Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 19 avril 2023, 21-23.348, Publié au bulletin

Ref:UAAAKD9W

Résumé

Apport de la jurisprudence : Délégué syndical / Renonciation / Syndicat / Désignation / L.2143-3

Le refus d’être désigné délégué syndical à un instant « t » lorsque les conditions sont remplies, ne prive pas le syndicat de désigner la personne ayant refusé plus tard, au cours du même cycle électoral.

La renonciation par l'élu ou le candidat, ayant recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections au comité social et économique, au droit d'être désigné délégué syndical, qui permet au syndicat représentatif de désigner un adhérent ou un ancien élu en application de l'alinéa 2 de l'article L. 2143-3 du code du travail, n'a pas pour conséquence de priver l'organisation syndicale de la possibilité de désigner ultérieurement, au cours du même cycle électoral, l'auteur de la renonciation en qualité de délégué syndical.

Cass. soc., 19 avril 2023, n°21-23.348

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC. / ELECT

BD4



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 19 avril 2023




Rejet


M. SOMMER, président



Arrêt n° 500 FS-B

Pourvoi n° N 21-23.348




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 19 AVRIL 2023

1°/ la société Sodexo en France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 8],

2°/ la société Sodexo santé médico social, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 8],

3°/ la Société de restauration auberge à Liens, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],

4°/ la société Sodexo entreprises, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 8],

5°/ la société Sogeres, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4],

6°/ la société La Normande, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5],

7°/ la société Sagere, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 12],

8°/ la société C'Midy, société d'économie mixte, dont le siège est [Adresse 8],

9°/ la Société française de Restauration et services, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 8],

10°/ la Société bretonne de Restauration et services, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],

11°/ la Société marseillaise de restauration et services, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],

12°/ la Société thononaise de restauration et services, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 6],

ont formé le pourvoi n° N 21-23.348 contre le jugement rendu le 5 octobre 2021 par le tribunal judiciaire de Versailles (contentieux des élections professionnelles), dans le litige les opposant :

1°/ à Mme [V] [W], domiciliée [Adresse 9],

2°/ au Syndicat national des métiers de la restauration collective Inova CFE-CGC, dont le siège est maison de la CFE-CGC, [Adresse 7],

défendeurs à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Les organisations syndicales et professionnelles d'employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel ont été auditionnées, en présence des conseils des parties, lors de l'audience publique du 18 janvier 2023, conformément aux articles L. 431-3-1 du code de l'organisation judiciaire et 1015-2 du code de procédure civile.

Sur le rapport de Mme Sommé, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat des sociétés Sodexo en France, Sodexo santé médico social, Sodexo entreprises, de la Société de restauration auberge à Liens, des sociétés Sogeres, La Normande, Sagere, C'Midy, de la Société francaise de restauration et services, de la société bretonne de Restauration et services, de la société marseillaise de Restauration et services, de la société thononaise de Restauration et services, de la SARL Cabinet Briard, avocat de Mme [W], et du Syndicat national des métiers de la restauration collective Inova CFE-CGC, et l'avis de Mme Laulom, avocat général, après débats en l'audience publique du 22 mars 2023 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Sommé, conseiller rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, M. Rinuy, Mmes Ott, Bouvier, Bérard, conseillers, Mme Lanoue, M. Le Masne de Chermont, Mme Ollivier, conseillers référendaires, Mme Laulom, avocat général, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire de Versailles, 5 octobre 2021), un accord relatif à la représentation du personnel, à l'exercice du droit syndical et au dialogue social, conclu le 11 février 2019 entre, d'une part, les sociétés Sodexo en France, Sodexo santé médico social, Sodexo entreprises, la Société de restauration auberge à Liens, les sociétés Sogeres, La Normande, Sagere, C'Midy, la Société francaise de restauration et services, la Société bretonne de restauration et services, la Société marseillaise de restauration et services et la Société thononaise de restauration et services, regroupées sous l'appellation Sodexo France (les sociétés), d'autre part, les organisations syndicales représentatives CFDT, CFE-CGC, CGT et CGT-FO, a instauré sept établissements distincts, dont celui de [Localité 11] [Localité 10].

2. Aux termes de cet accord, les organisations syndicales représentatives peuvent désigner, dans chaque établissement, des délégués syndicaux régionaux dont le nombre dépend des effectifs de l'établissement. Ce nombre est de douze par organisation syndicale représentative pour l'établissement de [Localité 11] [Localité 10].

3. A la suite des élections des membres du comité social et économique de cet établissement, dont le premier tour s'est déroulé du 8 au 18 octobre 2019, Mme [W], qui avait obtenu plus de 10 % des suffrages, a été désignée déléguée syndicale régionale par le Syndicat national des métiers de la restauration collective Inova CFE-CGC (le syndicat). Elle a renoncé à cette désignation par écrit du 8 juin 2020 et, le 9 juin suivant, le syndicat a désigné l'une de ses adhérentes, Mme [I], pour la remplacer.

4. Le 30 juin 2021, le syndicat a désigné à nouveau Mme [W] comme déléguée syndicale régionale au sein de l'établissement [Localité 11] [Localité 10] en remplacement d'un autre délégué syndical régional.

