Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 9 mai 2019, 18-11.468, Publié au bulletin

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Résumé

Apport de la jurisprudence : Faute inexcusable

la Cour de cassation reproche à la Cour d'appel de Dijon ne pas avoir recueilli l’avis d’un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, alors que les ayants droits de la victime soutenaient que la maladie et le décès avaient été causés par le travail habituel de la victime.

Cass.Civ 2 9 mai 2019 n°18-11.468

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LG


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 9 mai 2019


Cassation


Mme FLISE, président


Arrêt n° 608 FS-P+B+I

Pourvoi n° N 18-11.468






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

1°/ Mme A... Y... veuve Q..., domiciliée [...],

2°/ M. Z... Q..., agissant en qualité de représentant légal de son enfant mineur M... Q...,

3°/ M. N... Q..., domiciliés [...],

4°/ M. O... Q...,

5°/ Mme X... Q..., domiciliés [...],

6°/ M. W... Q..., domicilié [...], agissant en qualité de représentant légal de ses enfants mineurs F... Q..., B... Q... et I... Q...,

7°/ Mme H... Q..., domiciliée [...],

8°/ M. L... Q..., domicilié [...], agissant en qualité de représentant légal de son enfant mineur G... Q..., tous les huit agissant en leur qualité d'ayants droit d'U... Q..., contre l'arrêt rendu le 30 novembre 2017 par la cour d'appel de Dijon (chambre sociale), dans le litige les opposant :

1°/ à la société Ferro France, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...],

2°/ au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, dont le siège est tour [...], [...], 93175 Bagnolet cedex,

3°/ à la société Apave parisienne, société par actions simplifiée, dont le siège est [...],

4°/ à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Marne, dont le siège est 18 boulevard du maréchal de Lattre de Tassigny, [...], 52915 Chaumont cedex 9, défendeurs à la cassation ;

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, composée conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 27 mars 2019, où étaient présents : Mme Flise, président, Mme Brinet, conseiller référendaire rapporteur, M. Prétot, conseiller doyen, MM. Cadiot, Decomble, Mmes Vieillard, Taillandier-Thomas, Coutou, conseillers, Mmes Palle, Le Fischer, Vigneras, Dudit, conseillers référendaires, M. Aparisi, avocat général référendaire, Mme Szirek, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Brinet, conseiller référendaire, les observations de Me Laurent Goldman, avocat des consorts Q..., de la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat de la société Ferro France, l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Donne acte aux consorts Q... du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Apave parisienne ;

Sur le moyen unique, pris en sa sixième branche :

Vu les articles L. 452-1 et L. 461-1 du code de la sécurité sociale ;

Attendu qu'il résulte de ces textes que saisi d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, le juge est tenu de recueillir au préalable un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, dès lors qu'il constate que la maladie déclarée, prise en charge par la caisse sur le fondement d'un tableau de maladie professionnelle, ne remplit pas les conditions de ce dernier et que sont invoquées devant lui les dispositions des troisième ou quatrième alinéas du second de ces textes ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que l'affection puis le décès d'U... Q... (la victime), salarié de la société Ferro France (l'employeur) de 1973 à 1987, ont été pris en charge dans le cadre de la législation professionnelle par la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne (la caisse) s'agissant d'une maladie prévue au tableau n° 30 bis des maladie professionnelles ; que ces décisions ont été déclarées inopposables à l'employeur ; que les consorts Q..., ayants droit de la victime ont saisi une juridiction de sécurité sociale d'une action en reconnaissance de faute inexcusable à l'encontre de l'employeur ;

Attendu que pour débouter les demandeurs de leur action en reconnaissance d'une faute inexcusable de l'employeur, l'arrêt retient que les travaux effectués par cette dernière lorsqu'elle était au service de l'employeur ne correspondaient pas à ceux limitativement énumérés au tableau n° 30 bis des maladies professionnelles et que le lien de causalité entre la maladie de la victime et ses conditions de travail n'était pas établi ;

Qu'en statuant ainsi, sans recueillir l'avis d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, alors que les ayants droits de la victime soutenaient que la maladie et le décès avaient été causés par le travail habituel de la victime, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 30 novembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Besançon ;

Condamne la société Ferro France aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Ferro France et la condamne à payer aux consorts Q... la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf mai deux mille dix-neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par Me Laurent Goldman, avocat aux Conseils, pour les consorts Q...

