Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 16 octobre 2019, 18-12.331 18-12.332 18-12.333 18-12.334, Inédit

Ref:UAAAKAF8

Résumé

Apport de la jurisprudence : Rémunération / minima conventionnel / Durée du travail

Lorsque les minimas conventionnels sont définis par rapport à une durée de travail précise et que la durée du travail dans l'entreprise est inférieure à celle-ci, l'appréciation du respect du montant des minimas conventionnels doit s'effectuer au regard de la durée du travail pratiquée dans l'entreprise.

Cass. soc., le 16 octobre 2019, n° 18-12.331, n° 18-12.332, n° 18-12.333, n°18-12.334

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Vu leur connexité, joint les pourvois n° A 18-12.331, B 18-12.332, C 18-12.333 et D 18-12.334 ;

Sur le moyen unique :

Vu l'article 22-3 de l'avenant du 11 octobre 1989 à la convention collective nationale des industries chimiques et connexes (CCNIC) du 30 décembre 1952, l'accord de branche du 19 avril 2006 relatif aux rémunérations minimales, l'accord d'entreprise du 30 juin 1999 sur l'aménagement et la réduction du temps de travail ;

Attendu, selon le premier de ces textes, que la valeur du point sert à déterminer le salaire minimum mensuel correspondant à un coefficient hiérarchique, qu'elle a été fixée sur la base d'une durée de travail hebdomadaire de 38 heures soit, par mois de 165,23 heures, que selon l'article 2 du deuxième texte susvisé, la valeur du point (article 22-3 des clauses communes de la CCNIC) est portée de 6,74 euros à 7,02 euros ;

Attendu, selon les jugements attaqués rendus en dernier ressort, que Mme Y... I... et trois salariées de la Société française de fabrication et de cosmétiques (SFFC) venant aux droits de la société Stendhal, ont saisi la juridiction prud'homale de demandes notamment de rappels de salaires au titre des minima conventionnels ;

Attendu que pour condamner l'employeur à payer à chacune des salariées une certaine somme à titre de complément de salaire, les jugements, après avoir relevé que, par accord d'entreprise du 30 juin 1999, la durée hebdomadaire du travail avait été ramenée de 38 à 35 heures hebdomadaires avec maintien des rémunérations, retiennent que l'accord SFFC n'a pas été respecté, la proratisation invoquée par l'employeur se heurte aux dispositions de l'accord SFFC de 1999 non dénoncé, lesquelles sont toujours en vigueur et plus favorables aux salariés de la société SFFC, que la proratisation se heurterait à l'article 5 des accords nationaux qui indique que ces derniers ne peuvent remettre en cause les accords d'entreprise plus favorables conclus avant son entrée en vigueur, comme c'est le cas de l'accord SFFC de 1999, qu'admettre de réduire les taux horaires des salariés de la société SFFC en appliquant une proratisation des 35/38èmes aboutirait à réduire leur rémunération applicable, telle que définie par l'accord de 1999 conclu antérieurement, pour une durée indéterminée, non dénoncé et toujours en vigueur ;

Qu'en statuant ainsi, alors que les minima conventionnels sont définis par rapport à une durée de travail précise et qu'il avait constaté que la durée du travail dans l'entreprise était inférieure à celle-ci, de sorte que l'appréciation du respect du montant des minima conventionnels devait être effectuée au regard de la durée du travail pratiquée dans l'entreprise, le conseil de prud'hommes a violé les textes susvisés ;

Et vu l'article 627 du code de procédure civile après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du même code ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'ils condamnent la Société française de fabrication de cosmétiques à payer à chacune des salariées une certaine somme à titre de complément de salaire, outre intérêts au taux légal à compter de la notification du jugement, à leur délivrer des bulletins de salaire rectifiés, et à payer la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens, les jugements rendus le 19 décembre 2017, entre les parties, par le conseil de prud'hommes de Pau ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Déboute Mmes Y... I..., N..., K... et F... de leurs demandes au titre du complément de salaire et de la délivrance des bulletins de salaire rectifiés afférents ;

Condamne Mmes Y... I..., N..., K... et F... aux dépens tant de cassation que d'instance ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes tant de cassation que d'instance ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des jugements partiellement cassés ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du seize octobre deux mille dix-neuf. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit aux pourvois n° A 18-12.331 à D 18-12.334 par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la Société française de fabrication de cosmétiques

Le moyen reproche aux jugements attaqués d'avoir condamné la société SFFC (Société française de fabrication de cosmétiques) à payer à chacune des salariées une certaine somme à titre de complément de salaire, qui portera intérêt au taux légal outre une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

