Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 4 décembre 2019, 18-15.963, Inédit

Ref:UAAAKAFX

Résumé

Apport de la jurisprudence : Convention de forfait / Heures supplémentaires / Résiliation judiciaire

Un salarié sollicite la résiliation judiciaire de son contrat de travail et le paiement d’heures
supplémentaires il est finalement licencié.
De l’avis de la Cour de cassation, la convention de forfait ne peut être caractérisée sur la seule base d’une rémunération forfaitaire, la détermination du nombre d’heures supplémentaires inclus dans la rémunération est notamment requise.

Cass. soc., 4 décembre 2019, n°18-15963

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. V..., a été engagé le 3 janvier 2008 en qualité de carreleur à temps plein, moyennant une rémunération mensuelle brute de 1 992,34 euros ; qu'il a saisi la juridiction prud'homale en résiliation de son contrat de travail et en paiement de diverses sommes le 10 octobre 2014 ; qu'il a été licencié le 14 novembre 2014 ;

Sur le deuxième moyen, ci-après annexé :

Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de dommages-intérêts pour absence de contrepartie obligatoire en repos ;

Mais attendu que les dispositions critiquées par le moyen ne figurent pas dans le dispositif de l'arrêt ; que le moyen est irrecevable ;

Mais sur le premier moyen :

Vu les articles L. 3121-38 et L3121-40 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ;

Attendu que pour rejeter les demandes du salarié liées à l'existence d'un salaire brut mensuel de base de 2 488 euros pour 151,67 heures, l'arrêt retient que pendant les huit premiers mois du contrat, aucune heure supplémentaire n'apparaît sur les bulletins produits au dossier par l'employeur, que cela change à compter de fin septembre 2008, que la somme de 2 488,00 euros mentionnée sur le document signé le 29 septembre 2008 correspond en fait à la rémunération brute de 151,67 heures, plus celle de 17,33 heures supplémentaires à 25 %, plus celle de vingt-deux indemnités de repas, que la cour estime que l'intention des parties a maladroitement été de laisser une trace de ce qu'était la réalité de la rémunération du salarié, intégrant des heures supplémentaires désormais effectuées, qu'à défaut de cette explication, considérer que l'employeur aurait augmenté de 25 % la rémunération de base de son salarié après quelques mois d'emploi n'aurait aucune cohérence, que d'ailleurs, il est patent que le salarié n'a jamais formé la moindre réclamation pendant six ans ;

Qu'en statuant ainsi, alors que la seule fixation d'une rémunération forfaitaire, sans que soit déterminé le nombre d'heures supplémentaires inclus dans cette rémunération, ne permet pas de caractériser une convention de forfait, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et attendu que la cassation à intervenir sur le premier moyen entraîne, en application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation par voie de conséquence du chef du dispositif critiqué par le troisième moyen relatif à la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 février 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Limoges ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers ;

Condamne la société Carreleurs du pays de Brive aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Carreleurs du pays de Brive à payer à la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia la somme de 3 000 euros à charge pour cette dernière de renoncer à percevoir l'indemnité prévue par l'Etat ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatre décembre deux mille dix-neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt.

Moyens produits par la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat aux Conseils, pour M. V....

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté M. V... de ses demandes liées à l'existence d'un salaire mensuel brut de base de 2 488,00 € pour 151,67 heures ;

AUX MOTIFS QUE les parties se sont engagées en janvier 2008 sur la base d'un contrat clair qui prévoyait un nombre d'heures de travail mensuel (151,67) et une rémunération brute chiffrée (1 992,34 euros) ; qu'elles signaient neuf mois après un document inhabituel et à l'intitulé surprenant, dont il convient d'apprécier le sens et la portée ; que pendant les huit premiers mois du contrat, aucune heure supplémentaire n'apparaît sur les bulletins produits au dossier par l'employeur ; que cela change à compter de fin septembre 2008 ; que la somme de 2 488,00 euros mentionnée sur le document signé le 29 septembre 2008 correspond en fait à la rémunération brute de 151,67 heures, plus celle de 17,33 heures supplémentaires à 25 %, plus celle de 22 indemnités de repas ; que la cour estime que l'intention des parties a -maladroitement- été de laisser une trace de ce qu'était la réalité de la rémunération du salarié, intégrant des heures supplémentaires désormais effectuées ; qu'à défaut de cette explication, considérer que l'employeur aurait augmenté de 25 % la rémunération de base de son salarié après quelques mois d'emploi n'aurait aucune cohérence ; que d'ailleurs, il est patent que monsieur V... n'a jamais formé la moindre réclamation pendant six ans ; dès lors que le jugement sera infirmé sur ce point et les demandes de monsieur V... en découlant seront rejetées ; que la preuve n'est pas rapportée que le contingent d'heures supplémentaires ait été dépassé, ce qui permet de rejeter la demande formée au titre du repos compensateur ;

