Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 7 juillet 2021, 19-22.922, Publié au bulletin

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Résumé

Apport de la jurisprudence : Période d'essai / Licenciement / Durée / L.1221-20

La convention n°158 de l’Organisation internationale du travail (et la dérogation prévue en son article 2, paragraphe 2 b) n’est pas suffisamment opérante pour juger de la durée et de l’opportunité de la période d’essai d’un salarié – (en l’espèce 6 mois pour un conseiller commercial en assurance). La Cour d’appel se devait de déterminer au regard de la catégorie d’emploi occupée, si la durée totale de la période d’essai prévue au contrat de travail n’était pas raisonnable.

Cass.soc 7 juillet 2021 n°19-22.922

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

LG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 7 juillet 2021




Cassation partielle


M. CATHALA, président



Arrêt n° 1052 FS-B

Pourvoi n° G 19-22.922






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 7 JUILLET 2021

La société Generali vie, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° G 19-22.922 contre l'arrêt rendu le 20 août 2019 par la cour d'appel de Metz (chambre sociale, section 1), dans le litige l'opposant à M. [E] [X], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Pion, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Generali vie, et l'avis de Mme Rémery, avocat général, après débats en l'audience publique du 29 juin 2021 où étaient présents M. Cathala, président, M. Pion, conseiller rapporteur, Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen, M. Ricour, Mmes Van Ruymbeke, Capitaine, Gilibert, conseillers, M. Duval, Mmes Valéry, Pecqueur, Laplume, conseillers référendaires, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Metz, 20 août 2019), M. [X] a été engagé en qualité de conseiller commercial auxiliaire à compter du 1er juin 2016 par la société Generali vie, le contrat de travail stipulant l'obligation d'accomplir une période d'essai de six mois, sans possibilité de renouvellement.

2. L'employeur ayant mis fin à la période d'essai le 13 septembre 2016, le salarié a saisi la juridiction prud'homale.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire qu'est déraisonnable, au visa de la convention n° 158 de l'Organisation international du travail (OIT), une période d'essai dont la durée est de six mois, de déclarer que la rupture du contrat de travail du salarié s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et de le condamner à payer des sommes à titre d'indemnité pour licenciement irrégulier et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors « que si la durée de la période d'essai, au cours de laquelle l'application des règles légales relatives à la rupture du contrat de travail, doit présenter, en application de l'article 2 de la convention OIT n° 158, un caractère raisonnable, celui-ci s'apprécie, compte tenu de la finalité de la période d'essai pour permettre à l'employeur d'évaluer les compétences du salarié dans les conditions normales d'exécution de son travail, au regard de la nature des fonctions et des missions confiées au salarié et de la durée nécessaire pour s'assurer que ce dernier a bien toutes les qualités nécessaires pour les assumer ; qu'au cas présent, la société Generali vie exposait que la profession de conseiller commercial en assurances, dont l'accès est réglementé par le code des assurances, implique un contact direct avec la clientèle et la mission de faire souscrire à cette dernière des contrats d'assurance dont les modalités peuvent avoir des conséquences patrimoniales importantes ; qu'elle soulignait que ces fonctions impliquent un devoir de conseil, dont la méconnaissance est susceptible d'engager la responsabilité civile et pénale de l'employeur, dont le respect suppose que le conseiller, rémunéré par des commissions sur les contrats souscrits, soit pleinement formé sur le plan juridique, technique et déontologique ; qu'elle faisait valoir que, pour ces raisons, les personnes recrutées pour exercer de telles fonctions devaient, au terme d'un stage de formation d'un mois leur permettant d'obtenir une habilitation à présenter des contrats d'assurance au public, exercer pendant cinq mois en qualité de conseiller commercial auxiliaire sous la tutelle d'un conseiller commercial chevronné avant de devenir conseiller commercial titulaire ; qu'elle exposait dès lors que la période d'essai d'une durée de six mois était nécessaire au regard des contraintes juridiques intrinsèques au secteur de l'assurance pour appréhender le sérieux et les compétences de salariés conduits à représenter la société d'assurance auprès de sa clientèle dans le cadre d'une activité soumise à des risques juridiques importants, et que cette durée ne présentait donc pas un caractère déraisonnable ; qu'en se bornant à énoncer qu'est ''déraisonnable, au visa de la convention n° 158 de l'OIT et au regard de la finalité de la période d'essai et au salarié d'apprécier si les fonctions occupées lui conviennent et de l'exclusion des règles de licenciement durant cette période, une période d'essai dont la durée est de six mois'', sans tenir compte de la nature des fonctions exercées par le salarié ni des contraintes juridiques propres au secteur assurantiel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2 de la convention OIT n° 158, des articles L. 1221-20, L1221-22 du code du travail et 22 de la convention collective nationale des producteurs salariés de base des services extérieurs de production des sociétés d'assurance du 27 mars 1972. »

Réponse de la Cour

Vu les principes posés par la convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail sur le licenciement adoptée à Genève le 22 juin 1982 et entrée en vigueur en France le 16 mars 1990 et la dérogation prévue en son article 2, paragraphe 2 b) :

4. Aux termes de ce texte peuvent être exclus du champ d'application de l'ensemble ou de certaines des dispositions de la convention les travailleurs effectuant une période d'essai ou n'ayant pas la période d'ancienneté requise, à condition que la durée de celle-ci soit fixée d'avance et qu'elle soit raisonnable.

