Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 5 février 2020, 18-18.086, Inédit

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Résumé

Apport de la jurisprudence : Liquidation judiciaire / Garantie des salaires / AGS

En l’absence de procédure de licenciement déclenchée par le liquidateur judiciaire à l’encontre d’une salariée, les Juges du fond estiment que la garantie de l'AGS est due au titre des créances pour indemnités de licenciement en cas de rupture du contrat de travail sans cause réelle et sérieuse.

Telle n’est pas la position de la Cour de cassation ayant constaté que le contrat n’a pas été rompu par le liquidateur judiciaire dans le délai de 15 jours à l’issue du jugement de liquidation judiciaire.

Cass. soc., 5 février 2020, n°18-18086

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


SOC.

FB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 5 février 2020




Cassation partielle sans renvoi


Mme LEPRIEUR, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 138 F-D

Pourvoi n° F 18-18.086




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 5 FÉVRIER 2020

1°/ L'AGS, dont le siège est [...] ,

2°/ l'Unedic de Nancy, association déclarée, dont le siège est [...] , agissant en qualité de gestionnaire de l'AGS, élisant domicile au Centre de Gestion et d'Etudes AGS (CGEA) de Nancy, [...] ,

ont formé le pourvoi n° F 18-18.086 contre l'arrêt rendu le 10 avril 2018 par la cour d'appel de Colmar (chambre sociale, section B), dans le litige les opposant :

1°/ à Mme X... E..., domiciliée [...] ,

2°/ à M. T... F..., domicilié [...] , mandataire liquidateur de la société [...],

défendeurs à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Pietton, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de l'AGS et de l'Unedic de Nancy, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme E..., après débats en l'audience publique du 7 janvier 2020 où étaient présents Mme Leprieur, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Pietton, conseiller rapporteur, Mme Le Lay, conseiller, et Mme Lavigne, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme E... a été engagée le 1er octobre 1990 par la société [...] (la société) en qualité de contrôleur de gestion ; que son contrat de travail a été suspendu lorsqu'elle est devenue présidente du conseil d'administration le 12 juin 2008 ; que le 14 février 2012, la société a été mise en liquidation judiciaire, M. F... étant nommé liquidateur ; que n'ayant fait l'objet d'aucune procédure de licenciement par le liquidateur, Mme E... a saisi la juridiction prud'homale pour voir juger qu'elle avait la qualité de salariée et que la rupture de son contrat de travail était sans cause réelle et sérieuse ;

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen annexé qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :

Vu l'article L3253-8 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-893 du 28 juillet 2011 ;

Attendu que pour fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société diverses sommes au titre de la créance indemnitaire de la salariée et dire que l'AGS devait sa garantie, l'arrêt retient qu'en lui écrivant le 15 mars 2012 que son contrat de travail devait être considéré comme ayant définitivement pris fin du fait de la liquidation judiciaire, le liquidateur a pris acte de la rupture contractuelle à la date de la liquidation, ce qui doit donc être qualifié de licenciement irrégulier et sans cause réelle et sérieuse et que compte tenu de la date de la rupture, la garantie de l'AGS est mobilisable ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que le contrat de travail n'avait pas été rompu par le liquidateur judiciaire dans le délai de quinze jours du jugement de liquidation judiciaire, en sorte que la garantie de l'AGS n'était pas due au titre des indemnités allouées à la salariée en conséquence de la rupture de son contrat, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Vu l'article 627 du code de procédure civile dont l'application est sollicitée en demande ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare opposables à l'AGS dans les limites légales et réglementaires les créances de Mme E... à titre d'indemnités de licenciement, préavis et congés payés afférents ainsi que de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse fixées au passif de la liquidation judiciaire de la société [...] l'arrêt rendu le 10 avril 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi de ce chef ;

Dit que l'AGS ne doit pas sa garantie pour les sommes fixées au passif de la liquidation judiciaire de la société [...] au profit de Mme E... ;

Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq février deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour l'AGS et l'Unedic de Nancy.

Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir déclaré Mme E... recevable en ses demandes et d'avoir fixé au passif de la liquidation de la société [...], avec mobilisation dans les limites légales et réglementaires de la garantie de l'AGS-CGEA de Nancy, les créances à son profit aux sommes de 27 000 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse survenu le 14 février 2012, de 13 390, 14 euros au titre du préavis, de 1 339,01 euros au titre des congés payés afférents, et de 40 172,12 euros au titre de l'indemnité de licenciement ;

AUX MOTIFS QUE Mme E... a été embauchée selon contrat écrit du 1er octobre 1990, complété par un avenant du 28 février 2002, respectivement en qualité de contrôleur de gestion puis directeur général par la société [...] qui occupait plus de onze salariés ;

Que le 12 juin 2008 Mme E... a été désignée mandataire social et elle expose que le contrat de travail s'est trouvé suspendu ;
Que la SAS [...] a été placée le 14 octobre 2011 en redressement judiciaire puis le 14 février 2012 en liquidation judiciaire ;
Que le 27 août 2015 Mme E... a saisi le conseil de prud'hommes aux fins d'être remplie de ses droits nés de la rupture de son contrat de travail mise en oeuvre de manière irrégulière et non motivée par le liquidateur au jour de la liquidation ; [
] ;
Que les premiers juges ont considéré que Mme E... s'avérait irrecevable en ses prétentions pour avoir agi en temps couvert par la prescription de deux années édictée par la loi du 14 juin 2013 ;
Que Mme E... soutient cependant exactement que les premiers juges se sont sur ce point mépris ;
Qu'à cet égard il suffit seulement de rappeler que la loi précitée s'applique aux prescriptions en cours sans qu'il n'en résulte d'allongement du délai de prescription applicable avant son entrée en vigueur ;
Qu'elle fait justement valoir que ce n'est que par son courrier du 25 novembre 2013 que le liquidateur en écrivant pour la première fois qu'il considérait que son contrat de travail avait disparu par novation alors qu'antérieurement il avait évoqué la suspension dudit contrat et même des créances salariales - lui avait fait connaître les faits permettant d'exercer son droit en sorte que c'est à cette date qu'a commencé à courir la prescription biennale non expirée au jour de l'introduction de l'instance ;
Que par suite, en infirmant le jugement il échet de dire Mme E... recevable en ses prétentions ;
Qu'au fond c'est vainement que les intimés contestent l'existence du contrat de travail alors que celui-ci procède d'un écrit contre lequel ils sont défaillants à administrer la charge de la preuve dont ils sont débiteurs du caractère fictif de celui-ci ;
Que leurs affirmations sont dépourvues de valeur probante suffisante et leurs moyens tirés de la détention par Mme E... de la majorité du capital social ne concernent que la période ayant commencé à courir en 2008 où l'appelante qui est devenue mandataire social reconnaît que le contrat de travail a été suspendu, ce qui rend inopérante la discussion sur le lien de subordination qui ne vaudrait que si celle-ci se prévalait d'un cumul du mandat et du contrat de travail ce qui n'est pas le cas ;
Qu'il est donc avéré que de 1990 à 2008 Mme E... a été liée à la SAS [...] par un contrat de travail ;
Que c'est encore sans moyen autre que leurs affirmations dépourvues de valeur probante suffisante, que les intimés essayent de soutenir que par novation, lors de l'accession de Mme E... aux fonctions de mandataire social investi de tous les pouvoirs de direction le contrat de travail aurait disparu avec tous ses effets ;
Qu'une telle novation, ainsi que le relève l'appelante ne se présume pas, et faute de preuve d'une volonté non équivoque de substituer une convention à une autre, cette argumentation ne peut prospérer ;
Qu'il reste donc, comme le soutient exactement Mme E..., qu'au jour de la prise d'effet du mandat social le contrat de travail s'est trouvé suspendu ;
Que contrairement à ce que prétendent les intimés le mandat social a pris fin, au jour de la liquidation judiciaire ayant emporté dissolution de la société quand bien même pour les besoins de cette procédure la personne morale de celle-ci survivait ; [
] ;
Que consécutivement - et l'appelante le souligne encore avec pertinence - la suspension du contrat de travail a pris fin, celui-ci n'ayant pas été anéanti par novation, ni rompu par licenciement ou démission rien de tel n'étant prouvé, ni du reste allégué ;
Que par suite Mme E... fait exactement valoir qu'en lui écrivant le 15 mars 2012 que son contrat de travail devait être considéré comme ayant définitivement pris fin du fait de la liquidation judiciaire le liquidateur a pris acte de la rupture contractuelle à la date de la liquidation, ce qui doit donc être qualifié de licenciement irrégulier faute de procédure, et de sans cause réelle et sérieuse en l'absence d'énonciation du motif précis exigé par la loi ;
Que la circonstance que le liquidateur avait pu postérieurement revenir de manière équivoque sur cette rupture - ce qui a été retenu comme ayant laissé Mme E... dans l'incertitude sur ses droits et a justifié le recul du point de départ de la prescription - ne remet pas en cause les effets à la date précitée de ladite rupture dès lors que Mme E... n'a pas acquiescé sans équivoque à une rétractation de celle-ci ;
Que Mme E..., dont le dernier salaire brut mensuel en 2008 s'élevait à 4 463,68 euros alors qu'elle était cadre, s'avère donc bien fondée à voir fixer ses créances au titre des indemnités conventionnelles - l'entreprise relevait de la convention collective du bâtiment - de préavis et de licenciement pour les montants réclamés exactement calculés, étant observé qu'elle a justement exclu de son décompte d'ancienneté toute la période d'exercice des fonctions de mandataire social ;
Qu'en considération de son âge, de son ancienneté, de l'effectif de l'entreprise, et en l'absence de justificatifs de sa situation professionnelle depuis la rupture c'est la fixation d'une créance de 27 000 euros qui remplira Mme E... de son droit à réparation des conséquences de son licenciement ; [
] ;
Que pour ces créances, vu la date de la rupture la garantie de l'AGS CGEA est mobilisable ;

