Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 18 décembre 2019, 18-12.643, Inédit

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Résumé

Apport de la jurisprudence : Requalification / Contrat / Temps complet / Résiliation

Une salariée ayant fait valoir ses droits à la retraite sollicite la requalification de son contrat de travail à temps complet et sa résiliation judiciaire.

De l’avis de la Cour de cassation, l’employeur a la possibilité de renverser la présomption simple de contrat à temps complet dans un contrat ne mentionnant ni la durée, ni la répartition s’il apporte la preuve de la durée effective du contrat. Il ressortait des faits que le travail était organisé en tenant compte des impératifs familiaux de la salariée.

Cass. soc., 18 décembre 2019, n°18-12643

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Caen, 22 décembre 2017), que Mme M... a été engagée à compter du 1er juin 1995 par la Pharmacie du pont à Trouville-sur-mer, d'abord en qualité de pharmacienne adjointe puis, à compter du 1er juillet 2009, en qualité de pharmacienne ; que la salariée a saisi la juridiction prud'homale de demandes tendant, notamment, à la requalification de la relation de travail en contrat à temps complet et au prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail ; qu'elle a fait valoir ses droits à la retraite le 30 juin 2016 ;

Attendu que la salariée fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes de requalification de la relation de travail en contrat de travail à temps plein et de rappel de salaire consécutif alors, selon le moyen :

1°/ que l'absence de mention de la durée du travail et de sa répartition fait présumer que l'emploi est à temps complet et il incombe à l'employeur qui conteste cette présomption de démontrer, d'une part, la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle convenue, d'autre part que le salarié n'était pas placé dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu'il n'avait pas à se tenir constamment à la disposition de l'employeur ; qu'en l'espèce, pour refuser la requalification du contrat de travail à temps partiel en temps plein en l'absence d'écrit comportant les précisions suffisantes, la cour d'appel a retenu que la durée du travail convenue était de 86,67 heures par mois, que la salariée travaillait principalement le lundi et le mercredi ainsi que pendant les vacances des pharmaciens titulaires et qu'elle savait pouvoir compter sur une souplesse d'organisation de la répartition de ses heures de travail pour concilier ses contraintes professionnelles et familiales, la possibilité lui étant offerte de refuser certains jours de travail ; qu'en statuant ainsi par des motifs ne permettant pas de caractériser que la salariée n'était pas placée dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme elle devait travailler, faute notamment de constater que, au-delà de la prise en compte ponctuelle de certaines contraintes personnelles de la salariée, les plannings, y compris de vacances des employeurs, étaient établis et notifiés à la salariée dans un délai raisonnable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L3123-14 du code du travail dans sa version applicable au litige ;

2°/ que les juges du fond ne peuvent pas dénaturer les écrits soumis à leur appréciation ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a affirmé qu'« il résulte des attestations des salariées de la pharmacie
que les parties avaient convenu qu'elle travaillerait principalement le lundi et le mercredi matin et assurerait le remplacement des époux L... durant leurs congés » ; que cependant l'attestation de Mme N... visait, sans autre précision « 2 à 3 matinées par semaine » ; que Mme H... indiquait que Mme M... travaillait « quelques matinées par semaine, assez régulièrement le lundi matin et quelquefois le mercredi et le samedi » et Mme U... témoignait que la salariée « faisait tout au plus 2 à 3 matinées par semaine particulièrement le lundi et le samedi voire le mercredi » ; que les autres attestations de salariés étaient taisantes sur la répartition du temps de travail de Mme M... ; qu'il n'était donc pas fait état d'un travail principalement le mercredi matin, ni d'aucune régularité un autre jour de la semaine que le lundi ; qu'il en résulte que la cour d'appel a dénaturé les attestations versées aux débats dont elle ne pouvait déduire une certaine prévisibilité d'un travail principalement le lundi et le mercredi matin, en violation du principe susvisé ;

Mais attendu qu'après avoir relevé que le contrat de travail du 1er juillet 2009 ne mentionnait ni la durée du travail ni sa répartition, la cour d'appel a pu écarter la présomption d'emploi à temps complet qui en résultait en constatant, sans commettre la dénaturation alléguée et sans avoir à effectuer une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que l'employeur rapportait la preuve de la durée exacte de travail convenue et établissait qu'avait été mise en place une organisation du travail d'une grande souplesse, tenant compte des impératifs familiaux de la salariée, de sorte que celle-ci n'avait pas à se tenir en permanence à sa disposition ; qu'elle a légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme M... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit décembre deux mille dix-neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour Mme M...