5. Pour dire que la rupture du contrat de travail s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et condamner l'employeur au paiement de diverses sommes, l'arrêt retient qu'est déraisonnable, au visa de la convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail et au regard de la finalité de la période d'essai qui doit permettre au salarié d'apprécier si les fonctions occupées lui conviennent et de l'exclusion des règles de licenciement durant cette période, une période d'essai dont la durée est de six mois.

6. En se déterminant ainsi, par une affirmation générale, sans rechercher, au regard de la catégorie d'emploi occupée, si la durée totale de la période d'essai prévue au contrat de travail n'était pas raisonnable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a mis hors de cause la société Generali Iard, l'arrêt rendu le 20 août 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Metz ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy ;

Condamne M. [X] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Generali vie ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du sept juillet deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Generali vie


PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit qu'est déraisonnable, au visa de la convention n° 158 de l'Organisation International du Travail (OIT), une période d'essai dont la durée est de six mois, d'avoir déclaré que la rupture du contrat de travail de M. [X] s'analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et d'avoir condamné la société Generali Vie à verser à M. [X] les sommes de 1.615 ? nets d'indemnité pour licenciement irrégulier et de 2.000 ? nets à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

AUX MOTIFS QU' « aux termes de l'article L1221-19 du Code du Travail : le contrat de travail à durée indéterminée peut comporter une période d'essai dont la durée maximale est : 1° Pour les ouvriers et les employés, de deux mois ; 2° Pour les agents de maîtrise et les techniciens, de trois mois ; Pour les cadres, de quatre mois. Par ailleurs, aux termes de l'article L1221-22 du Code du travail, les durées des périodes d'essai fixées par les articles L1221-19 et L. 1221-21 ont un caractère impératif, à l'exception de durées plus longues fixées par les accords de branche conclus avant la date de publication de la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail ; En l'espèce la Convention Collective Nationale des Producteurs salariés de base des services extérieurs de production des sociétés d'assurances du 27 mars 1972 précise en son article 22, « Pour être titularisé en qualité de Producteur salarié de base, l'intéressé doit avoir accompli préalablement, chez le même employeur, de façon satisfaisante, une période d'essai de six mois. Cette période d'essai pourra être renouvelée une fois, pour une durée n'excédant pas six mois. Pendant la période d'essai la rémunération minima de l'intéressé est égale à 80 % de celle fixée par le Producteur salarié de base titulaire. Pendant la période d'essai le contrat peut être rompu sans préavis par l'une ou l'autre des parties. Toutefois, en cas de renouvellement de la période d'essai, un avis réciproque d'un mois doit ?sauf le cas de faute grave ou de force majeure- être respecté. » Il sera rappelé cependant qu'est déraisonnable, au visa de la convention n° 158 de l'Organisation Internationale du Travail (OIT) et au regard de la finalité de la période d'essai et au salarié d'apprécier si les fonctions occupées lui conviennent et de l'exclusion des règles de licenciement durant cette période, une période d'essai dont la durée est de six mois, comme en l'espèce. Il sera relevé que la période d'essai ne peut être confondue avec une période de formation ou une période d'apprentissage avant titularisation, la finalité de la période d'essai devant permettre à l'employeur d'évaluer les compétences du salarié dans son travail, notamment au regard de son expérience et non de le former. Par ailleurs, s'il y a eu dépassement, la période d'essai n'est pas nulle mais elle est réduite à due concurrence, soit en l'espèce, à une période d'essai de 3 mois, M. [E] [X] n'ayant pas été embauché en qualité de cadre mais de conseiller commercial, ce qui peut être qualifié de technicien. Ainsi la rupture du contrat de travail de M. [X] est intervenue le 13 septembre 2016, soit après le délai de 3 mois de l'article précité, peu importe que M. [C] ait été en arrêt maladie à compter du 29 août 2016. Par conséquent, la rupture de contrat au-delà-de la durée maximale prévue s'analyse en un licenciement, qui n'étant pas motivé, doit être déclaré sans cause réelle et sérieuse » ;

