Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 5 mai 2021, 19-16.884, Inédit

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Résumé

Apport de la jurisprudence : CDD successifs / Requalification / CDI / Délai de carence / Périodes interstitielles

La conclusion de plusieurs CDD en 21 ans et pour une moyenne de 145 jours par an ne permet pas au travailleur de s’engager auprès d’un autre employeur et s'apparentaient à des périodes d'attente qui lui étaient imposées et à l'issue desquelles il pouvait espérer être de nouveau sollicité par la société. La durée des périodes interstitielles étaient trop courte, si bien que le travailleur se tenait à la disposition de la société pendant ces périodes.

Cass. soc. 5 mai 2021 n°19-16-884

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

LG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 5 mai 2021




Rejet


M. SCHAMBER, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 507 F-D

Pourvoi n° V 19-16.884




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 5 MAI 2021

La société France Télévisions, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° V 19-16.884 contre l'arrêt rendu le 12 mars 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 8), dans le litige l'opposant à M. [Y] [U], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Rouchayrole, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société France Télévisions, de Me Haas, avocat de M. [U], après débats en l'audience publique du 10 mars 2021 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Rouchayrole, conseiller rapporteur, M. Sornay, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 mars 2019), M. [U] a été engagé à compter du 14 février 1993, selon contrats à durée déterminée successifs, par la société France 2, aux droits de laquelle vient la société France Télévisions, d'abord en qualité d'assistant réalisateur puis de réalisateur son, chargé de l'élaboration de bandes-annonces.

2. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée à temps complet et en paiement de diverses sommes.

3. Le 1er janvier 2016, les parties ont conclu un contrat à durée indéterminée.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à verser au salarié diverses sommes à titre de rappels de salaire, de prime d'ancienneté et de primes de fin d'année, alors « qu'en cas de requalification de contrats à durée déterminée successifs en contrat à durée indéterminée à temps complet, le salarié ne peut obtenir de rappel de salaires pour les périodes interstitielles qu'à la condition de prouver qu'il est resté à la disposition de l'employeur i.e. que pendant ces périodes toute autre activité professionnelle ou personnelle lui était interdite afin de pouvoir répondre immédiatement à toutes les sollicitations de son employeur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a déduit que le salarié se tenait à la disposition permanente de la société France Télévisions de ce qu'il travaillait pour son compte en moyenne 145 jours par an, que les périodes entre les contrats étaient de courte durée, qu'il était prévenu tardivement de ses horaires, que les périodes interstitielles étaient trop courtes pour qu'il puisse chercher un autre employeur, qu'il avait tiré la majeure partie de ses revenus des salaires versés par France Télévisions et que cette dernière n'établissait pas que le salarié lui aurait opposé un refus à la conclusion des contrats d'usage qu'elle lui proposait; qu'en statuant par de tels motifs impropres à caractériser que le salarié qui a travaillé pour d'autres employeurs pendant les périodes interstitielles se tenait à la disposition permanente de la société France Télévisions pendant les périodes séparant chaque contrat, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1245-1 et L1245-2 du code du travail, ensemble l'article 1103 du code civil. »

Réponse de la Cour

5. La cour d'appel a relevé que le salarié avait régulièrement travaillé, en moyenne 145 jours par an, pour le compte de la société France Télévisions ou des sociétés qui l'avaient précédée et que celle-ci n'établissait pas s'être vu opposer le moindre refus à la conclusion d'un contrat à durée déterminée en vingt-et-un ans de collaboration.

6. Ayant constaté que les périodes entre deux contrats étaient trop courtes pour permettre au salarié de s'engager auprès d'un autre employeur et s'apparentaient à des périodes d'attente qui lui étaient imposées et à l'issue desquelles il pouvait espérer être de nouveau sollicité par la société France Télévisions, elle a estimé qu'il se tenait à la disposition de cette dernière pendant ces périodes.

7. La cour d'appel a donc légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société France Télévisions aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société France Télévisions et la condamne à payer à M. [U] la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq mai deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la société France Télévisions


IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné la société France Télévisions à verser à M. [U] diverses sommes à titre de rappel de salaire et congés payés afférents, de rappel de prime d'ancienneté et congés payés afférents et rappel de primes de fin d'année, outre une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'appel

