment ceux expressément invoqués dans le protocole », que Mme S... a « reconnu que les concessions de la société Markem Imaje Industries SASU étaient réalisées à titre transactionnel, forfaitaire et définitif, conformément aux articles 2044 et suivants du code civil et en particulier l'article 2052 du code civil, afin de la remplir de tous ses droits et pour mettre fin à tout différend né ou à naître des rapports de droit ou de fait ayant pu exister », a « déclaré expressément renoncer à toute prétention, réclamation, action ou instance de quelque nature qu'elle soit, pouvant avoir pour cause, conséquence ou objet, directement ou indirectement, l'exécution ou la cessation des fonctions qu'elle a exercées au sein de la société ou du groupe auquel elle appartient » et qu'elle a « renoncé à toute action ou instance liée à la rupture de son contrat de travail, indiqué n'avoir plus aucune demande à formuler à quelque titre que ce soit et a renoncé à toute instance ou action judiciaire relative au présent litige » ; qu'en ayant retenu que la salariée pouvait, malgré cette transaction, réclamer une indemnité de non-concurrence, motif pris que la transaction ne comprenait aucune mention dont il résulterait que les parties avaient réglé cette question, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations dont il résultait que les parties avaient réglé l'ensemble des modalités de la rupture du contrat de travail et du solde de tout compte de la salariée et avaient mis fin à tout litige, né ou à naître, lié à l'exercice ou à la rupture du contrat de travail, a violé les articles 1134, 2044 et 2052 du code civil dans leur rédaction alors applicable, ensemble les articles 2048 et 2049 du même code. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2044 et 2052 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, et 2048 et 2049 du même code :

7. Il résulte de ces textes que les obligations réciproques des parties au titre d'une clause de non-concurrence sont comprises dans l'objet de la transaction par laquelle ces parties déclarent être remplies de tous leurs droits, mettre fin à tout différend né ou à naître et renoncer à toute action relatifs à l'exécution ou à la rupture du contrat de travail.

8. Pour faire droit aux demandes de la salariée, l'arrêt retient que l'employeur ne justifie pas avoir expressément levé la clause de non-concurrence prévue au contrat de travail tant à l'occasion du licenciement que postérieurement à ce dernier, que la transaction litigieuse ne comprend aucune mention dont il résulterait que les parties au protocole ont entendu régler la question de l'indemnité de non-concurrence due à la salariée, que l'employeur ne peut en conséquence exciper de l'autorité de la chose jugée s'attachant au protocole transactionnel du 30 mars 2015 pour s'opposer à la demande en paiement formée la salariée.

9. En statuant ainsi, alors qu'aux termes de la transaction, les parties reconnaissaient que leurs concessions réciproques étaient réalisées à titre transactionnel, forfaitaire et définitif, conformément aux dispositions des articles 2044 et suivants du code civil, et en particulier de l'article 2052 de ce code, ceci afin de les remplir de tous leurs droits et pour mettre fin à tout différend né ou à naître des rapports de droit ou de fait ayant pu exister entre elles et déclaraient, sous réserve de la parfaite exécution de l'accord, être totalement remplies de leurs droits respectifs et renoncer réciproquement à toute action en vue de réclamer quelque somme que ce soit, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 25 juin 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry ;

Condamne Mme S... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept février deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour la société Markem Imaje Industries


Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné la société Markem Imaje Industries à payer à Mme S... la somme de 39 969,96 €, outre 2 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Aux motifs que sur l'indemnité de non-concurrence, l'article 2048 du code civil énonce que les transactions se renferment dans leur objet : la renonciation qui y est faite à tous droits, actions et prétentions, ne s'entend que de ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu ; que l'article 2049 du même code dispose que les transactions ne règlent que les différends qui s'y trouvent compris, soit que les parties aient manifesté leur intention par des expressions spéciales ou générales, soit que l'on reconnaisse cette intention par une suite nécessaire de ce qui est exprimé ; qu'il est de jurisprudence que la clause par laquelle un salarié renonce, moyennant le paiement d'une indemnité forfaitaire et définitive, à toute réclamation de quelque nature qu'elle soit relative tant à l'exécution du contrat de travail ou sa rupture lui interdit toute action postérieure, quel qu'en soit le fondement, fondée sur l'exécution du contrat de travail ou la cessation des relations contractuelles ; que par ailleurs, il est de principe que les clauses contractuelles destinées à trouver application postérieurement à la rupture du contrat de travail ne sont pas, sauf disposition expresse contraire, affectées par la transaction intervenue entre les parties pour régler les conséquences d'un licenciement et que la renonciation par l'employeur à l'obligation de non concurrence ne se présume pas et ne peut résulter que d'actes manifestant sans équivoque la volonté de renoncer ; qu'en l'espèce, le contrat de travail de Mme S... prévoyait une clause de non-concurrence d'une durée d'un an, renouvelable une fois, moyennant le paiement d'une indemnité de 5/10 de la moyenne mensuelle des appointements ainsi que des avantages et gratifications contractuels reçus au cours des douze derniers mois de présence dans l'entreprise, ou de 6/10 en cas de licenciement non provoqué par un faute grave tant que Mme S... n'aurait pas retrouvé un nouvel emploi dans la limite de durée de non concurrence, et que l'employeur pourrait décharger Mme S... de cette clause par écrit dans les huit jours suivant la notification du préavis, ou en cas d'inobservation du préavis, dans les huit jours suivant la rupture effective du contrat de travail ; que selon courrier du 16 mars 2015, la société Markem Imaje Industries Sasu a procédé au licenciement pour cause réelle et sérieuse de Mme S... et l'a dispensée d'exécuter son préavis ;

que le 30 mars 2015, la société Markem Imaje Industries Sasu et Mme S... ont conclu un protocole transactionnel aux termes duquel : - la rupture du contrat de travail de Mme S..., à la date du 30 novembre 2015, a été confirmée, - les parties se sont accordées sur le principe et le montant de l'indemnité compensatrice de préavis, l'indemnité compensatrice de congés payés, l'indemnité de congés payés et l'indemnité conventionnelle de licenciement dues à Mme S..., - Mme S... a reconnu qu'elle ne pouvait prétendre à un bonus au titre de l'exercice 2015, admis que ces sommes constituaient son solde définitif et irrévocable de tout compte, - la société Markem Imaje Industries Sasu a accepté de verser à Mme S..., à titre de compensation, une indemnité transactionnelle forfaitaire, définitive et irrévocable de 77 000 € bruts ayant vocation à réparer l'ensemble des préjudices tant professionnels que moraux que Mme D... prétend subir du fait des modalités d'exécution de son contrat de travail, de sa rupture, des conditions dans lesquelles elle est intervenue et au regard de ses conséquences de toute nature, et notamment ceux expressément invoqués dans le protocole, - Mme S... a reconnu que les concessions de la société Markem Imaje Industries Sasu étaient réalisées à titre transactionnel, forfaitaire et définitif, conformément aux articles 2044 et suivants du code civil et en particulier l'article 2052 du code civil, afin de la remplir de tous ses droits et pour mettre fin à tout différend né ou à naître des rapports de droit ou de fait ayant pu exister entre la société Markem Imaje Industries Sasu ou l'une quelconque des sociétés du groupe et la société Markem Imaje Industries Sasu, - Mme S... a déclaré expressément renoncer à toute prétention, réclamation, action ou instance de quelque nature qu'elle soit, à l'encontre de la société Markem Imaje Industries Sasu ou de son groupe, pouvant avoir pour cause, conséquence ou objet, directement ou indirectement, l'exécution ou la cessation des fonctions qu'elle a exercées au sein de la société ou du groupe auquel elle appartient, - Mme S... a déclaré renoncer à toute action ou instance liée à la rupture de son contrat de travail, indiqué n'avoir plus aucune demande à formuler à quelque titre que ce soit et a renoncé à toute instance ou action judiciaire relative au présent litige à l'encontre de la société Markem Imaje Industries Sasu ou de toute autre société du groupe ; qu'il n'est pas justifié par la société Markem Imaje Industries Sasu qu'elle a expressément levé la clause de nonconcurrence prévue au contrat de travail tant à l'occasion du licenciement que postérieurement à ce dernier ; par ailleurs, la transaction litigieuse ne comprend aucune mention dont il résulterait que les parties au protocole ont entendu régler la question de l'indemnité de non-concurrence due à Mme S... ; que la société Markem Imaje Industries Sasu ne peut en conséquence exciper de l'autorité de la chose jugée s'attachant au protocole transactionnel du 30 mars 2015 pour s'opposer à la demande en paiement formée par Mme S... ; que celle-ci est en conséquence fondée à en réclamer le versement ;