ALORS QUE si la durée de la période d'essai, au cours de laquelle l'application des règles légales relatives à la rupture du contrat de travail, doit présenter, en application de l'article 2 de la convention OIT n° 158, un caractère raisonnable, celui-ci s'apprécie, compte tenu de la finalité de la période d'essai pour permettre à l'employeur d'évaluer les compétences du salarié dans les conditions normales d'exécution de son travail, au regard de la nature des fonctions et des missions confiées au salarié et de la durée nécessaire pour s'assurer que ce dernier a bien toutes les qualités nécessaires pour les assumer ; qu'au cas présent, la société Generali Vie exposait que la profession de conseiller commercial en assurances, dont l'accès est réglementé par le code des assurances, implique un contact direct avec la clientèle et la mission de faire souscrire à cette dernière des contrats d'assurance dont les modalités peuvent avoir des conséquences patrimoniales importantes ; qu'elle soulignait que ces fonctions impliquent un devoir de conseil, dont la méconnaissance est susceptible d'engager la responsabilité civile et pénale de l'employeur, dont le respect suppose que le conseiller, rémunéré par des commissions sur les contrats souscrits, soit pleinement formé sur le plan juridique, technique et déontologique ; qu'elle faisait valoir que, pour ces raisons, les personnes recrutées pour exercer de telles fonctions devaient, au terme d'un stage de formation d'un mois leur permettant d'obtenir une habilitation à présenter des contrats d'assurance au public, exercer pendant cinq mois en qualité de conseiller commercial auxiliaire sous la tutelle d'un conseiller commercial chevronné avant de devenir conseiller commercial titulaire ; qu'elle exposait dès lors que la période d'essai d'une durée de six mois était nécessaire au regard des contraintes juridiques intrinsèques au secteur de l'assurance pour appréhender le sérieux et les compétences de salariés conduits à représenter la société d'assurance auprès de sa clientèle dans le cadre d'une activité soumise à des risques juridiques importants, et que cette durée ne présentait donc pas un caractère déraisonnable ; qu'en se bornant à énoncer qu'est « déraisonnable, au visa de la convention n° 158 de l'OIT et au regard de la finalité de la période d'essai et au salarié d'apprécier si les fonctions occupées lui conviennent et de l'exclusion des règles de licenciement durant cette période, une période d'essai dont la durée est de six mois », sans tenir compte de la nature des fonctions exercées par le salarié ni des contraintes juridiques propres au secteur assurantiel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2 de la convention OIT n° 158, des articles L. 1221-20, L1221-22 du code du travail et 22 de la convention collective nationale des producteurs salariés de base des services extérieurs de production des sociétés d'assurance du 27 mars 1972.


SECOND MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que la rupture du contrat de travail de M. [X] s'analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et d'avoir condamné la société Generali Vie à verser à M. [X] les sommes de 1.615 ? nets d'indemnité pour licenciement irrégulier et de 2.000 ? nets à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

AUX MOTIFS QUE « s'il y a eu dépassement, la période d'essai n'est pas nulle mais elle est réduite à due concurrence, soit en l'espèce, à une période d'essai de 3 mois, M. [E] [X] n'ayant pas été embauché en qualité de cadre mais de conseiller commercial, ce qui peut être qualifié de technicien. Ainsi la rupture du contrat de travail de M. [X] est intervenu le 13 septembre 2016, soit après le délai de 3 mois de l'article précité, peu importe que M. [C] ait été en arrêt maladie à compter du 29 août 2016. Par conséquent, la rupture de contrat au-delà-de la durée maximale prévue s'analyse en un licenciement, qui n'étant pas motivé, doit être déclaré sans cause réelle et sérieuse » ;

ALORS QU'à supposer que la durée de la période d'essai stipulée au contrat de travail en application d'une convention collective de branche antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 25 juin 2008 présente un caractère déraisonnable, la rupture du contrat de travail ne s'analyse en un licenciement que lorsqu'elle intervient au-delà de la durée maximale applicable, en application de l'article L1221-19 du code du travail, à la catégorie professionnelle du salarié ; que la période d'essai est prorogée en cas de suspension du contrat de travail pour une durée égale à celle qui restait à courir au moment de la suspension ; qu'au cas particulier, la société Generali Vie exposait que le contrat de travail de M. [X] avait été suspendu, pour cause d'arrêt maladie, pendant 14 jours, de sorte que la durée de la période d'essai devait alors être prolongée d'une durée équivalente à la durée de l'arrêt de travail ; qu'il en résultait que la rupture du contrat de travail avait été notifiée au salarié le 13 septembre 2016, alors que le délai d'essai de trois mois, applicable en vertu de l'article L1221-19 du code du travail, n'était pas expiré, et que la rupture ne pouvait donc s'analyser en un licenciement ; qu'en refusant de tenir compte de la période de suspension du contrat de travail pour déterminer le terme de la période d'essai applicable, la cour d'appel a violé l'article L1221-19 du code du travail.