Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 4 novembre 2020, 19-10.626, Inédit

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Résumé

Apport de la jurisprudence : CSE / Intérêt à agir / Assignation / Transfert d’entreprise / Contrat de travail / L.1224-1

Bien que le comité d’entreprise puisse toujours intenter une action en justice pour défendre son propre intérêt, il n’a légalement pas le pouvoir de le faire au nom des salariés. Dans cette affaire, le comité d’entreprise était intervenu au côté d’un salarié en contestation du transfert de son contrat de travail. La Cour de cassation a considéré que, le litige portant sur le transfert d’un contrat de travail étant un droit exclusivement personnel, le CE n’avait aucun intérêt à agir.

Cass. soc, 4 novembre, n°19-10.626

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


SOC.

LG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 4 novembre 2020




Rejet


M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 981 F-D

Pourvoi n° T 19-10.626




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 4 NOVEMBRE 2020

1°/ Le comité central d'entreprise de la société IBM,

2°/ l'Instance de coordination des comités d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail (IC-CHSCT) de la société IBM France,

ayant tous deux leur siège [...] ,

ont formé le pourvoi n° T 19-10.626 contre l'arrêt rendu le 15 novembre 2018 par la cour d'appel de Versailles (6e chambre), dans le litige les opposant :

1°/ à la société IBM France, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [...] ,

2°/ au syndicat UNSA IBM, dont le siège est [...] ,

3°/ à la société Manpower Group Solutions, société par actions simplifiée,

4°/ à la société Manpowergroup Solutions Enterprises, société par actions simplifiée unipersonnelle,

ayant toutes deux leur siège [...] ,

défendeurs à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Chamley-Coulet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat du comité central d'entreprise de la société IBM et de l'IC-CHSCT , de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société IBM France, de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat des sociétés Manpower Group Solutions et Manpower Group Solutions Enterprises, après débats en l'audience publique du 16 septembre 2020 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Chamley-Coulet, conseiller référendaire rapporteur, M. Rinuy, conseiller, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à l'Instance de coordination des comités d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail (IC-CHSCT) de la société IBM France du désistement de son pourvoi contre la décision rendue le 15 novembre 2018 par la cour d'appel de Versailles.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 15 novembre 2018), la société IBM France a présenté, le 20 avril 2016, au comité central d'entreprise, un projet « Gallium » visant à céder l'intégralité de l'activité « Global Administration » à la société Manpower Group Solutions Enterprises et à transférer les contrats de travail de cent deux assistantes dédiées à cette activité, à effet du 1er octobre 2016.

3. Contestant les conditions d'application de l'article L1224-1 du code du travail et soutenant que le transfert était une façon de contourner la mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi, les élus du comité central d'entreprise, l'Instance de coordination des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail et quatre syndicats ont, le 3 octobre 2016, assigné à jour fixe la société IBM France devant le tribunal de grande instance, aux fins de déclarer inapplicables et inopposables les dispositions de l'article L1224-1 du code du travail au projet de transfert et de faire interdiction à la société IBM France de transférer les contrats de travail visés par le projet.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. Le comité central d'entreprise fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il l'a déclaré irrecevable à agir pour faire défense à la société IBM France de transférer ou rompre les contrats de travail de l'ensemble des salariées concernées par le projet Gallium, alors :

« 1° / que si le comité d'entreprise ne peut agir en justice au nom des salariés ou pour représenter les intérêts collectifs de la profession, il peut en revanche agir lorsque ses intérêts propres sont en cause ; que le comité d'entreprise est, de manière immédiate, concerné par un transfert d'entreprise au regard de ses attributions aussi bien économiques que sociales ; qu'il a donc un intérêt personnel et direct à agir pour contester la légalité et les effets d'une décision de transfert sur laquelle il a été consulté et s'est prononcé ; qu'en déclarant le comité central d'entreprise irrecevable en ses demandes, aux motifs qu' ''aucun texte spécial ne permet au CE et au CCE d'agir en justice à ce sujet au nom des salariés'' et que ''le CCE ne justifie par d'un intérêt direct et personnel à agir'', la cour d'appel a violé les articles 31 du code de procédure civile et L2323-1 du code du travail dans sa rédaction applicable ;