Les consorts Q... font grief à l'arrêt attaqué de les avoir déboutés de leurs demandes de reconnaissance d'une faute inexcusable de l'employeur et d'indemnisation ;

AUX MOTIFS QUE si l'inopposabilité à la Sarl Ferro France de la prise en charge de la maladie et du décès de M. Q... au titre de la législation professionnelle ne fait pas obstacle à l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, l'établissement d'un lien de causalité entre la maladie, suivie du décès, de M. Q... et ses conditions de travail au sein de la Sarl Ferro France constitue un préalable nécessaire à la recherche de responsabilité de cet employeur sur le fondement d'une faute inexcusable ; que M. Q... a été pris en charge au titre de la législation professionnelle dans la cadre du tableau n° 30 bis ; que ce tableau vise le cancer broncho-pulmonaire primitif, le délai de prise en charge étant de 40 ans sous réserve d'une durée d'exposition de 10 ans ; que la liste limitative des travaux susceptibles de provoquer cette maladie sont : - les travaux associés à la production des matériaux contenant de l'amiante, - les travaux nécessitant l'utilisation d'amiante en vrac, - les travaux d'isolation utilisant des matériaux contenant de l'amiante, - les travaux de retrait d'amiante, - les travaux de pose et de dépose de matériaux isolants à base d'amiante, - les travaux de construction et de réparation navale, - les travaux d'usinage, de découpe et de ponçage de matériaux contenant de l'amiante, - la fabrication de matériels de friction contenant de l'amiante, - les travaux d'entretien ou de maintenance effectués sur des équipements contenant des matériaux à base d'amiante ; que l'activité de la Sarl Ferro France, de la date d'embauche de M. Q... jusqu'à son départ en 1987, consistait en la fabrication de supports réfractaires en cordiérite ; que l'activité du département réfractaire, seul département au sein duquel M. Q... a travaillé, consistait en la fabrication de plaques de cuisson et cassettes-boîtes dont la matière première appelée barbotine est un mélange d'argile, de kaolin, de talc et de chamotte ; que cette barbotine était ensuite coulée dans des moules pour obtenir la forme du support désiré par le client de la société Ferro France puis cuite dans un four, le produit fini étant destiné aux fabricants de tuiles, vaisselle, appareils sanitaires et autres ; que M. Q... a travaillé au sein de la Sarl Ferro France en qualité de : - manutentionnaire du 15 novembre 1973 au 31 janvier 1974, poste consistant au chargement de palettes sans manipulation de matériaux de fabrication, - cuiseur du moule du 1er février 1974 au 30 septembre 1974, poste consistant à enduire les mères de moule d'une couche très mince à l'aide d'un pinceau et d'un agent de démoulage, ces dernières étant ensuite assemblées avec des serre-joints et le matériau utilisé étant du plâtre, - cuiseur (enfournement-défournement) du 1er octobre 1974 au 30 décembre 1983, poste consistant à alimenter les chariots et disposer les pièces sur les wagonnets, - cuiseur du 1er janvier 1984 au 31 décembre 1986, poste consistant à effectuer diverses vérifications techniques, la gestion de l'avancée des wagons dans le four et leur sortie, - chef de four du 1er janvier 1987 au 31 décembre 1987, poste consistant à veiller au chargement des wagons, à contrôler la température du four et sa consommation de fuel sans qu'il soit prévu d'entretien ou de maintenance ni de manipulation de matériaux de fabrication ; que ces travaux ne correspondent donc pas à ceux limitativement énumérés par le tableau n° 30 bis ; que ni l'audition de l'assuré par l'agent enquêteur, ni les éléments relevés par la CPAM ne révèlent des travaux tels que prévus par le tableau n° 30 bis, étant souligné que la Sarl Ferro France démontre que le four dans lequel était cuit les produits fabriqués ne contenait en fait pas d'amiante contrairement à ce qui a été indiqué dans les témoignages produits par les consorts Q... ; que la comparaison effectuée par les consorts Q... est sans emport alors qu'il apparaît que pour les autres salariés de la Sarl Ferro France, dont la maladie professionnelle a été reconnue, il s'agissait du tableau n° 30 dont les modes de transmission ne sont pas comparables à ceux du tableau n° 30 bis ; que, comme l'ont relevé les premiers juges, le cancer broncho-pulmonaire d'origine professionnelle ne peut provenir de la simple inhalation de particules d'amiante en suspension mais implique que la personne atteinte ait travaillé sur la matière amiante elle-même compte tenu de la liste limitative prévue au tableau n° 30 bis ; que le jugement doit en conséquence être confirmé en ce qu'il a constaté que le lien de causalité entre la maladie de M. Q... et ses conditions de travail au sein de la Sarl Ferro France n'était pas établi et que la demande des consorts Q... de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur ne pouvait donc aboutir ;