1°) ALORS QUE le fait de se référer à une rémunération mensuelle globale incluant salaire de base et heures supplémentaires révèle la conclusion d'une convention de forfait ; que la validité d'une telle convention est subordonnée à la signature d'un écrit mentionnant le salaire global destiné à rémunérer les heures de travail effectuées et précisant explicitement le nombre d'heures comprises dans le forfait, et notamment le nombre d'heures supplémentaires incluses dans le forfait ; qu'en l'espèce, M. V... a été engagé par la société Carreleurs du pays de Brive par contrat à durée indéterminée stipulant une rémunération mensuelle brute de 1992.94 € pour un horaire mensuel forfaitaire de 151.67 heures ; que, se prononçant sur la portée du document signé le 29 septembre 2008 entre les parties, la cour d'appel a retenu que « la somme de 2 488,00 euros mentionnée sur le document signé le 29 septembre 2008 correspond en fait à la rémunération brute de 151,67 heures, plus celle de 17,33 heures supplémentaires à 25 % », plus celle de 22 indemnités de repas et a estimé que « l'intention des parties a - maladroitement- été de laisser une trace de ce qu'était la réalité de la rémunération du salarié, intégrant des heures supplémentaires désormais effectuées » ; qu'ayant ainsi caractérisé l'existence d'une convention de forfait, la cour d'appel, qui a néanmoins rejeté la demande du salarié en paiement de ses heures supplémentaires au motif inopérant de l'incohérence consistant à augmenter un salarié de 25% peu après son embauche, quand le document signé le 29 septembre 2008 ne mentionnait pas que la rémunération globale comprenait un certain nombre d'heures supplémentaires, a violé les articles L 3121-38 et L 3121-40 du code du travail, dans leur rédaction alors applicable ;

2°) ALORS QUE les mentions portées sur le bulletin de salaire ont une portée relative ; qu'ayant caractérisé l'existence d'une convention de forfait, la cour d'appel, qui a néanmoins rejeté la demande du salarié en paiement de ses heures supplémentaires au motif inopérant de la mention d'heures supplémentaires sur les bulletins de salaire à compter de fin septembre 2008, quand le document signé le 29 septembre 2008 portait à la somme de 2 488 € le salaire mensuel de M. V..., sans préciser le nombre d'heures supplémentaires incluses dans le forfait, a violé les articles L 3121-38 et L 3121-40 du code du travail, dans leur rédaction alors applicable ;

3°) ALORS QUE le silence ne vaut pas acceptation ; qu'ayant caractérisé l'existence d'une convention de forfait, la cour d'appel, qui a néanmoins rejeté la demande de M. V... en paiement de ses heures supplémentaires au motif inopérant de l'absence de réclamation du salarié pendant une longue période, quand le document signé le 29 septembre 2008 portait à la somme de 2 488 € son salaire mensuel, sans préciser le nombre d'heures supplémentaires incluses dans le forfait, a violé les articles L 3121-38 et L 3121-40 du code du travail, dans leur rédaction alors applicable.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté M. V... de sa demande de dommages-intérêts pour absence de contrepartie obligatoire en repos ;

AUX MOTIFS QUE la preuve n'est pas rapportée que le contingent d'heures supplémentaires ait été dépassé, ce qui permet de rejeter la demande formée au titre du repos compensateur ;


ALORS QU'aux termes de l'article 3-13 de la convention collective nationale des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment, le contingent annuel d'heures supplémentaires est fixé à 145 heures auquel s'ajoutent 45 heures par an et par salarié pour les salariés dont l'horaire n'est pas annualisé ; qu'en l'espèce, il résulte des propres constatations de l'arrêt que M. V... effectuait 17,33 heures supplémentaires par mois ; qu'en affirmant, pour rejeter la demande de M. V... en dommages-intérêts pour absence de contrepartie obligatoire en repos, que n'était pas rapportée la preuve que le contingent d'heures supplémentaires ait été dépassé, quand le dépassement allégué par le salarié résultait de ses propres constatations, la cour d'appel a violé la convention collective et l'article L3121-11 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable

TROISIEME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la demande du salarié en résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur et des demandes subséquentes ;

AUX MOTIFS QUE la résiliation judiciaire n'est possible qu'en cas de violation suffisamment grave par l'employeur d'une de ses obligations, de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail ; qu'en l'espèce la circonstance que l'employeur ait pu ne pas appliquer le minimum salarial conventionnel a perduré suffisamment longtemps sans réaction du salarié pour que ne puisse être considéré que ce manquement empêchait la poursuite du contrat ; que par ailleurs la Cour a écarté l'argument principal de monsieur V... en lien avec le document du 29 septembre 2008 ; que l'argument tiré de l'absence de visite médicale initiale est de même sans portée utile, à la fois du fait de l'ancienneté, mais aussi de ce que monsieur V... a été déclaré apte le 09 mars 2009, et parce que la déclaration d'embauche informait la médecine du travail de son existence, sans qu'une faute ne puisse être imputée à la SARL CARRELEURS DU PAYS DE BRIVE ; que cette dernière justifie avoir acheté divers matériels de sécurité à ses employés ; que par ailleurs la chute de monsieur V... dans un escalier sur un chantier n'avait rien de spécifique à son métier et ne relevait que de sa propre inattention ; que rien dans le dossier ne permet dès lors de mettre à la charge de l'employeur la responsabilité de cette chute, et donc de ses conséquences; qu'au final il n'apparaît aucune faute susceptible de donner lieu à résiliation judiciaire, et le licenciement prononcé pour inaptitude ne saurait être corrélé à un comportement défaillant de la société ; que les demandes de monsieur V... seront rejetées ;

ALORS QUE la cassation à intervenir sur le premier moyen de cassation, en ce que l'arrêt a rejeté la demande de M. V... en paiement de ses heures supplémentaires, entraînera par voie de conséquence, conformément à l'article 624 du code de procédure civile, la censure de l'arrêt en ce qu'il a rejeté la demande du salarié de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur, au regard du lien de dépendance nécessaire qui existe entre ces deux aspects du litige.