Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 9 octobre 2019, 19-10.780, Publié au bulletin

Ref:UAAAKAF2

Résumé

Apport de la jurisprudence : Protocole préélectoral /Syndicat / Représentativité /Données confidentielles/Obligation de loyauté

Un syndicat non représentatif participe à l’instar de deux syndicats représentatifs à la réunion de négociation du PAP sans procéder à sa signature.

L’employeur refuse de communiquer à ce syndicat des documents relatifs à l’identité et à la classification des salariés pour des raisons de confidentialité. La validité du protocole est contestée.

La Cour de cassation considère que l’employeur manque à son obligation de loyauté dès lors que le syndicat non représentatif ayant participé à la négociation du protocole ne peut disposer d’informations relatives à la répartition du personnel et des sièges, éléments indispensables à la négociation.

Cass. soc.,09 octobre 2019, n°19-10780

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique :

Attendu, selon le jugement attaqué (tribunal d'instance de Villefranche-sur-Saône, 8 janvier 2019), que la société BF... agricole (la société) a invité les organisations syndicales à la négociation du protocole préélectoral pour la mise en place du comité social et économique le 5 juillet 2018 ; que se sont présentés à la négociation les syndicats CFDT et CFE-CGC, représentatifs dans l'entreprise, ainsi que l'union locale CGT, non représentative ; qu'à l'issue d'une seconde réunion qui s'est tenue le 11 juillet 2018, un protocole préélectoral a été signé par l'employeur et les deux organisations syndicales représentatives ; que l'union locale CGT a saisi le 27 juillet 2018 le tribunal d'instance en contestation du protocole préélectoral ; que les élections ont eu lieu les 13 et 27 septembre 2018 ;

Attendu que la société fait grief au jugement d'ordonner l'annulation du protocole préélectoral en vue des élections des membres du comité social et économique de la société BF... agricole, signé le 11 juillet 2018 et d'ordonner en conséquence l'annulation desdites élections intervenues les 13 et 27 septembre 2018, alors, selon le moyen :

1°/ que le protocole d'accord préélectoral qui répond aux conditions de validité définies par l'article L2314-6 du code du travail ne peut être contesté devant le juge judiciaire qu'en ce qu'il contiendrait des stipulations contraires à l'ordre public, notamment en ce qu'elles méconnaîtraient les principes généraux de droit électoral ; qu'en l'espèce, le tribunal d'instance a constaté que le protocole d'accord préélectoral a été conclu à la condition de double majorité ; qu'en retenant, pour annuler ce protocole et les élections, que le syndicat CGT démontre n'avoir pas eu accès aux informations nécessaires à un contrôle réel de la répartition du personnel et des sièges entre les collèges et que la violation de l'obligation de loyauté, qui doit présider à la négociation du protocole, vicie l'ensemble des opérations électorales, le tribunal d'instance s'est fondé sur des motifs inopérants, sans constater que le protocole préélectoral comporterait des dispositions contraires à l'ordre public ; qu'il a en conséquence violé l'article L2314-6 du code du travail ;

2°/ que l'employeur, tenu dans le cadre de la négociation préélectorale à une obligation de loyauté, doit fournir aux syndicats participant à cette négociation, et sur leur demande, les éléments nécessaires au contrôle de l'effectif de l'entreprise et de la régularité des listes électorales ; que pour satisfaire à cette obligation, l'employeur peut soit mettre à disposition des syndicats qui demandent à en prendre connaissance le registre unique du personnel et des déclarations annuelles des données sociales des années concernées dans des conditions permettant l'exercice effectif de leur consultation, soit communiquer à ces mêmes syndicats des copies ou extraits desdits documents, expurgés des éléments confidentiels, notamment relatifs à la rémunération des salariés ; que l'employeur n'est pas tenu, en revanche, de remettre aux syndicats des données nominatives et confidentielles sur les fonctions et la classification des salariés ; qu'en retenant néanmoins, pour dire que l'union locale CGT n'avait pas eu accès aux informations nécessaires à un contrôle réel de la répartition du personnel et des sièges dans les collèges, que l'employeur ne lui avait pas remis les éléments lui permettant de connaître la liste des salariés de l'entreprise et d'apprécier leur qualification et leur classification, le tribunal d'instance a violé les articles L. 2314-5, L2314-6 et L2314-11 du code du travail ;

Mais attendu que l'employeur est tenu de mener loyalement les négociations d'un accord préélectoral notamment en mettant à disposition des organisations participant à la négociation les éléments d'information indispensables à celle-ci ; que, dès lors que la contestation du protocole préélectoral a été introduite judiciairement avant le premier tour des élections, ou postérieurement par un syndicat n'ayant pas signé le protocole et ayant émis des réserves expresses avant de présenter des candidats, le manquement à l'obligation de négociation loyale constitue une cause de nullité de l'accord, peu important que celui-ci ait été signé aux conditions de validité prévues par l'article L2314-6 du code du travail ;