AUX MOTIFS QUE « Sur la requalification en contrat à temps complet ou à temps partiel :
Considérant qu'il n'est ni contesté, ni contestable que les missions effectuées par M. [U] en vertu de ses contrats à durée déterminée d'usage, conclus avec la société FRANCE TELEVISIONS et ses prédécesseurs, correspondaient à des emplois à temps partiel, pour lesquels le contrat de travail du salarié aurait dû, conformément aux dispositions de l'article L3123-14 du code du travail , prévoir la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine et les modalités selon lesquelles les horaires de travail pour chaque journée seraient communiqués au salarié ;
qu' à défaut, le contrat doit être présumé avoir été conclu à temps complet ;
que toutefois, la société FRANCE TELEVISIONS est en mesure de renverser cette présomption si elle démontre la durée exacte hebdomadaire convenue et si elle prouve que le salarié n'était pas placé dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et n'avait pas à se tenir constamment à sa disposition;
Considérant, toutefois, que force est de constater qu'en l'espèce, la société FRANCE TELEVISIONS ne verse aux débats aucun élément susceptible de renverser la présomption de contrat à temps complet alors que, de son côté, M. [U] affirme notamment, sans être contredit, que ses conditions de travail le conduisaient à être très tardivement informé de ces horaires et plannings de travail ;
que la qualification de contrat à durée indéterminée à temps complet revendiquée par M. [U] doit, dès lors, être retenue ;
Considérant, il est vrai, que le caractère à temps complet de la durée contractuelle de travail, n'implique pas que doive, pour autant, être accueillie la demande de rappel de salaire faite par l'appelant, pour les périodes « intercalaires » -qui séparaient deux contrats à durée déterminée- ; qu'il appartient, en effet, à M. [U] , cette fois, de démontrer qu'il était, durant cette période, dans l'obligation de se maintenir, à la disposition de son employeur ;
Mais considérant que M. [U] justifie par la production des contrats et des tableaux non contestés, établis par ses soins, qu'il a pendant onze ans travaillé, en moyenne, chaque année, 145 jours pour le compte de la société FRANCE TELEVISIONS ou des sociétés qui ont précédé celle-ci ;
que contrairement aux prétentions de la société FRANCE TELEVISIONS, les documents fiscaux versés aux débats démontrent que les revenus de l'appelant, provenant de son activité pour la société FRANCE TELEVISIONS, étaient quasiment les seuls, en dehors des allocations de chômage qui ne faisaient pas obstacle à son maintien à disposition de cette société ;
que, de plus, contrairement à l'appréciation des premiers juges, il apparaît à la cour que les périodes intercalaires étaient trop courtes pour permettre à M. [U] de rechercher un autre emploi et de s'engager auprès d'un autre employeur ;
que compte tenu de la régularité et de l'ancienneté de ses engagements par la société FRANCE TELEVISIONS, ces périodes font figure d'attentes imposées par cette société, à l'issue desquelles l'intéressé ne pouvait qu'espérer être à nouveau rapidement sollicité par FRANCE TELEVISIONS -étant précisé que cette dernière ne prouve pas, ni n'allègue que M. [U] lui ait opposé, en 21 ans de collaboration, le moindre refus à la conclusion des contrats d'usage qu'elle lui proposait ;
que dans ces conditions, il est établi que pendant les périodes intercalaires M. [U] se tenait à la disposition de FRANCE TELEVISIONS, comme le confirment les déclarations de revenus de l'appelant démontrant que M. [U] n'avait pas plus d'autres employeurs, durant ces périodes, qu'il n'en avait en période de contrat ;
Considérant qu'il résulte des énonciations qui précèdent que le contrat à durée indéterminée existant depuis le 14 février 1993 doit être requalifié en contrat à durée indéterminée à temps complet, avec rappel de salaire à temps complet également, pour M. [U], durant les périodes intercalaires ;
Sur la demande de rappel de salaire :
Considérant que l'appelant sollicite, aussi, à bon droit le paiement d'un rappel de salaire, durant les périodes intercalaires, sur la base du salaire que lui a proposé la société FRANCE TELEVISIONS , elle-même, à l'occasion de la conclusion du contrat à durée indéterminée à temps complet qu'ils ont signé ensemble, avec effet à compter du 1er septembre 2015 ;
que compte tenu de ce salaire fixe mensuel de 4200 €, la cour, entérinant les calculs et le tableau figurant dans les conclusions de M. [U], accueille donc la demande formée à titre principal par celui-ci, soit 75 680,35 € bruts majorée des congés payés afférents, 7568,03 € »

ALORS QU'en cas de requalification de contrats à durée déterminée successifs en contrat à durée indéterminée à temps complet, le salarié ne peut obtenir de rappel de salaires pour les périodes interstitielles qu'à la condition de prouver qu'il est resté à la disposition de l'employeur i.e que pendant ces périodes toute autre activité professionnelle ou personnelle lui était interdite afin de pouvoir répondre immédiatement à toutes les sollicitations de son employeur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a déduit que M. [U] se tenait à la disposition permanente de la société France Télévisions de ce qu'il travaillait pour son compte en moyenne 145 jours par an, que les périodes entre les contrats étaient de courte durée, qu'il était prévenu tardivement de ses horaires, que les périodes interstitielles étaient trop courtes pour qu'il puisse chercher un autre employeur, qu'il avait tiré la majeure partie de ses revenus des salaires versés par France Télévisions et que cette dernière n'établissait pas que M. [U] lui aurait opposé une refus à la conclusion des contrats d'usage qu'elle lui proposait; qu'en statuant par de tels motifs impropres à caractériser que M. [U] qui a travaillé pour d'autres employeurs pendant les périodes interstitielles se tenait à la disposition permanente de la société France Télévisions pendant les périodes séparant chaque contrat, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1245-1 et L1245-2 du code du travail, ensemble l'article 1103 du code civil.