Il est fait grief à la décision confirmative attaquée d'AVOIR dit et jugé que le contrat de travail de Mme M... est bien un contrat à temps partiel et qu'aucun manquement suffisamment grave de l'employeur ne justifie la résiliation judiciaire du contrat de travail et d'AVOIR débouté Mme M... de ses demandes et notamment de sa demande de requalification de son contrat de travail à temps plein et de ses demandes de rappel de salaire, de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail et de ses demandes indemnitaires en découlant ;

AUX MOTIFS QUE « Selon l'article L3123-14 du code du travail, le contrat de travail à temps partiel est un contrat écrit devant comporter un certain nombre de mentions, notamment la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue et la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois, ainsi que les modalités selon lesquelles les horaires de travail pour chaque journée travaillée sont communiquées par écrit chaque mois au salarié, à défaut desquelles le contrat de travail est présumé à temps complet, l'employeur ayant la faculté d'apporter la preuve que le salarié était en mesure de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu'il n'avait pas à se tenir constamment à sa disposition. La convention collective applicable prévoit que toute modification de la répartition ou de la durée entre les jours de la semaine ou les semaines du mois est notifiée au salarié sept jours ouvrés au moins avant la date à laquelle elle intervient. Il est constant que le contrat de travail, signé le 1er juillet 2009, entre Mme M... et la société Pharmacie du Pont ne spécifiait ni la durée de travail de la salariée ni sa répartition entre les jours de la semaine ou les semaines du mois ni le volume d'heures complémentaires. Mme M... expose que jusqu'au mois de février 2015 elle était rémunérée de 86,67 heures outre 8 heures complémentaires, lesquelles lui ont été supprimées. Elle soutient qu'elle se tenait à la disposition constante de son employeur qui lui demandait par SMS, de venir travailler au dernier moment ou de remplacer ses employés à la pharmacie dès que le besoin s'en faisait ressentir de telle sorte que le délai de prévenance minimum légal n'a jamais été remplacé. Elle ajoute que l'employeur est dans l'incapacité de justifier de ses horaires exacts de travail. Elle s'appuie sur des transcriptions d'échanges de SMS entre le 4 avril 2014 et le 27 mai 2015, citant les journées des 16 mars 2015, 4 avril 2015 et 22 avril 2015 et sur le tableau des heures effectuées pour les années 2010 à 2015 faisant apparaître des variations d'heures. Afin de renverser la présomption de travail à temps plein en l'absence de stipulation contractuelle de la durée du travail et de sa répartition l'employeur soutient : - en premier lieu et à juste titre, qu'il résulte des propres écritures de Mme M..., qu'elle connaissait parfaitement la durée contractuelle de travail de 86,66 heures mensuelles, laquelle est corroborée par les bulletins de paie de la salariée ; l'employeur explique que le contrat avait été rédigé, dans ces termes, afin de faciliter l'accès au logement de la salariée, en plein divorce ; - en second lieu, que les parties avaient, au fil des années, mis en place une organisation du travail, d'une grande souplesse, tenant compte des impératifs familiaux de la salariée, qui n'avait pas pour effet de la tenir à disposition permanente de l'employeur. En effet, il résulte des attestations des salariées de la pharmacie que Mme M... était confrontée, elle-même, à des problèmes de disponibilité liés à son divorce et à la prise en charge de sa fille, souffrant d'un lourd handicap et placée en IME de sorte que les parties avaient convenu qu'elle travaillerait principalement le lundi et le mercredi matin et assurerait le remplacement des époux L... durant leurs congés. Les autres salariés témoignent d'une ambiance agréable et familiale pour établir les emplois du temps. L'employeur communique, à son tour, des SMS démontrant qu'il interroge la salariée sur sa disponibilité en fonction de ses impératifs et que la salariée est tout à fait en capacité de répondre par l'affirmative ou par la négative. Il cite en exemple la journée du mercredi 13 mai 2015 où il lui demande si elle a sa fille pour le week-end et si elle peut se libérer pour le samedi suivant et se voit opposer un refus pour ce motif. Il cite encore l'exemple de l'organisation des congés, où interrogé le 25 février 2014, il accepte qu'elle ne soit pas libre durant l'intégralité des congés. L'employeur démontre ainsi que dans le cas d'espèce, la salariée connaissait, à la fois, la durée mensuelle convenue, et savait pouvoir compter sur une souplesse d'organisation de la répartition de ses heures de travail pour concilier ses contraintes professionnelles et familiales, de sorte qu'elle n'avait pas à se tenir en permanence à la disposition de l'employeur. Cette analyse est corroborée par le fait que ses collègues attestent de ce qu'elle a pu travailler dans d'autres officines. La cour confirme le jugement en ce qu'il a débouté Mme M... de sa demande de requalification de son contrat de travail à temps partiel en temps plein et des demandes de rappel de salaire subséquentes » ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « Lors de l'absence de mentions légales exigées dans un contrat de travail à temps partiel, il appartient à l'employeur de rapporter la preuve d'une part qu'il s'agissait bien d'un emploi à temps partiel et d'autre part que le salarié n'était pas dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu'il n'était pas obligé de se tenir constamment à la disposition de l'employeur. Dans cette affaire, le défendeur apporte bien la preuve qu'il s'agissait d'un temps partiel : les bulletins de salaire à partir de juillet 2009 font constamment référence à une base de travail de 86,67 heures sans aucune contestation de la part de Mme M... pendant des années, les autres salariées attestent toutes du temps partiel effectué par Mme M... depuis le début de son embauche, le relevé du décompte du temps de travail établi par Mme M... correspond à cette base de 86,67 heures mensuelles ; le demandeur avait donc bien connaissance de la durée mensuelle convenue avec la Pharmacie du Pont. Les différents échanges de SMS, les plannings, les attestations démontrent que les plannings étaient faits en fonction des disponibilités de Mme M... en raison de ses problèmes personnels, d'où la difficulté pour l'employeur d'établir des jours fixes de travail et non pas l'inverse, l'employeur allant jusqu'à la dispenser de venir alors qu'elle devait les remplacer pendant leurs congés. En juin 2015, dans les échanges de mails, lorsque M. T... lui propose de choisir ses jours de travail pour les fixer, c'est Mme M... qui demande une alternance dans ses jours de travail. Mme M..., depuis juillet 2009, a toujours travaillé à temps partiel sur une base de 86,67 heures sauf pendant les congés et ne se tenait à aucun moment à la disposition de son employeur, lequel s'efforçait d'arranger ses plannings en fonction de ses obligations personnelles. Mme M... sera donc déboutée de sa demande de requalification de son contrat de travail à temps plein et par conséquent de ses demandes de rappel de salaire » ;

