Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 14 juin 2023, 22-14.011, Inédit

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Résumé

Apport de la jurisprudence : Sanctions disciplinaires / Avertissement / Procédure / Annulation

La lettre d’avertissement circonscrit les griefs du litige et fige les termes du conflit. La Cour de cassation confirme que la logique est la même que celle d’une lettre de licenciement. En l’espèce l’employeur avait reproché au salarié d’avoir tenu des propos irrespectueux de nature à jeter le discrédit sur son manager, or, qu'il ressortait des témoignages produits aux débats que ce dernier avait incité les membres de l’équipe à ne pas venir travailler le 1er novembre. Les Juges ne pouvaient donc valider une sanction fondées sur des faits autres.

Cass. soc., 14 juin 2023, n° 22-14.011

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

ZB1



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 14 juin 2023




Cassation


M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 701 F-D

Pourvoi n° J 22-14.011




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 14 JUIN 2023

M. [T] [K], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° J 22-14.011 contre l'arrêt rendu le 28 janvier 2022 par la cour d'appel de Douai (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société Toyota motor manufacturing France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bouvier, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [K], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Toyota motor manufacturing France, après débats en l'audience publique du 17 mai 2023 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Bouvier, conseiller rapporteur, Mme Bérard, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 28 janvier 2022) et les productions, M. [K] a été engagé en qualité de « Leader Equipe Production » par la société Toyota motor manufacturing France (l'employeur) selon contrat à durée indéterminée du 27 mars 2000.

2. Le salarié, titulaire de plusieurs mandats de représentation du personnel, a créé, le 5 juillet 2001, le syndicat CGT Toyota au sein duquel il exerce les fonctions de secrétaire général.

3. Le 14 décembre 2017, il a reçu une lettre de notification d'un avertissement disciplinaire.

4. Après avoir contesté cette sanction par lettre du 3 janvier 2018, le salarié a saisi la juridiction prud'homale aux fins d'annulation de la sanction disciplinaire et de condamnation de l'employeur à lui verser des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. Le salarié fait grief à l'arrêt de juger bien fondé l'avertissement notifié le 14 décembre 2017 et, en conséquence, de le débouter de sa demande de dommages-intérêts au titre du préjudice subi, alors « qu'une sanction ne peut être prise à l'encontre du salarié sans que celui-ci soit informé, dans le même temps et par écrit, des griefs retenus contre lui ; que la lettre de notification de la sanction disciplinaire fixe les limites du litige ; qu'en l'espèce, il ressortait précisément de la lettre de notification de l'avertissement du 14 décembre 2017 que le salarié avait été sanctionné en raison de propos irrespectueux de nature à jeter le discrédit sur le Manager vis-à-vis de son équipe" ; que pour confirmer le jugement en ce qu'il avait considéré l'avertissement notifié en date du 14 décembre 2017 au salarié bien fondé, la cour d'appel a d'abord jugé que le doute devait profiter au salarié et qu'il ne ressortait pas de ces éléments avec l'évidence suffisante que le salarié ait tenu les propos de menteur" et M. le manager a ouvert son dictionnaire à la lettre D, ce matin" ; qu'elle a cependant ajouté à la suite qu'il ressortait des témoignages concordants, non utilement discutés, que le salarié avait incité les membres de l'équipe à ne pas venir travailler le 1er novembre, que ce comportement qui s'analysait en une incitation du personnel à la désobéissance, et que ce comportement ne relevait ni de la protection statutaire, ni de l'exercice normal de la liberté d'expression dont jouissent les représentants du personnel dans l'entreprise ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu les termes du litige déterminés par la lettre de notification de la sanction en violation de l'article L1332-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L1332-1 du code du travail :

6. Selon ce texte, aucune sanction ne peut être prise à l'encontre du salarié sans que celui-ci soit informé, dans le même temps et par écrit, des griefs retenus contre lui.

7. Pour juger bien fondé l'avertissement notifié au salarié le 14 décembre 2017, après avoir retenu qu'il n'était pas établi que ce dernier ait tenu les propos « menteur » et « monsieur le manager a ouvert son dictionnaire à la lettre D, ce matin », l'arrêt énonce qu'il ressort des témoignages concordants, non utilement discutés, que le salarié avait incité les membres de l'équipe à ne pas venir travailler le 1er novembre, que ce comportement s'analysait en une incitation du personnel à la désobéissance et ne relevait ni de la protection statutaire, ni de l'exercice normal de la liberté d'expression dont jouissent les représentants du personnel dans l'entreprise.

8. En statuant ainsi, alors qu'il ressort de la lettre de notification que l'employeur n' a pas fondé l'avertissement prononcé sur le grief d'incitation du personnel à la désobéissance, la cour d'appel, qui a méconnu les termes du litige, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai autrement composée ;

Condamne la société Toyota motor manufacturing France aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Toyota motor manufacturing France et la condamne à payer à M. [K] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze juin deux mille vingt-trois.