Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 8 octobre 2020, 19-16.606, Publié au bulletin
Ref:UAAAKDN5
Résumé
Apport de la jurisprudence : Lien de subordination / Travailleur indépendant / URSSAF / Requalification
La Cour de cassation impose aux Juges du fond de respecter les exigences de la méthode d’identification du lien de subordination, dans une affaire où l’employeur entrepreneur individuel avait sollicité un travailleur indépendant pour le remplacer afin de surveiller des chantiers, quand bien même ce travailleur n’était pas inscrit comme travailleur indépendant auprès d’une URSSAF.
Cass.soc, 8 octobre 2020 n°19-16.606
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 octobre 2020
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 938 F-P+B+I
Pourvoi n° T 19-16.606
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 OCTOBRE 2020
M. B... C..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° T 19-16.606 contre l'arrêt rendu le 18 mars 2019 par la cour d'appel d'Amiens (2e chambre - protection sociale), dans le litige l'opposant à l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) de Picardie, dont le siège est Vallée des Vignes, 1 avenue du Danemark, 80029 Amiens cedex 1, défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Palle, conseiller référendaire, les observations de Me Haas, avocat de M. C..., de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'URSSAF de Picardie, et l'avis de Mme Ceccaldi, avocat général, après débats en l'audience publique du 1er juillet 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Palle, conseiller référendaire rapporteur, M. Prétot, conseiller doyen, et Mme Szirek, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 18 mars 2019), à la suite d'un contrôle portant sur les années 2009 à 2011, l'URSSAF de Picardie (l'URSSAF) a notifié à M. C... (le cotisant), entrepreneur individuel, une lettre d'observations portant sur deux chefs de redressement de contributions et cotisations, suivie, le 6 décembre 2012, de la notification d'une mise en demeure de payer. Contestant la régularité et le bien-fondé de ce redressement, le cotisant a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
2. Le cotisant fait grief à l'arrêt de maintenir le deuxième chef de redressement alors « que pour le calcul des cotisations des assurances sociales, des accidents du travail et des allocations familiales, sont considérées comme rémunérations toutes les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l'occasion d'un travail accompli dans un lien de subordination, ce lien étant caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements du subordonné ; qu'en se bornant à relever que l'inspecteur du recouvrement avait constaté que T... R... intervenait régulièrement pour le compte de M. C..., ayant pour mission d'encadrer les salariés en l'absence de ce dernier, qu'il devait rendre compte chaque semaine à M. C... de son suivi des chantiers, qu'il était rémunéré selon un forfait, que M. C... était son seul client, que T... R... n'était pas immatriculé en tant que travailleur indépendant, ou encore que T... R... était décédé à la suite d'une chute d'un toit sur un chantier de M. C..., cependant qu'aucune de ces circonstances n'était de nature à caractériser l'exécution d'un travail sous l'autorité de M. C..., avec le pouvoir pour ce dernier de donner des ordres et des directives à T... R..., d'en contrôler l'exécution et d'en sanctionner les manquements, la cour d'appel, qui s'est déterminée par des motifs impropres à caractériser l'existence d'un lien de subordination, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 242-1 et L. 311-2 du code de la sécurité sociale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 242-1 et L. 311-2 du code de la sécurité sociale, le premier dans sa rédaction applicable à la date d'exigibilité des cotisations et contributions litigieuses :
3. Il résulte de ces textes que pour le calcul des cotisations des assurances sociales, des accidents du travail et des allocations familiales, sont considérées comme rémunérations toutes les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l'occasion d'un travail accompli dans un lien de subordination, ce lien étant caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Le travail au sein d'un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail.
4. Pour valider le chef de redressement afférent à la réintégration dans l'assiette des cotisations de rémunérations versées, l'arrêt relève que l'inspecteur du recouvrement a mentionné au cours des opérations de contrôle que les pièces comptables révélaient, entre mai et août 2011, l'intervention régulière de T... R... qui avait pour mission d'encadrer les salariés présents en l'absence du chef d'entreprise, devait rendre compte chaque semaine auprès du cotisant de son suivi des chantiers et était rémunéré chaque mois selon un forfait au cours de la période en cause. Il constate que l'intéressé n'était pas immatriculé en tant que travailleur indépendant, que le cotisant était son seul client et que les factures émises par l'intéressé font état de « prestation de suivi et coordination de chantier ». Il retient que ces éléments établissent suffisamment la réunion des critères du salariat tandis que les pièces versées par le cotisant ne les remettent pas en cause.
5. En se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants à caractériser l'existence d'un lien de subordination, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il maintient le deuxième chef de redressement des cotisations de M. C... par l'URSSAF de Picardie à la suite de la lettre d'observations du 5 octobre 2012, l'arrêt rendu le 18 mars 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rouen ;
Condamne l'URSSAF de Picardie aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'URSSAF de Picardie et la condamne à payer à M. C... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, signé par M. Prétot, conseiller doyen, conformément aux dispositions des articles 456 et 1021 du code de procédure civile, en remplacement du conseiller référendaire rapporteur empêché, et prononcé par le président en son audience publique du huit octobre deux mille vingt. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par Me Haas, avocat aux Conseils, pour M. C...