1) ALORS QUE l'absence de mention de la durée du travail et de sa répartition fait présumer que l'emploi est à temps complet et il incombe à l'employeur qui conteste cette présomption de démontrer, d'une part, la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle convenue, d'autre part que le salarié n'était pas placé dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu'il n'avait pas à se tenir constamment à la disposition de l'employeur ; qu'en l'espèce, pour refuser la requalification du contrat de travail à temps partiel en temps plein en l'absence d'écrit comportant les précisions suffisantes, la cour d'appel a retenu que la durée du travail convenue était de 86,67 heures par mois, que la salariée travaillait principalement le lundi et le mercredi ainsi que pendant les vacances des pharmaciens titulaires et qu'elle savait pouvoir compter sur une souplesse d'organisation de la répartition de ses heures de travail pour concilier ses contraintes professionnelles et familiales, la possibilité lui étant offerte de refuser certains jours de travail ; qu'en statuant ainsi par des motifs ne permettant pas de caractériser que la salariée n'était pas placée dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme elle devait travailler, faute notamment de constater que, au-delà de la prise en compte ponctuelle de certaines contraintes personnelles de la salariée, les plannings, y compris de vacances des employeurs, étaient établis et notifiés à la salariée dans un délai raisonnable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L3123-14 du code du travail dans sa version applicable au litige ;

2) ALORS QUE les juges du fond ne peuvent pas dénaturer les écrits soumis à leur appréciation ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a affirmé qu'« il résulte des attestations des salariées de la pharmacie
que les parties avaient convenu qu'elle travaillerait principalement le lundi et le mercredi matin et assurerait le remplacement des époux L... durant leurs congés » (arrêt page 3, avant-dernier §) ; que cependant l'attestation de Mme N... visait, sans autre précision « 2 à 3 matinées par semaine » ; que Mme H... indiquait que Mme M... travaillait « quelques matinées par semaine, assez régulièrement le lundi matin et quelquefois le mercredi et le samedi » et Mme U... témoignait que la salariée « faisait tout au plus 2 à 3 matinées par semaine particulièrement le lundi et le samedi voire le mercredi » ; que les autres attestations de salariés (cf. productions n° 11, 12, 14, 15) étaient taisantes sur la répartition du temps de travail de Mme M... ; qu'il n'était donc pas fait état d'un travail principalement le mercredi matin, ni d'aucune régularité un autre jour de la semaine que le lundi ; qu'il en résulte que la cour d'appel a dénaturé les attestations versées aux débats dont elle ne pouvait déduire une certaine prévisibilité d'un travail principalement le lundi et le mercredi matin, en violation du principe susvisé.