2°/ qu'en outre, le comité d'entreprise est nécessairement atteint dans son fonctionnement et ses ressources par un transfert d'entreprise, ce qui justifie son intérêt à agir en contestation de l'application de l'article L1224-1 du code du travail ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé derechef les articles 31 du code de procédure civile et L2323-1 du code du travail dans sa rédaction applicable. »

Réponse de la Cour

5. Le comité d'entreprise ne tient d'aucune disposition légale le pouvoir d'exercer une action en justice au nom des salariés ou de se joindre à l'action de ces derniers, lorsque ses intérêts propres ne sont pas en cause. S'il peut avoir un intérêt propre à faire valoir que la violation de l'article L1224-1 du code du travail porte atteinte à son fonctionnement et ses ressources, de sorte que son intervention au côté du salarié à l'occasion d'un litige portant sur l'applicabilité de ce texte serait recevable, l'action en contestation du transfert d'un contrat de travail est un droit exclusivement attaché à la personne du salarié.

6. Saisie d'une action du comité d'entreprise en contestation du transfert des contrats de travail de l'ensemble des salariées concernées par le projet Gallium et non parties à l'instance, la cour d'appel a donc décidé à bon droit que cette action était irrecevable.

7. Il en résulte que le moyen, inopérant en sa seconde branche, n'est pas fondé en sa première branche.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne le comité central d'entreprise de la société IBM aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatre novembre deux mille vingt.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour le comité central d'entreprise de la société IBM

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement en ce qu'il a déclaré le comité central d'entreprise irrecevable à agir pour faire défense à la société IBM France de transférer ou rompre les contrats de travail de l'ensemble des salariées concernées par le projet Gallium.

AUX MOTIFS propres QUE le CCE soutient la recevabilité de sa demande relative à l'irrégularité des conditions d'application de l'article L1224-1 du code du travail, précisant qu'il a un intérêt à agir dans la mesure où il a été saisi d'une procédure d'information et consultation portant sur le transfert d'une partie du personnel et que ce sont ses droits propres et de son intérêt d'assurer l'expression collective des salariés et la défense des intérêts du personnel de l'entreprise ; qu'il invoque son intérêt direct et personnel à agir eu égard à la nature du litige, à savoir l'appréciation des conditions dans laquelle la société IBM a procédé au transfert d'une activité dans le cadre des dispositions de l'article L1224-1 et des effets d'une opération pour laquelle il a été informé et consulté de manière insuffisante et qui a une incidence sur la gestion ainsi que l'évolution de l'entreprise ; qu'il fait état de la jurisprudence : Cass 10 novembre 2005 n° 04-10.978 ; cour d'appel de Paris 18 décembre 2008 ; dans un arrêt du 15 octobre 2009 n° 08/10335, la cour d'appel de Paris prononçait au fond la nullité du transfert des contrats de travail à la demande du comité d'entreprise et des syndicats, et confirmait la recevabilité du comité d'entreprise à statuer « sur les effets juridiques au regard de l'article L1224-1 du code du travail des transferts, des activités et donc des contrats de travail » ; que la société IBM oppose que le CCE n'a ni qualité ni intérêt à agir, et qu'il ne tient d'aucune disposition légale le pouvoir d'exercer une action en justice au nom des salariés (Cass, soc., 28 mai 1991, n° 90- 83.957 ; Cass, soc., 18 mars 1997, n° 93-43.989, 93-43.991, 93-44.297 ; Cass, soc., 14 mars 2007, n° 06-41.647 ; Cass, soc., 13 juillet 2016, n° 15-14.801) et que la Cour de Cassation a exclu encore récemment toute recevabilité de l'action du comité d'entreprise relative à l'application de l'article L1224-1 du code du travail (Cass, soc., 9 mars 2016, n° 14-11.837 et 14-11.862) ; qu'or, les dispositions de l'article L2323-1 du code du travail dans sa version alors en vigueur (entre janvier 2016 et le 31 décembre 2017) définit les attributions seulement consultatives du comité d'entreprise (CE) ainsi : « Le comité d'entreprise a pour objet d'assurer une expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l'évolution économique et financière de l'entreprise, à l'organisation du travail, à la formation professionnelle et aux techniques de production. Il est informé et consulté sur les questions intéressant l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise, notamment sur les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du travail ou les conditions d'emploi, de travail et de formation professionnelle, lorsque ces questions ne font pas l'objet des consultations prévues à l'article L. 2323-6. Il formule, à son initiative, et examine, à la demande de l'employeur, toute proposition de nature à améliorer les conditions de travail, d'emploi et de formation professionnelle des salariés, leurs conditions de vie dans l'entreprise ainsi que les conditions dans lesquelles ils bénéficient de garanties collectives complémentaires mentionnées à l'article L. 911-2 du code de la sécurité sociale. Il exerce ses missions sans préjudice des dispositions relatives à l'expression des salariés, aux délégués du personnel et aux délégués syndicaux » ; que selon l'article L2327-2 du code du travail, dans sa version alors en vigueur, le comité central d'entreprise exerce les attributions économiques qui concernent la marche générale de l'entreprise et qui excèdent les limites des pouvoirs des chefs d'établissement, et il est informé et consulté sur tous les projets économiques et financiers importants concernant l'entreprise ; qu'il est de jurisprudence constante (Cass soc 14 mars 2007- 0641647, 13 juillet 2016 - 1514801) que le CE et le CCE ne peuvent exercer une action de justice en contestation de l'application de l'article L1224-1 du code du travail, action personnelle qui appartient seulement aux salariés, éventuellement soutenus par des syndicats ; qu'en effet, aucun texte spécial ne permet au CE et au CCE d'agir en justice à ce sujet au nom des salariés ou aux côtés de ces derniers, et le CCE ne justifie par d'un intérêt direct et personnel à agir, selon les dispositions de l'article 31 du code de procédure civile ; que juger l'inverse reviendrait à permettre ici au CCE de contester une décision de gestion, ce qui ne rentre pas dans les attributions du CCE, le rôle de ce dernier en cette matière de transfert d'une activité n'étant que consultatif ; qu'en l'espèce le CCE ne peut remettre en question le projet de transfert mais seulement contester les conditions de son information-consultation à son sujet, son action étant alors en lien direct avec ses attributions, ce qu'il ne soutient pas, contrairement à l'IC- CHSCT ; que dès lors, la cour confirmera le tribunal en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action du CCE.