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué D'AVOIR maintenu le deuxième chef de redressement des cotisations de M. C... par l'Urssaf de Picardie à la suite de la lettre d'observations du 5 octobre 2012 ;
AUX MOTIFS PROPRES QU'en vertu de l'article L. 311-2 du code de la sécurité sociale : « (
) sont affiliées obligatoirement aux assurances sociales du régime général, les personnes salariées ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit pour un ou plusieurs employeurs, et quels que soient le montant et la nature de leur rémunération, la forme, la nature ou la validité de leur contrat » ; qu'il en résulte que quelle que soit la qualification donnée aux relations entre les parties, il convient de procéder à l'assujettissement du salarié lorsque son réunies plusieurs critères, à savoir une convention ou un contrat de travail, une rémunération et un lien de subordination ; qu'en l'espèce, l'inspecteur du recouvrement a mentionné au cours des opérations de contrôle que les pièces comptables révélaient l'intervention régulière de T... R... au cours de la période comprise entre mai et août 2011, que celui-ci avait pour mission d'encadrer les salariés présents en l'absence du chef d'entreprise et devait rendre compte chaque semaine de son suivi des chantiers auprès de M. C... ; qu'il a également constaté que T... R... était rémunéré chaque mois selon un forfait au cours de la période en cause, que M. C... était son seul client et qu'il n'était pas immatriculé en tant que travailleur indépendant ; qu'il apparaît en outre que les factures émises par l'intéressé font état de « prestation de suivi et coordination de chantier » ; que les éléments précités établissent ainsi suffisamment la réunion des critères du salariat, tandis que les pièces versées par M. C... ne les remettent pas en cause ; qu'en effet, l'attestation de M. P... selon laquelle T... R... « apportait des affaires » est insuffisamment circonstanciée et la preuve n'est nullement rapportée de ce que ce dernier aurait eu d'autres « clients » que M. C... durant la période concernée ; que c'est donc à juste titre que les premiers juges ont retenu que l'existence d'une relation de travail était démontrée, justifiant la réintégration dans l'assiette des cotisations des rémunérations versées à T... R..., et validé ce chef de redressement ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE l'article L. 142-1, alinéa 1er, du code de la sécurité sociale dispose que « Pour le calcul des cotisations des assurances sociales, des accidents du travail et des allocations familiales, sont considérées comme rémunérations toute les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l'occasion du travail, notamment les salaires ou gains, les indemnités de congés payés, le montant des retenues pour cotisations ouvrières, les indemnités, primes, gratifications et tous autres avantages en argent, les avantages en nature, ainsi que les sommes perçues directement ou par l'entremise d'un tiers à titre de pourboire. La compensation salariale d'une perte de rémunération induite pas une mesure de réduction du temps de travail est également considérée comme une rémunération, qu'elle prenne la forme, notamment, d'un complément différentiel de salaire ou d'une hausse du taux de salaire horaire » ; que le contrôleur dont les observations font foi jusqu'à preuve contraire, indique que l'épouse de M. C... a attesté que T... R... était un commercial et un chef de chantier pour son mari ; qu'il apparaît que T... R... est décédé en glissant d'un toit lorsqu'il était sur un chantier de M. C... dans le sud de la France ; qu'il n'est pas contesté que le défunt ne travaillait que pour M. C... et qu'il percevait à ce titre un rémunération mensuelle fixe ; qu'il résulte de ces considération que l'Urssaf de Picardie a, à bon droit, considéré qu'il y avait une relation de travail qui justifiait la réintégration dans l'assiette des cotisations de M. C... des rémunérations versées à T... R... ;
ALORS, 1°), QUE pour le calcul des cotisations des assurances sociales, des accidents du travail et des allocations familiales, sont considérées comme rémunérations toutes les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l'occasion d'un travail accompli dans un lien de subordination, ce lien étant caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements du subordonné ; qu'en se bornant à relever que l'inspecteur du recouvrement avait constaté que T... R... intervenait régulièrement pour le compte de M. C..., ayant pour mission d'encadrer les salariés en l'absence de ce dernier, qu'il devait rendre compte chaque semaine à M. C... de son suivi des chantiers, qu'il était rémunéré selon un forfait, que M. C... était son seul client, que T... R... n'était pas immatriculé en tant que travailleur indépendant, ou encore que T... R... était décédé à la suite d'une chute d'un toit sur un chantier de M. C..., cependant qu'aucune de ces circonstances n'était de nature à caractériser l'exécution d'un travail sous l'autorité de M. C..., avec le pouvoir pour ce dernier de donner des ordres et des directives à T... R..., d'en contrôler l'exécution et d'en sanctionner les manquements, la cour d'appel, qui s'est déterminée par des motifs impropres à caractériser l'existence d'un lien de subordination, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 242-1 et L. 311-2 du code de la sécurité sociale ;
ALORS, 2°), QUE le juge, tenu de motiver sa décision, ne peut procéder par voie de simple affirmation et doit préciser et analyser des pièces sur lesquelles il se fonde ; qu'en affirmant que T... R... devait rendre compte chaque semaine à M. C... de son suivi des chantiers, sans préciser les pièces sur lesquelles elle se fondait, quand ce fait était contesté par M. C..., la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile.