Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 15 décembre 2021, 20-19.334, Inédit

Ref:UAAAKCGB

Résumé

Apport de la jurisprudence : Clause de mobilité / Modification du contrat / Lieu de travail

La Cour suprême rappelle que la Cour d’appel reste souveraine en matière d’interprétation des clauses du contrat de travail. Or en l’espèce, la Cour d’appel avait appliqué un raisonnement a contrario en considérant que si la clause indiquait « qu'un déplacement du lieu de travail à moins de 30 kms constituait une simple modification des conditions de travail »; si cela dépassait il y avait modification du contrat et ce, indépendamment du régime de droit commun prévoyant une durée plus longue que 30 kms. En conséquent, la Cour d’appel n’avait pas à vérifier que le nouveau lieu de travail se situait dans le même secteur géographique.

Cass.soc., 15 décembre 2021, n°20-19.334

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

LG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 15 décembre 2021




Rejet


Mme FARTHOUAT-DANON, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 1422 F-D

Pourvoi n° D 20-19.334




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 15 DÉCEMBRE 2021

La société Gelpat tradition, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5], a formé le pourvoi n° D 20-19.334 contre l'arrêt rendu le 24 juin 2020 par la cour d'appel de Bordeaux (chambre sociale, section A), dans le litige l'opposant à Mme [G] [O], domiciliée [Adresse 3], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Laplume, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet Briard, avocat de la société Gelpat tradition, de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de Mme [O], après débats en l'audience publique du 3 novembre 2021 où étaient présents Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Laplume, conseiller référendaire rapporteur, M. Pion, conseiller, Mme Molina, avocat général référendaire, et Mme Lavigne, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 24 juin 2020), Mme [O] a été engagée en qualité d'ouvrière de production par la société Gelpat le 20 octobre 2003. Le contrat de travail a ensuite été transféré à la société Gelpat tradition.

2. La salariée a pris acte de la rupture du contrat de travail le 17 novembre 2016.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première et quatrième branches, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la salariée des sommes à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité de préavis et congés payés afférents, de rappel de salaire pour la période de juillet au 17 novembre 2016, d'indemnité de licenciement et au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors :

« 2°/ que les juges du fond ne peuvent dénaturer les écrits qui leur sont soumis ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a pris pour acquise l'existence d'une modification du contrat de travail de Mme [O] à raison de ce que son nouveau lieu de travail était situé à plus de 30 kms à vol d'oiseau de l'ancien ; qu'en statuant ainsi, quand le contrat décidait qu'un déplacement du lieu de travail à moins de 30 kms constituait une simple modification des conditions de travail, sans pour autant affirmer qu'un déplacement à une distance supérieure constituerait nécessairement une modification du contrat de travail lui-même, laissant ainsi sauve l'application du droit commun pour les déplacements supérieurs à 30 kms, la cour d'appel a dénaturé l'article 6 du contrat de travail de Mme [O] et a violé le principe selon lequel les juges du fond ne peuvent pas dénaturer les documents de la cause ;

3°/ que la mention du lieu de travail dans le contrat de travail a valeur d'information à moins qu'il ne soit stipulé par une clause claire et précise que le salarié exécutera son travail exclusivement dans ce lieu, de sorte que, à défaut de telle clause, sa modification ne constitue en principe qu'une modification des conditions de travail du salarié ; qu'en l'espèce, comme le relevait l'exposante dans ses conclusions d'appel, le contrat de travail de Mme [O] ne comportait aucune stipulation faisant état d'un lieu exclusif de travail et son nouveau lieu de travail était peu éloigné de l'ancien, tous deux étant situés dans le même secteur géographique et un système de navette ayant été prévu, de sorte que la modification de son lieu de travail ne pouvait pas constituer une modification unilatérale de son contrat de travail susceptible de justifier une prise d'acte de la rupture dudit contrat ; qu'en prenant pour acquise l'existence d'une modification du contrat de travail de Mme [O], à raison de ce que son nouveau lieu de travail était à plus de 30 kms de l'ancien, sans rechercher si l'ancien lieu de travail et le nouveau n'étaient pas situés dans le même secteur géographique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1224 du code civil et L1231-1 du code du travail. »

Réponse de la cour

5. La cour d'appel a procédé à l'interprétation souveraine de la clause figurant au contrat de travail, que son ambiguïté rendait nécessaire, et n'était dès lors pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante.

6. Le moyen n'est en conséquence pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Gelpat tradition aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Gelpat tradition et la condamne à payer à Mme [O] la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quinze décembre deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SARL Cabinet Briard, avocat aux Conseils, pour la société Gelpat tradition


Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé le jugement entrepris et, statuant à nouveau, condamné la SAS Gelpat Tradition à payer à Mme [O] 20.000 € d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 2.986 € à titre d'indemnité de préavis, outre 298 € au titre des congés payés y afférents, 6.620,40 € à titre de rappel de salaire pour la période de juillet au 17 novembre 2016, 4.503,87 € d'indemnité de licenciement et 3.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Aux motifs que « un salarié peut rompre son contrat de travail en cas de manquements graves de la part de l'employeur qu'il doit établir ; si les griefs ne sont pas avérés, la prise d'acte emporte les effets d'une démission ; si les griefs sont avérés, cette prise d'acte emporte les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

L'employeur ne peut imposer au salarié une modification de son contrat de travail. En cas de refus de ce dernier, l'employeur renonce à la modification ou engage une procédure de licenciement.

L'article 6 du contrat de travail intitulé « lieu de travail » dispose « votre lieu de travail est actuellement fixé à [Localité 2]. Toutefois compte des possibilités de modification du lieu de production de l'entreprise, il est convenu que toute modification du lien habituel de travail pouvant intervenir ne serait de nature à constituer une modification d'un élément essentiel de votre contrat de travail sous réserve que cette modification du lien s'effectue dans un rayon à vol d'oiseau de 30 kms ».

Cette distance de 30 kms doit être calculée entre le nouveau et l'ancien site de production.

L'usine était située en premier lieu au lieu-dit [Adresse 4] et le nouveau site était situé [Adresse 1].

Le site internet « calculer les distances » indique une distance entre les deux adresses de 32,20 kms tandis que les distances inférieures présentées par l'employeur sont calculées à partir de la commune et non du lieu-dit.

Mme [O] n'a pas donné son accord pour la modification d'une condition essentielle de son contrat de travail, peu important l'organisation d'une navette compte tenu de l'allongement conséquent de la durée du trajet entre le domicile et le lieu de travail. La prise d'acte litigieuse emporte les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Au vu de l'ancienneté de Mme [O] (13 ans), de son âge à la date du licenciement et des justificatifs de sa situation, la société sera condamnée à lui verser la somme de 20.000 €.

La société est redevable envers Mme [O] d'une indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents de 2.986 € et 298 euros ainsi que d'une indemnité de licenciement de 4.503,87 € dont le montant n'est pas contesté.

La société est redevable à disposition de l'employeur à l'adresse de l'ancien site et ce dernier lui doit la somme de 6.6.20,40 € au titre des mois de juillet, août, septembre, octobre et novembre 2016 » ;