AUX MOTIFS adoptés QUE le comité d'entreprise doit justifier que son intérêt à agir est légitime, personnel et direct ; qu'il ne tient en effet d'aucune disposition légale le pouvoir d'exercer une action en justice au nom des salariés, lorsque ses intérêts propres ne sont pas en cause ; que l'obligation d'information et/ou consultation du comité d'entreprise dans de nombreux domaines ne lui ouvre pas un droit d'agir sur le fond des sujets qui lui sont soumis dès lors que l'exercice de son pouvoir d'information et de consultation n'est pas en cause ; que le comité central d'entreprise de la société IBM France est irrecevable à agir pour contester l'opération « Gallium » soumise à sa consultation sans que celle-ci soit contestée, à soutenir l'inapplicabilité de l'article L1224-1 du code du travail et à s'opposer, aux lieu et place des salariés, au transfert de leur contrat de travail.

ALORS QUE si le comité d'entreprise ne peut agir en justice au nom des salariés ou pour représenter les intérêts collectifs de la profession, il peut en revanche agir lorsque ses intérêts propres sont en cause ; que le comité d'entreprise est, de manière immédiate, concerné par un transfert d'entreprise au regard de ses attributions aussi bien économiques que sociales ; qu'il a donc un intérêt personnel et direct à agir pour contester la légalité et les effets d'une décision de transfert sur laquelle il a été consulté et s'est prononcé ; qu'en déclarant le comité central d'entreprise irrecevable en ses demandes, aux motifs qu'« aucun texte spécial ne permet au CE et au CCE d'agir en justice à ce sujet au nom des salariés » et que « le CCE ne justifie par d'un intérêt direct et personnel à agir », la cour d'appel a violé les articles 31 du code de procédure civile et L2323-1 du code du travail dans sa rédaction applicable.

2° ALORS, en outre, QUE le comité d'entreprise est nécessairement atteint dans son fonctionnement et ses ressources par un transfert d'entreprise, ce qui justifie son intérêt à agir en contestation de l'application de l'article L1224-1 du code du travail ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé derechef les articles 31 du code de procédure civile et L2323-1 du code du travail dans sa rédaction applicable.