AUX MOTIFS QUE le litige soumis au conseil de prud'hommes porte sur l'interprétation qu'il convient de donner à deux accords de salaires, l'un signé en 1999 au niveau local de la société SFFC et l'autre signé en 2006 au niveau national par l'Union des industries chimiques (UIC) et les organisations syndicales de la branche chimie ;
Qu'il ressort de l'accord local de la société SFFC en date du 30 juin 1999 que le maintien de la rémunération des salariés, alors que l'horaire de travail était ramené de 38 heures à 35 heures, aboutissait à une revalorisation du taux horaire de chacun des salariés concernés de + 8,57% ;
Que cet accord indique bien à l'article 4 « durée, révision, dénonciation », qu'à défaut de dénonciation par l'une des parties contractante il se poursuivra « par tacite reconduction pour une durée indéterminée » ;
Que cet accord du 30 juin 1999 n'a jamais été dénoncé par aucune des parties signataires et qu'il continue donc de produire ses effets à ce jour ;
Que l'accord national du 19 avril 2006 et les accords ultérieurs fixent les salaires minima, y compris les compléments, applicables en dessous desquels il n'est pas autorisé de rémunérer les salariés de la branche chimie ;
Que ces accords sont établis sur la base d'un horaire de travail fixé à 38 heures ;
Que ces accords indiquent qu'ils ne « remettent pas en cause les accords d'entreprises, d'établissement ou de groupe plus favorables conclus avant son entrée en vigueur » et qu'ils ne pourront déroger aux dispositions « que dans un sens plus favorable aux salariés » (article 5 « conditions d'application ») ;
Qu'aucune disposition de l'accord national du 19 avril 2006 ni des accords ultérieurs n'envisage le cas des proratisations en fonction de l'horaire applicable dans l'entreprise et que ce n'est que par interprétation unilatérale de la branche patronale que la proratisation est conseillée aux entreprises étant passées à 35 heures ;
Qu'il serait conforme au droit qu'un barème de salaires minimaux établi sur la base de 38 heures hebdomadaires puisse être proratisé par rapport à l'horaire réellement pratiqué dans l'entreprise, par exemple 35 heures, sous réserve d'avoir été négocié et accepté par les signataires des accords ;

Qu'en l'espèce l'accord SFFC n'a pas été respecté ;
Que la proratisation invoquée par la partie défenderesse se heurte aux dispositions de l'accord SFFC de 1999 non dénoncé, lesquelles sont toujours en vigueur et plus favorables aux salariés de la société SFFC ;
Que la proratisation se heurterait à l'article 5 des accords nationaux qui indique que ces derniers ne peuvent remettre en cause les accords d'entreprise plus favorables conclus avant son entrée en vigueur, comme c'est le cas de l'accord SFFC de 1999 ;
Qu'admettre de réduire les taux horaires des salariés de la société SFFC en appliquant une proratisation des 35/38èmes aboutirait à réduire leur rémunération applicable, telle que définie par l'accord de 1999 conclu antérieurement, pour une durée indéterminée, non dénoncé et toujours en vigueur ;
Qu'il appartenait à la direction de la société SFFC de dénoncer l'accord de 1999, conclu pour une durée indéterminée, préalablement à la mise en place de la proratisation, si elle entendait la mettre en application ;

ALORS QUE lorsque les minima conventionnels sont définis par rapport à une durée de travail précise et que la durée du travail dans l'entreprise est inférieure à celle-ci, l'appréciation du respect du montant des minima conventionnels doit s'effectuer au regard de la durée du travail pratiquée dans l'entreprise ; que l'article 1 de l'accord de branche sur les salaires minima dans les industries chimiques du 19 avril 2006 stipule qu' : « Un complément de salaire est créé dans les industries chimiques pour les salariés des coefficients 130 à 205. Ce complément s'ajoute au salaire minimal mensuel, tel que défini à l'article 22.3 des clauses communes de la CCNIC [
]. Son assiette correspond à celle figurant à l'article 22-8 des clauses communes de la CCNIC. [
] Chaque salarié des coefficients 130 à 205 a la garantie de percevoir chaque mois une somme égale au salaire minimal mensuel, augmentée du complément de salaire, correspondant à son coefficient, au prorata de son temps de travail » ; que l'article 22.3 des clauses communes de la convention collective nationale des industries chimiques et connexes du 30 décembre 1952 stipule : « Salaire national minimum professionnel. La valeur du point sert à déterminer le salaire minimum mensuel correspondant à un coefficient hiérarchique. Elle a été fixée sur la base d'une durée de travail hebdomadaire de 38 heures, soit par mois 165,23 heures. Le salaire minimum mensuel correspondant pour cet horaire à un coefficient hiérarchique est obtenu en multipliant la valeur du point par ce coefficient hiérarchique » ; qu'en faisant droit aux demandes de rappel de salaire litigieuses sur le fondement de minima conventionnels qui ne correspondaient pas à l'horaire applicable dans l'entreprise, après avoir constaté que l'accord national du 19 avril 2006 relatif aux rémunérations minimales et les accords ultérieurs fixaient des salaires minima établis sur la base d'un horaire de travail fixé à 38 heures hebdomadaires et qu'il était constant que la durée de travail de la société SFFC était de 35 heures hebdomadaires, la cour d'appel a violé l'article 22-3 de l'avenant du 11 octobre 1989 à la convention collective nationale des industries chimiques et connexes du 30 décembre 1952, l'accord de branche du 19 avril 2006 relatif aux rémunérations minimales, et l'accord d'entreprise du 30 juin 1999 sur l'aménagement et la réduction du temps de travail.