1) ALORS QUE toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit ; que la cour d'appel a relevé que Mme E... faisait exactement valoir qu'en lui écrivant le 15 mars 2012 que son contrat de travail devait être considéré comme ayant définitivement pris fin du fait de la liquidation judiciaire, le liquidateur avait pris acte de la rupture contractuelle à la date de la liquidation, ce qui devait être qualifié de licenciement irrégulier et sans cause réelle et sérieuse ; qu'il en résultait que le délai de prescription avait commencé à courir le 15 mars 2012 ; qu'en énonçant cependant de façon inopérante que seul le courrier du 25 novembre 2013 du liquidateur avait fait connaître à Mme E... les faits permettant d'exercer ses droits, et en fixant en conséquence à cette date le point de départ de la prescription biennale, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article L1471-1 du code du travail dans sa version résultant de la loi n°2013-154 du 14 juin 2013 ;

2) ALORS QUE la garantie de l'AGS couvre les créances résultant de la rupture du contrat de travail intervenant dans les quinze jours suivant le jugement de liquidation judiciaire ; que ni la liquidation judiciaire, ni la cessation d'activité qui en résulte n'entraînent en elles-même rupture du contrat de travail de sorte qu'en l'absence de licenciement prononcé par le liquidateur dans le délai de quinze jours du jugement de liquidation, la garantie de l'AGS n'est pas due ; qu'il n'était pas contesté que la liquidation judiciaire de la société [...] était intervenue le 14 février 2012 ; qu'en retenant la garantie de l'AGS sans avoir constaté le prononcé d'un licenciement par le liquidateur dans les 15 jours suivant la liquidation judiciaire, la cour d'appel a violé l'article L.3253-8 du code du travail ;

3) ALORS QUE subsidiairement, la garantie de l'AGS couvre les créances résultant de la rupture des contrats de travail intervenant dans les quinze jours suivant le jugement de liquidation ; qu'il n'était pas contesté que la liquidation judiciaire de la société E... & fils avait été prononcée le 14 février 2012 ; que la cour d'appel a retenu que le liquidateur avait écrit à Mme [...] le 15 mars 2012 que son contrat de travail devait être considéré comme ayant définitivement pris fin du fait de la liquidation judiciaire ; qu'en fixant la date de la rupture du contrat de travail à celle du prononcé de la liquidation judiciaire quand ce n'est que le 15 mars 2012 que le contrat avait été considéré comme rompu par le liquidateur, la cour d'appel a violé l'article L.3253-8 du code du travail.