Et attendu que le tribunal d'instance, qui a constaté que l'employeur avait refusé à l'union locale CGT la communication d'éléments sur l'identité des salariés et leur niveau de classification, au motif qu'il ne souhaitait pas "communiquer des éléments nominatifs et confidentiels à des personnes extérieures à l'entreprise", et qu'ainsi le syndicat n'avait pas eu accès aux informations nécessaires à un contrôle réel de la répartition du personnel et des sièges dans les collèges, a pu retenir que l'employeur avait manqué à son obligation de loyauté et en a exactement déduit que le protocole préélectoral signé le 11 juillet 2018 était nul, ainsi que les élections organisées sur la base de ce protocole ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société BF... agricole à payer au syndicat UL CGT de Villefranche-Beaujolais-Val de Saône la somme de 2 700 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf octobre deux mille dix-neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat aux Conseils, pour la société BF... agricole

Il est fait grief au jugement attaqué d'AVOIR rejeté les fins de non-recevoir soulevées, d'AVOIR ordonné l'annulation du protocole préélectoral en vue des élections des membres CSE de la société BF... Agricole, signé le 11 juillet 2018, d'AVOIR ordonné en conséquence l'annulation des dites élections intervenues les 13 et 27 septembre 2018 et d'AVOIR condamné la société BF... Agricole à verser à l'Union Locale CGT de Villefranche-sur-Saône la somme de 750 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

AUX MOTIFS QUE « La question posée n'est pas celle du bien fondé du protocole, acquise au vu de sa signature à la double majorité, mais exclusivement celle de son processus d'élaboration.
Le respect de la condition de loyauté, constamment rappelée par la jurisprudence comme essentielle, est un préalable à la signature d'un tel protocole et son défaut vicie l'ensemble des opérations électorales.
Le protocole préélectoral a notamment pour objet de déterminer la détermination des collèges électoraux, la répartition du personnel et des sièges dans les collèges.
Ces décisions interviennent au regard des effectifs salariés présents dans l'entreprise et de la classification des salariés.
L'obligation de loyauté rappelée plus avant impose à l'employeur de communiquer aux syndicats parties à la négociation, des éléments leur permettant de connaître la liste des salariés de l'entreprise dans des conditions leur permettant d'apprécier leur qualification et leur classification.
Ce faisant, les dites organisations afin de pouvoir exercer leur contrôle doivent pouvoir accéder pour chacun des salariés à son niveau et sa fonction ; ainsi ils sont fondés à détenir la liste nominative des dits salariés outre des éléments indiquant leur fonction, leur statut et leur niveau.
L'identité des salariés et leur niveau de classification ne constituent pas des éléments confidentiels.
Or, en l'espèce, dans son courrier en date du 25 juillet 2018, la société BF... AGRICOLE a indiqué au représentant de la CGT qu'elle "ne souhaite pas communiquer des éléments nominatifs et confidentiels à des personnes extérieures à l'entreprise".
Il est ainsi suffisamment démontré que ce syndicat n'a pas eu accès aux informations nécessaires à un contrôle réel de la répartition du personnel et des sièges dans les collèges.
Il sera fait droit à la demande en annulation du protocole préélectoral et des élections l'ayant suivi.
La société BF... AGRICOLE sera déboutée de ses demandes reconventionnelles.

En équité et par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la CGT recevra de la société BF... AGRICOLE la somme de 750 euros » ;

1. ALORS QUE le protocole d'accord préélectoral qui répond aux conditions de validité définies par l'article L2314-6 du code du travail ne peut être contesté devant le juge judiciaire qu'en ce qu'il contiendrait des stipulations contraires à l'ordre public, notamment en ce qu'elles méconnaîtraient les principes généraux de droit électoral ; qu'en l'espèce, le tribunal d'instance a constaté que le protocole d'accord préélectoral a été conclu à la condition de double majorité ; qu'en retenant, pour annuler ce protocole et les élections, que le syndicat CGT démontre n'avoir pas eu accès aux informations nécessaires à un contrôle réel de la répartition du personnel et des sièges entre les collèges et que la violation de l'obligation de loyauté, qui doit présider à la négociation du protocole, vicie l'ensemble des opérations électorales, le tribunal d'instance s'est fondé sur des motifs inopérants, sans constater que le protocole préélectoral comporterait des dispositions contraires à l'ordre public ; qu'il a en conséquence violé l'article L2314-6 du code du travail ;

2. ALORS QUE l'employeur, tenu dans le cadre de la négociation préélectorale à une obligation de loyauté, doit fournir aux syndicats participant à cette négociation, et sur leur demande, les éléments nécessaires au contrôle de l'effectif de l'entreprise et de la régularité des listes électorales ; que pour satisfaire à cette obligation, l'employeur peut soit mettre à disposition des syndicats qui demandent à en prendre connaissance le registre unique du personnel et des déclarations annuelles des données sociales des années concernées dans des conditions permettant l'exercice effectif de leur consultation, soit communiquer à ces mêmes syndicats des copies ou extraits desdits documents, expurgés des éléments confidentiels, notamment relatifs à la rémunération des salariés ; que l'employeur n'est pas tenu, en revanche, de remettre aux syndicats des données nominatives et confidentielles sur les fonctions et la classification des salariés ; qu'en retenant néanmoins, pour dire que l'Union Locale CGT n'avait pas eu accès aux informations nécessaires à un contrôle réel de la répartition du personnel et des sièges dans les collèges, que l'employeur ne lui avait pas remis les éléments lui permettant de connaître la liste des salariés de l'entreprise et d'apprécier leur qualification et leur classification, le tribunal d'instance a violé les articles L. 2314-5, L2314-6 et L2314-11 du code du travail.