Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 29 septembre 2021, 19-23.751, Inédit

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Résumé

Apport de la jurisprudence : Convention collective / Clause de mobilité / Transfert d’entreprise / Obligation de transfert / Reprise de marché

A l’issue d’un transfert d’un salarié suite à la perte d’un marché, le repreneur de ce dernier, soumet un avenant comportant une clause de mobilité sur plusieurs départements. Jugeant cette clause abusive et exigeant seulement une localité spécifique, le salarié a saisi la juridiction pour voir son contrat se poursuivre dans les mêmes conditions  et ordonner la reprise du salaire.  Pour le salarié, le refus de la clause de mobilité n’était pas de nature à faire échec au transfert. En l’espèce, il existait un accord collectif de branche relatif à la reprise du personnel de la convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité ainsi qu’un avenant à ce dernier organisant les modalités du transfert. La Cour de cassation considère que la perte d’un marché n’est pas de nature à faire échec au transfert lorsque le salarié n’a pas été licencié et qu’un accord collectif organise le transfert.

Cass soc. 29 septembre 2021 n°13-23751

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

LG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 29 septembre 2021




Cassation partielle


Mme LEPRIEUR, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 1095 F-D

Pourvoi n° J 19-23.751

Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. [M].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 17 octobre 2019.




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 29 SEPTEMBRE 2021

M. [S] [M], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° J 19-23.751 contre l'arrêt rendu le 31 octobre 2018 par la cour d'appel de Nancy (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société Fiducial Private Security, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Le Corre, conseiller référendaire, les observations de Me [Q], avocat de M. [M], après débats en l'audience publique du 6 juillet 2021 où étaient présents Mme Leprieur, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Le Corre, conseiller référendaire rapporteur, Mme Mariette, conseiller, Mme Laulom, avocat général, et Mme Lavigne greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 31 octobre 2018), M. [M], salarié de la société Triomphe sécurité à laquelle était applicable la convention collective des entreprises de prévention et de sécurité, occupait en dernier lieu les fonctions de chargé de sécurité au centre commercial Saint-Sébastien à Nancy dont le marché a été perdu au profit de la société Fiducial Private Security à effet au 1er juillet 2015.

2. Par lettre du 15 juin 2015, la société Fiducial Private Security a proposé au salarié le transfert de son contrat de travail puis lui a soumis un avenant contenant une clause de mobilité sur plusieurs départements.

3. Considérant cette clause abusive, M. [M] a demandé, par lettre du 29 juin 2015, une modification de l'avenant pour se voir affecter sur la seule région Lorraine et en priorité sur le site [Localité 3] à [Localité 1] et a indiqué qu'à cette condition, il pourrait accepter la reprise de son contrat de travail par la société.

4. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale aux fins notamment de voir dire que la société Fiducial Private Security était son employeur depuis le 1er juillet 2015, d'ordonner la poursuite du contrat de travail dans les mêmes conditions à compter de cette date, d'ordonner la reprise du versement du salaire et de condamner cette société à lui verser des dommages-intérêts pour inexécution du contrat de travail.

5. Par jugement du 3 novembre 2015, un conseil de prud'hommes a ordonné la poursuite du contrat de travail du salarié à compter du 1er juillet 2015 et la reprise du versement des salaires. M. [M] a signé avec la société Fiducial Private Security une convention de rupture le 7 juin 2016.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que son contrat de travail n'a pas été transféré à la société Fiducial private security et de le débouter de ses demandes tendant à ce que soit ordonnée sous astreinte la poursuite de son contrat de travail avec la société Fiducial Private Security et la reprise du versement de son salaire à compter du 1er juillet 2015 et à ce que celle-ci soit condamnée à lui verser des dommages-intérêts, alors « que les articles 3.1.1 et 3.1.2 de l'avenant du 28 janvier 2011 à l'accord du 5 mars 2002 relatif à la reprise du personnel de la convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité ne comportent aucune disposition permettant à l'entreprise entrante de soumettre la reprise du salarié de la société sortante à son acceptation d'une clause de mobilité ne figurant pas dans son contrat de travail; qu'en considérant que la société Fiducial private security était en droit de proposer l'introduction d'une clause de mobilité dans le contrat de travail pour en déduire que le transfert du contrat de travail ne s'était pas opéré du fait du refus du salarié d'accepter une telle clause, la cour d'appel a violé les textes susvisés. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 3.1.1 et 3.1.2 de l'avenant du 28 janvier 2011 à l'accord du 5 mars 2002 relatif à la reprise du personnel de la convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité du 15 février 1985 :