1° Alors que les juges du fond ne peuvent dénaturer les écrits qui leur sont soumis ; qu'en l'espèce, l'article 6 du contrat de travail de Mme [O] stipulait que son « lieu de travail [était] actuellement fixé à [Localité 2] » et que « toute modification du lieu habituel de travail pouvant intervenir ne serait de nature à constituer une modification d'un élément essentiel de [son] contrat de travail sous réserve que cette modification du lien s'effectue dans un rayon à vol d'oiseau de 30 km » ; que pour considérer que le lieu de travail de Mme [O] avait été déplacé de 32,20 kilomètres, soit au-delà de la limite contractuelle susmentionnée, la cour d'appel a jugé que la distance devait être calculée entre « le nouveau et l'ancien site de production » et pris en considération les lieux-dits où ceux-ci se situaient respectivement ; qu'en statuant ainsi, bien que la clause contractuelle fixait le lieu de travail dans la commune de [Localité 2], sans plus de précision, et non pas dans un lieu-dit, et qu'elle ne comportait aucune indication justifiant la prise en compte de l'adresse exacte de l'ancien site d'activité pour évaluer la distance avec le nouveau lieu de travail de la salariée, ce qui imposait de prendre comme point de départ de l'évaluation de la distance la commune de [Localité 2] ellemême, la cour d'appel a dénaturé l'article 6 du contrat de travail de Mme [O] et a violé le principe selon lequel les juges du fond ne peuvent pas dénaturer les documents de la cause ;

2° Alors que les juges du fond ne peuvent dénaturer les écrits qui leur sont soumis ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a pris pour acquise l'existence d'une modification du contrat de travail de Mme [O] à raison de ce que son nouveau lieu de travail était situé à plus de 30 kms à vol d'oiseau de l'ancien ; qu'en statuant ainsi, quand le contrat décidait qu'un déplacement du lieu de travail à moins de 30 kms constituait une simple modification des conditions de travail, sans pour autant affirmer qu'un déplacement à une distance supérieure constituerait nécessairement une modification du contrat de travail lui-même, laissant ainsi sauve l'application du droit commun pour les déplacements supérieurs à 30 kms, la cour d'appel a dénaturé l'article 6 du contrat de travail de Mme [O] et a violé le principe selon lequel les juges du fond ne peuvent pas dénaturer les documents de la cause ;

3° Alors que la mention du lieu de travail dans le contrat de travail a valeur d'information à moins qu'il ne soit stipulé par une clause claire et précise que le salarié exécutera son travail exclusivement dans ce lieu, de sorte que, à défaut de telle clause, sa modification ne constitue en principe qu'une modification des conditions de travail du salarié ; qu'en l'espèce, comme le relevait l'exposante dans ses conclusions d'appel, le contrat de travail de Mme [O] ne comportait aucune stipulation faisant état d'un lieu exclusif de travail et son nouveau lieu de travail était peu éloigné de l'ancien, tous deux étant situés dans le même secteur géographique et un système de navette ayant été prévu, de sorte que la modification de son lieu de travail ne pouvait pas constituer une modification unilatérale de son contrat de travail susceptible de justifier une prise d'acte de la rupture dudit contrat ; qu'en prenant pour acquise l'existence d'une modification du contrat de travail de Mme [O], à raison de ce que son nouveau lieu de travail était à plus de 30 kms de l'ancien, sans rechercher si l'ancien lieu de travail et le nouveau n'étaient pas situés dans le même secteur géographique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1224 du Code civil et L1231-1 du Code du travail ;

4° Alors, en tout état de cause, que la prise d'acte ne peut produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse que si le manquement de l'employeur, tiendrait-il dans la modification du contrat de travail du salarié, est d'une gravité suffisante pour imposer la rupture immédiate de la relation de travail ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que Mme [O] était fondée à mettre un terme immédiat à la relation de travail, dès lors que son lieu de travail avait été unilatéralement déplacé par l'employeur à 32,2 kms de l'ancien, quand son contrat de travail affirmait que tout déplacement du lieu de travail à moins de 30 kms à vol d'oiseau de [Localité 2] ne constituait qu'une modification de ses conditions de travail ; qu'en statuant ainsi, sans caractériser en quoi un déplacement du lieu de travail de 2,2 kms de plus que la distance dont les parties s'accordaient à considérer qu'elle ne constituait qu'une modification des conditions de travail de la salariée, distance correspondant à un allongement du temps de trajet de deux minutes, aurait été suffisamment grave pour justifier une rupture immédiate de la relation de travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1224 du Code civil et L1231-1 du Code du travail.