1°) ALORS QUE les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leur prétention ; qu'en retenant, pour écarter le lien de causalité entre la maladie et les conditions de travail, que les travaux effectués par U... Q... ne correspondaient pas à ceux limitativement énumérés par le tableau n° 30 bis, sans examiner, fût-ce sommairement, les neuf attestations produites par les consorts Q..., qui se proposaient d'établir que le salarié avait procédé à des travaux d'entretien sur des matériaux contenant de l'amiante, de sorte qu'ils entraient dans la liste prévue au tableau n° 30 bis, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2°) ALORS QU'il ressortait de l'audition de U... Q... par l'enquêteur de la Cpam qu'en tant que manutentionnaire son travail était « majoritairement du nettoyage de chantier » et, de celle de l'employeur, qu'au poste de couleur « le nettoyage du chantier était important » ; qu'en retenant néanmoins que ni l'audition de l'assuré ni les éléments relevés par la Cpam ne révélaient de travaux tels que prévus par le tableau n° 30 bis, qui fait expressément référence aux travaux d'entretien et de maintenance, la cour d'appel a dénaturé le rapport d'enquête de la Cpam et ainsi violé l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;

3°) ALORS QU'en se fondant encore, pour statuer comme elle l'a fait, sur la circonstance que le four dans lequel étaient cuits les produits fabriqués ne contenait pas d'amiante, ce qui n'était pas de nature à écarter la présence d'amiante sur les autres matériaux utilisés dans le processus de fabrication, la cour d'appel, qui a statué par des motifs inopérants, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

4°) ALORS QUE, en tout état de cause, les juges du fond ne peuvent statuer par voie de simple affirmation, sans préciser les éléments sur lesquels ils se fondent ; qu'en se contentant d'affirmer que la société Ferro démontrait que le four dans lequel étaient cuits les produits fabriqués ne contenait pas d'amiante, sans préciser les éléments sur lesquels elle se fondait pour dire cette preuve rapportée, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

5°) ALORS QUE le tableau n° 30 bis vise le cancer broncho-pulmonaire provoqué par l'inhalation de poussières d'amiantes ; qu'en retenant pourtant que ce cancer ne pouvait provenir de la simple inhalation de particules d'amiante en suspension, la cour d'appel a violé ce tableau et les articles L. 452-1 et L. 461-1 du code de la sécurité sociale ;

6°) ALORS QUE, subsidiairement, saisis de la reconnaissance d'une faute inexcusable au titre d'une maladie désignée dans un tableau, les juges du fond ne peuvent, lorsque toutes les conditions de ce tableau ne sont pas remplies, se prononcer sur son caractère professionnel qu'après avis d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles ; que la cour d'appel qui, après avoir relevé que U... Q... avait été atteint d'un cancer broncho-pulmonaire désigné au tableau n° 30 bis et que la condition tenant à la liste limitative des travaux n'était pas remplie, ce dont il résultait que, avant de se prononcer sur le caractère professionnel de cette maladie, elle devait solliciter l'avis d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, a néanmoins statué sans l'avoir recueilli, a violé les articles L. 452-1 et L. 461-1 du code de la sécurité sociale ;

7°) ALORS QUE, plus subsidiairement, si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d'exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu'elle est désignée dans un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d'origine professionnelle lorsqu'il est établi qu'elle est directement causée par le travail habituel de la victime ; qu'en se bornant, pour écarter le caractère professionnel de la maladie, à constater que les travaux réalisés par U... Q... ne correspondaient pas à la liste limitative prévue par le tableau n° 30 bis, sans rechercher, comme elle y était invitée, s'il n'était pas établi que cette maladie avait été directement causée par le travail habituel de la victime, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 452-1 et L. 461-1 du code de la sécurité sociale.