7. Selon le premier de ces textes, concomitamment à l'envoi à l'entreprise sortante de la liste des salariés repris, l'entreprise entrante notifiera à chacun d'eux, par un courrier recommandé avec avis de réception ou remis en main propre contre décharge, son transfert en son sein. Elle établira un avenant au contrat de travail dans lequel elle mentionnera le changement d'employeur et reprendra l'ensemble des clauses contractuelles qui lui seront applicables sous réserve du respect des dispositions de l'article 3.1.2.

8. Selon le second de ces textes, dans l'avenant au contrat de travail prévu à l'article 3.1.1, l'entreprise entrante doit obligatoirement mentionner la reprise des éléments suivants :
- l'ancienneté acquise avec le rappel de la date d'ancienneté contractuelle ;
- les niveau, échelon, coefficient et emploi constituant la classification ;
- le salaire de base et des primes constantes soumises à cotisation, payées chaque mois et figurant sur les 9 derniers bulletins de paie ainsi que les éventuels éléments bruts de rémunération contractuels à l'exclusion de ceux ayant le même objet déjà pris en charge sous une autre forme par l'entreprise entrante ;
- le salarié transféré aura droit à un congé sans solde équivalant aux droits acquis à la date du transfert et pris conformément aux dispositions légales régissant les conditions de départ en congé payé.

9. Pour débouter le salarié de ses demandes, l'arrêt retient d'abord que l'accord interprofessionnel du 5 mars 2002, modifié par avenant du 28 janvier 2011, prévoit la reprise des contrats de travail au sein des entreprises de prévention et de sécurité, en cas de perte ou de reprise d'un marché, et que son article 2.4, relatif aux modalités du transfert, dispose que l'entreprise entrante informe individuellement les salariés concernés de sa proposition de reprise, laquelle est accompagnée d'un avenant au contrat de travail, établi conformément à l'article 3.2 de cet accord. L'arrêt ajoute que le changement d'employeur ainsi prévu et organisé par voie conventionnelle suppose l'accord exprès du salarié, lequel ne peut résulter de la seule poursuite de son contrat de travail sous une autre direction et est conditionné à la signature d'un avenant prévoyant un changement d'employeur.

10. L'arrêt relève ensuite que par lettre du 19 juin 2015, la société Fiducial Private Security a transmis au salarié un avenant à son contrat de travail en date du 18 juin 2015, à retourner paraphé et signé, prévoyant en son article 3 ( lieu de travail") un rattachement à [Localité 2], avec la possibilité d'être affecté sur le site de l'un quelconque des clients de l'entreprise situés dans le ressort de l'agence de rattachement dans les départements 67,68, 54, 57, 88, 90, 25".

11. L'arrêt retient également que le salarié a exprimé par écrit, le 29 juin 2015, son refus exprès de voir transférer son contrat de travail à la société Fiducial Private Security, au motif qu'il refusait d'accepter la clause de mobilité figurant dans l'avenant soumis à sa signature. L'arrêt en déduit que le salarié n'ayant pas signé l'avenant, le transfert du contrat de travail n'a pu s'opérer.