5. Soutenant que cette désignation était irrégulière au motif que la renonciation au droit d'être désigné délégué syndical valait pour tout le cycle électoral, par requête du 13 juillet 2021, les sociétés ont saisi le tribunal judiciaire d'une demande d'annulation de la désignation, le 30 juin 2021, de Mme [W] en qualité de délégué syndical régional de l'établissement [Localité 11] [Localité 10].

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. Les sociétés font grief au jugement de rejeter leur demande d'annulation de la désignation, en date du 30 juin 2021, de Mme [W] en qualité de délégué syndical régional par le syndicat, alors « que la renonciation d'un salarié, qui a présenté sa candidature aux dernières élections professionnelle et a obtenu au moins 10 % des suffrages exprimés, à être désigné délégué syndical est définitive et vaut, en conséquence, pour toute la durée du cycle électoral restant à courir jusqu'aux prochaines élections ; que ce dernier ne peut donc revenir sur sa renonciation et être ultérieurement désigné à nouveau en qualité de délégué syndical ; qu'en considérant qu'en l'absence de précision de la loi dans un sens ou dans un autre, la renonciation d'un salarié à être désigné délégué syndical ne vaut qu'à l'occasion d'une désignation tout en perdurant tant que la personne qui y a procédé ne revient pas dessus et en validant, en conséquence, la nouvelle désignation, en date du 30 juin 2021, par le syndicat national des métiers de la restauration collective Inova CFE-CGC, de Mme [W] en qualité de déléguée syndicale régionale bien que celle-ci ait, un an plus tôt, le 8 juin 2021, expressément renoncé par écrit à être désignée déléguée syndicale, le tribunal judiciaire a violé les articles 2003 et 2007 du code civil et l'article L2143-3 , alinéa 2, du code du travail. »

Réponse de la Cour

8. L'article L2143-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, fait obligation au syndicat représentatif qui désigne un délégué syndical de le choisir parmi les candidats aux élections professionnelles qui ont recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections au comité social et économique. Aux termes du deuxième alinéa de ce texte, si aucun des candidats présentés par l'organisation syndicale aux élections professionnelles ne remplit les conditions mentionnées au premier alinéa de ce texte, ou s'il ne reste, dans l'entreprise ou l'établissement, plus aucun candidat aux élections professionnelles qui remplit ces conditions, ou si l'ensemble des élus qui remplissent les conditions mentionnées audit premier alinéa renoncent par écrit à leur droit d'être désigné délégué syndical, le syndicat peut désigner un délégué syndical parmi les autres candidats ou, à défaut, parmi ses adhérents au sein de l'entreprise ou de l'établissement ou parmi ses anciens élus ayant atteint la limite de durée d'exercice du mandat au comité social et économique fixée au deuxième alinéa de l'article L. 2314-33.

9. Par la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, le législateur a entendu éviter l'absence de délégué syndical dans les entreprises.

10. Eu égard aux travaux préparatoires à la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, la mention de l'article L2143-3 , alinéa 2, du code du travail selon laquelle « si l'ensemble des élus qui remplissent les conditions mentionnées audit premier alinéa renoncent par écrit à leur droit d'être désigné délégué syndical, le syndicat peut désigner un délégué syndical parmi les autres candidats ou, à défaut, parmi ses adhérents au sein de l'entreprise ou de l'établissement ou parmi ses anciens élus ayant atteint la limite de durée d'exercice du mandat au comité social et économique fixée au deuxième alinéa de l'article L. 2314-33 », doit être interprétée en ce sens que lorsque tous les élus ou tous les candidats qu'elle a présentés aux dernières élections professionnelles ont renoncé préalablement à être désignés délégué syndical, l'organisation syndicale peut désigner comme délégué syndical l'un de ses adhérents au sein de l'entreprise ou de l'établissement ou l'un de ses anciens élus ayant atteint la limite de trois mandats successifs au comité social et économique.

11. La renonciation par l'élu ou le candidat, ayant recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections au comité social et économique, au droit d'être désigné délégué syndical, qui permet au syndicat représentatif de désigner un adhérent ou un ancien élu en application de l'alinéa 2 de l'article L2143-3 précité, n'a pas pour conséquence de priver l'organisation syndicale de la possibilité de désigner ultérieurement, au cours du même cycle électoral, l'auteur de la renonciation en qualité de délégué syndical.

12. Le tribunal, qui a constaté que Mme [W] était revenue sur sa renonciation du 8 juin 2020 à son droit d'être désignée déléguée syndicale en manifestant son souhait d'être désignée en cette qualité lors de la fin d'un mandat et qu'elle remplissait toujours les conditions pour être désignée, en a déduit à bon droit que la salariée avait été valablement désignée par le syndicat en qualité de délégué syndical régional.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés Sodexo en France, Sodexo santé médico social, Sodexo entreprises, la Société de restauration auberge à Liens, les sociétés Sogeres, La Normande, Sagere, C'Midy, la Société francaise de restauration et services, la Société bretonne de restauration et services, la Société marseillaise de restauration et services et la Société thononaise de restauration et services, et les condamne à payer au Syndicat national des métiers de la restauration collective Inova CFE-CGC et à Mme [W] la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf avril deux mille vingt-trois.