Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 29 janvier 2020, 19-40.034, Publié au bulletin

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Résumé

Apport de la jurisprudence : Syndicat / Transparence financière / QPC

Un employeur sollicite l’annulation de la désignation d’un représentant par un syndicat pour manquement au critère de transparence financière. Le syndicat et le représentant ont par la suite déposé une QPC liée à ce critère concernant les syndicats non représentatifs. La Cour de cassation rappelle l’interprétation jurisprudentielle constante faite de l’article L.2121-1 du Code du travail suivant laquelle tout syndicat doit, pour pouvoir exercer des prérogatives dans l'entreprise, satisfaire au critère de transparence financière avant de conclure que tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à une disposition législative, sous la réserve que cette jurisprudence ait été soumise à la cour suprême compétente. La Cour de cassation accepte de renvoyer la QPC au Conseil constitutionnel.

Cass. soc., 29 janvier 2020, n°19-40034

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

COUR DE CASSATION



MF


______________________

QUESTION PRIORITAIRE
de
CONSTITUTIONNALITÉ
______________________





Audience publique du 29 janvier 2020




RENVOI


M. CATHALA, président



Arrêt n° 243 FS-P+B

Affaire n° G 19-40.034







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 29 JANVIER 2020

Le tribunal d'instance de Saint-Germain-en-Laye a transmis à la Cour de cassation, suite au jugement rendu le 29 octobre 2019, la question prioritaire de constitutionnalité, reçue le 8 novembre 2019, dans l'instance mettant en cause :

D'une part,

1°/ le syndicat Union des syndicats anti-précarité, dont le siège est [...],

2°/ M. W... M..., Union des syndicats anti-précarité, domicilié [...],

3°/ M. T... L..., domicilié [...],

D'autre part,

la société Transdev IIe-de-France, société anonyme, dont le siège est [...],

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Rinuy, conseiller, et l'avis de M. Weissmann, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 22 janvier 2020 où étaient présents M. Cathala, président, M. Rinuy, conseiller rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, Mmes Pécaut-Rivolier, Ott, Sommé, conseillers, Mmes Chamley-Coulet, Lanoue, MM. Joly, Le Masne de Chermont, conseillers référendaires, M. Weissmann, avocat général référendaire, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Par lettre du 26 juin 2019, l'union des syndicats anti-précarité (USAP) a informé la société Transdev IIe-de-France de la désignation de M. L... en qualité de représentant de section syndicale au sein de l'établissement de Montesson les Rabaux.

2. La société, considérant notamment que le syndicat ne remplissait pas le critère de transparence financière, a saisi le tribunal d'instance d'une demande d'annulation de cette désignation.

3. A l'audience du 17 septembre 2019, M. L... et l'USAP ont déposé une question prioritaire de constitutionnalité.

4. Le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Versailles a été saisi le 20 septembre 2019. Le dossier adressé au ministère public a été retourné au greffe du tribunal d'instance le 15 octobre 2019, sans avis.

Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité

5. Par jugement du 29 octobre 2019, le tribunal d'instance de Saint-Germain-en-Laye a transmis une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée : « Dit y avoir lieu à transmettre à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. L... et l'union des syndicats anti-précarité (USAP), tirée de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de la condition de transparence financière prévue à l'article L2121-1 du code du travail dans le cadre de l'application des articles L. 2142-1 et L. 2142-1-1 du même code ».

6. Toutefois, la question posée par les parties dans leur mémoire distinct est : « L'interprétation de la Cour des articles L2121-1 , L. 2141-1 et L. 2141-1-1 ajoute une condition qui n'est pas dans la loi. Ainsi, l'interprétation contra legem de la Cour méconnaît le principe de liberté syndicale, le principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail, le principe d'égalité devant la loi et le principe de séparation des pouvoirs ;
Il y a dès lors lieu de renvoyer la question au Conseil constitutionnel.
L'article L2121-1 tel qu'interprété par la Cour de cassation est-il (conforme) à la Constitution ? »

7. Si la question peut être reformulée par le juge à l'effet de la rendre plus claire ou de lui restituer son exacte qualification, il ne lui appartient pas d'en modifier l'objet ou la portée. Dans une telle hypothèse, il y a lieu de considérer que la Cour de cassation est régulièrement saisie et se prononce sur le renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité telle qu'elle a été soulevée dans le mémoire distinct produit devant la juridiction qui l'a transmise.

Examen de la question prioritaire de constitutionnalité

8. L'article L2121-1 du code du travail est applicable au litige, qui concerne une demande d'annulation de la désignation d'un représentant de section syndicale au motif, notamment, que le syndicat auteur de la désignation ne satisferait pas à la condition de transparence financière prévue par cette disposition.

9. Si l'article L2121-1 du code du travail a déjà été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif de la décision n° 2010-63/64/65 QPC rendue le 12 novembre 2010 par le Conseil constitutionnel, est intervenu depuis cette décision un changement de circonstance de droit résultant d'un arrêt de la Cour de cassation (Soc., 22 février 2017, pourvoi n° 16-60.123, Bull. 2017, V, n° 29), lequel, en énonçant que tout syndicat doit, pour pouvoir exercer des prérogatives dans l'entreprise, satisfaire au critère de transparence financière, confère une portée nouvelle à cette disposition.

10. La question, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.

11. Mais la question posée présente un caractère sérieux. D'abord, tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à une disposition législative, sous la réserve que cette jurisprudence ait été soumise à la cour suprême compétente. Ensuite, il existe une interprétation jurisprudentielle constante de l'article L2121-1 du code du travail par la Cour de cassation (Soc., 22 février 2017, pourvoi n° 16-60.123, Bull. 2017, V, n° 29 ; Soc., 17 octobre 2018, pourvoi n° 18-60.030, en cours de publication) selon laquelle tout syndicat doit, pour pouvoir exercer des prérogatives dans l'entreprise, satisfaire au critère de transparence financière. Enfin, la disposition légale ainsi interprétée pourrait être regardée, s'agissant des syndicats non représentatifs, comme portant atteinte au principe de liberté syndicale.

12. En conséquence, il y a lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

RENVOIE au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf janvier deux mille vingt.