12. En statuant ainsi, alors que les articles 3.1.1 et 3.1.2 de l'avenant du 28 janvier 2011 ne comportent aucune disposition permettant à l'entreprise entrante de soumettre la reprise d'un salarié de la société sortante à son acceptation d'une clause de mobilité ne figurant pas dans son contrat de travail et qui n'est pas prévue par la convention collective applicable, la cour d'appel a violé, par fausse application, les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

13. La cassation des chefs de dispositif disant que le contrat de travail de M. [M] n'a pas été transféré à la société Fiducial Private Security le 1er juillet 2015, et le déboutant de sa demande de dommages-intérêts pour manquement à l'exécution loyale du contrat de travail et paiement tardif des salaires, emporte cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant le salarié aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'au paiement d'une somme au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que le contrat de travail de M. [M] n'a pas été transféré à la société Fiducial Private Security le 1er juillet 2015 et déboute le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour manquement à l'exécution loyale du contrat de travail et paiement tardif des salaires, et en ce qu'il condamne le salarié aux dépens de première instance et d'appel et au paiement de la somme de 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d'appel, l'arrêt rendu le 31 octobre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;

Condamne la société Fiducial Private Security aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Fiducial Private Security à payer à Me [Q] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, prononcé en l'audience publique du vingt-neuf septembre deux mille vingt et un, et signé par Mme Mariette, conseiller le plus ancien en ayant délibéré, en remplacement du président et du conseiller référendaire rapporteur empêchés, conformément aux dispositions des articles 452, 456 et 1021 du code de procédure civile. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par Me [Q], avocat aux Conseils, pour M. [M]


Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué D'AVOIR dit que le contrat de travail de M. [M] n'a pas été transféré à la société Fiducial private security et D'AVOIR débouté M. [M] de ses demandes tendant à ce que soit ordonnée sous astreinte la poursuite de son contrat de travail avec la société Fiducial private security et la reprise du versement de son salaire à compter du 1er juillet 2015 et à ce que la société Fiducial private security soit condamnée à lui verser des dommages-intérêts ;

AUX MOTIFS QUE, sur le transfert du contrat de travail, l'accord interprofessionnel du 5 mars 2002, modifié par un avenant en date du 28 janvier 2011, prévoit la reprise, des contrats de travail au sein des entreprises de prévention et de sécurité, en cas de perte ou de reprise d'un marché, au profit des salariés totalisant six mois d'ancienneté sur le site concerné, à compter de la date effective du contrat de transfert de marché conclu entre l'entreprise sortante et l'entreprise entrante ; que l'article 2.4 relatif aux modalités du transfert, ainsi convenu par voie conventionnelle, dispose que l'entreprise entrante informe individuellement les salariés concernés de sa proposition de reprise, laquelle est accompagnée d'un avenant au contrat de travail, établi conformément à l'article 3.2 de cet accord ; que cette proposition doit mentionner le délai maximal de réponse fixé à quatre jours ouvrables et doit rappeler au salarié que l'absence de réponse de sa part sera considéré comme un refus ; qu'à l'issue du délai de réponse fixé à l'alinéa ci-dessus, l'entreprise entrante informe, sous 48 heures, par lettre recommandée avec accusé de réception l'entreprise sortante de la liste des salariés ayant accepté ou refusé le transfert de leur contrat de travail ; que le changement d'employeur ainsi prévu et organisé par voie conventionnelle pour les entreprises de prévention et de sécurité, en cas de perte ou de reprise d'un marché, suppose l'accord exprès du salarié, lequel ne peut résulter de la seule poursuite de son contrat de travail sous une autre direction ; qu'en l'espèce, il est constant que par lettre recommandée avec avis dc réception en datée du 15 juin 2015, la société Fiducial private security a informé M. [M], ainsi que 16 autres salariés de la société Triomphe sécurité, qu'à compter du 1er juillet 2015, le marché de la sécurité du centre commercial [1] à [Localité 1] leur avait été confié, et qu'en conséquence son contrat de travail était transféré au sein de leur structure, en application des dispositions conventionnelles rappelées ci-dessus ; que par lettre datée du 19 juin 2015, la société Fiducial private security a ainsi transmis au salarié un avenant à son contrat de travail en date du 18 juin 2015, à retourner paraphé et signé, prévoyant en son article 3 ("lieu de travail") un rattachement à [Localité 2], avec la possibilité d'être "affecté sur le site de l'un quelconque des clients de l'entreprise situés dans le ressort de l'agence de rattachement dans les départements 67,68, 54, 57, 88, 90, 25" ; que M. [M] a exprimé par écrit, le 29 juin 2015, son refus exprès de voir transférer son contrat de travail à la société Fiducial private security, au motif qu'il refusait d'accepter la clause de mobilité figurant dans l'avenant soumis à sa signature, prévoyant son affectation dans les départements 67, 68, 90 et 25 ; qu'il précise qu'il souhaite une affectation dans la région Lorraine, en priorité sur le site [1] de [Localité 1], sur lequel il exerce depuis plusieurs années, et que c'est à cette seule condition qu'il pourrait accepter la reprise de son contrat de travail par ta société appelante ; qu'ainsi, contrairement à ce qui a été retenu par le conseil des prud'hommes de Nancy, le salarié n'a jamais donné son accord ail transfert de son contrat de travail, même implicitement; que dans son courrier daté du 29 juin 2015, il conditionne au contraire ce transfert à la suppression préalable par la société appelante de la clause de mobilité prévue par la proposition d'un avenant à son contrat de travail qu'il a refusé de signer ; que l'accord du salarié au transfert conventionnel de son contrat de travail doit être exprès, et ne peut se déduire du fait que celui-ci aurait poursuivi son activité professionnelle sur le site [Localité 3] de [Localité 1], sous la direction de la société Fiducial private security ; que postérieurement à son courrier en date du 29 juin 2015, il n'est pas démontré, ni même allégué, que M. [M] aurait expressément donné son accord ait transfert de son contrat de travail, lequel était en tout état de cause conditionné, en application de l'accord interprofessionnel du 5 mars 2002, à la signature d'un avenant prévoyant un changement d'employeur ; que l'accord du salarié au transfert de son contrat de travail ne peut enfin résulter de la seule poursuite de la relation de travail entre les parties, postérieurement au refus exprimé par le salarié de signer l'avenant litigieux ; que cette poursuite n'était pas de surcroît à l'initiative des parties, mais avait été ordonnée par le conseil des prud'hommes de Nancy, dans son jugement rendu le 3 novembre 2015, assorti de l'exécution provisoire ;