Alors 1°) que la transaction portant sur l'ensemble des droits résultant de l'exécution et la rupture du contrat de travail a autorité de la chose jugée quant aux prétentions en résultant nées à la date de sa signature ; que l'arrêt constate que, dans la transaction du 30 mars 2015, les parties se sont accordées sur les indemnités dues à Mme S..., qui a reconnu qu'elles constituaient le solde définitif et irrévocable de tout compte ; que la société lui a versé une indemnité « ayant vocation à réparer l'ensemble des préjudices tant professionnels que moraux que Mme S... prétend subir du fait des modalités d'exécution de son contrat de travail, de sa rupture, des conditions dans lesquelles elle est intervenue et au regard de ses conséquences de toute nature, et notamment ceux expressément invoqués dans le protocole », que Mme S... a « reconnu que les concessions de la société Markem Imaje Industries SASU étaient réalisées à titre transactionnel, forfaitaire et définitif, conformément aux articles 2044 et suivants du code civil et en particulier l'article 2052 du code civil, afin de la remplir de tous ses droits et pour mettre fin à tout différend né ou à naître des rapports de droit ou de fait ayant pu exister », a « déclaré expressément renoncer à toute prétention, réclamation, action ou instance de quelque nature qu'elle soit, pouvant avoir pour cause, conséquence ou objet, directement ou indirectement, l'exécution ou la cessation des fonctions qu'elle a exercées au sein de la société ou du groupe auquel elle appartient » et qu'elle a « renoncé à toute action ou instance liée à la rupture de son contrat de travail, indiqué n'avoir plus aucune demande à formuler à quelque titre que ce soit et a renoncé à toute instance ou action judiciaire relative au présent litige » ; qu'en ayant retenu que la salariée pouvait, malgré cette transaction, réclamer une indemnité de non-concurrence, motif pris que la transaction ne comprenait aucune mention dont il résulterait que les parties avaient réglé cette question, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations dont il résultait que les parties avaient réglé l'ensemble des modalités de la rupture du contrat de travail et du solde de tout compte de la salariée et avaient mis fin à tout litige, né ou à naître, lié à l'exercice ou à la rupture du contrat de travail, a violé les articles 1134, 2044 et 2052 du code civil dans leur rédaction alors applicable, ensemble les articles 2048 et 2049 du même code ;

Alors 2°) qu'en s'étant fondée sur la circonstance que la société Markem Imaje Industries ne justifiait pas avoir levé la clause de non-concurrence, laquelle était inopérante dès lors que, comme l'avaient relevé les premiers juges, le licenciement ayant été prononcé le 16 mars 2015, la société avait huit jours pour renoncer à la clause et ne l'avait pas fait, qu'à la date de la signature de la transaction, le 30 mars 2015, la salariée n'ignorait pas que la clause était maintenue et pouvait être indemnisée et qu'une transaction à la portée aussi large que celle conclue s'opposait à toute demande à ce titre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134, 2044 et 2052 du code civil dans leur rédaction alors applicable, ensemble les articles 2048 et 2049 du même code.