ALORS, 1°), QUE les articles 3.1.1 et 3.1.2 de l'avenant du 28 janvier 2011 à l'accord du 5 mars 2002 relatif à la reprise du personnel de la convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité ne comportent aucune disposition permettant à l'entreprise entrante de soumettre la reprise du salarié de la société sortante à son acceptation d'une clause de mobilité ne figurant pas dans son contrat de travail ; qu'en considérant que la société Fiducial private security était en droit de proposer l'introduction d'une clause de mobilité dans le contrat de travail pour en déduire que le transfert du contrat de travail ne s'était pas opéré du fait du refus du salarié d'accepter une telle clause, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

ALORS, 2°), QUE les articles 3.1.1 et 3.1.2 de l'avenant du 28 janvier 2011 à l'accord du 5 mars 2002 relatif à la reprise du personnel de la convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité ne comportent aucune disposition permettant à l'entreprise entrante de soumettre la reprise du salarié de la société sortante à son acceptation d'une clause de mobilité ne figurant pas dans son contrat de travail ; qu'en considérant que la société Fiducial private security était en droit de proposer l'introduction d'une clause de mobilité dans le contrat de travail pour en déduire que le salarié avait fait échec au transfert de son contrat de travail en refusant d'accepter une telle clause et devait être débouté de sa demande indemnitaire, la cour d'appel a violé les textes susvisés, ensemble l'article 1147 du code civil dans sa rédaction applicable en la cause ;

ALORS, 3°) et en tout état de cause, QUE, dans ses conclusions d'appel (pp. 7 et 8), M. [M] faisait valoir que la société entrante avait agi de mauvaise foi en entendant le soumettre à une obligation de mobilité dans le but de le dissuader d'accepter le transfert de son contrat de travail et de s'exonérer de son obligation de reprise ; qu'en laissant sans réponse ce moyen déterminant, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile.