Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 12 juillet 2022, 21-11.631, Inédit

Ref:UAAAKCTC

Résumé

Apport de la jurisprudence : Licenciement disciplinaire / Faute grave / Prescription / Comportement / Réitération / L.1332-4

L’accent est mis ici sur le caractère répété des agissements des salariés venant mettre à mal la prescription de deux mois à compter du jour où l'employeur a eu connaissance des faits. La Haute juridiction rappelle que cette prescription ne fait pas obstacle à la prise en considération de faits antérieurs à deux mois dès lors que le comportement du salarié s'est poursuivi ou s'est réitéré dans ce délai.

Cass. soc 12 juillet 2022 n°21-11.631

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

CDS



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 12 juillet 2022




Cassation


Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 857 F-D

Pourvoi n° B 21-11.631

Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de Mme [L].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 18 juin 2021.



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 12 JUILLET 2022

L'Opéra de [Localité 3], établissement public à caractère industriel et commercial, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° B 21-11.631 contre l'arrêt rendu le 24 septembre 2020 par la cour d'appel de Dijon (chambre sociale), dans le litige l'opposant à Mme [Y] [L], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Carillon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l' Opéra de [Localité 3], de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [L], après débats en l'audience publique du 31 mai 2022 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Carillon, conseiller référendaire rapporteur, Mme Le Lay, conseiller et Mme Dumont, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 24 septembre 2020), Mme [L] a été engagée à compter du 12 septembre 1994, en qualité d'hôtesse d'accueil locationnaire, par la société Filippi, à laquelle a succédé l'établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) Opéra de [Localité 3] le 1er septembre 2002.

2. Contestant son licenciement pour faute grave notifié par lettre du 30 septembre 2016, elle a saisi la juridiction prud'homale.

Examen du moyen

Sur le moyen pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement pour faute grave de la salariée est dépourvu de cause réelle et sérieuse, de le condamner à lui verser diverses sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, d'indemnité conventionnelle de licenciement, d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de lui ordonner de lui remettre les documents de fin de contrat conformes à l'arrêt, alors « que lorsque le comportement reproché au salarié s'est poursuivi dans le délai de deux mois précédant l'engagement de la procédure de licenciement, l'employeur est fondé à prendre en considération les faits de même nature survenus antérieurement ; qu'en retenant, après avoir estimé que les faits afférents aux places payées par les époux [I] n'étaient pas prescrits, que les agissements concernant MM. [S] et [U] étaient quant à eux prescrits faute pour l'employeur de démontrer la date à laquelle il en avait eu connaissance, quand il était constant que ces agissements étaient de même nature que les faits non prescrits visant les époux [I], la cour d'appel a violé l'article L1332-4 du code du travail. »


Réponse de la Cour

Vu l'article L1332-4 du code du travail :

4. Si aux termes de ce texte aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, ces dispositions ne font pas obstacle à la prise en considération de faits antérieurs à deux mois dès lors que le comportement du salarié s'est poursuivi ou s'est réitéré dans ce délai.

5. Pour dire le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse et condamner l'employeur au paiement de dommages-intérêts à ce titre, l'arrêt, après avoir retenu que les faits relatifs aux cinq réservations faites au nom des époux [I], n'étaient pas prescrits puisque que l'employeur n'en avait eu connaissance que le 20 juillet 2016, lors de l'enregistrement informatique du chèque de Mme [I], soit moins de deux mois avant l'engagement de la procédure disciplinaire le 9 septembre 2016, énonce que s'agissant des griefs relatif à MM. [S] et [U], l'employeur ne communique aucun élément permettant de déterminer la date à laquelle ces salariés ont effectué leur achat de billets et que faute de rapporter la preuve du moment où il a appris les dépassements de quotas de billets préférentiels, ces faits sont prescrits.

6. En statuant ainsi, sans examiner les griefs relatifs aux achats de places de MM. [S] et [U], salariés de l'entreprise, à des tarifs non conformes, alors qu'elle avait constaté que l'employeur reprochait à l'intéressée une violation continue et répétée de ses obligations professionnelles, soit la persistance d'un comportement fautif, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 septembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Besançon ;

Condamne Mme [L] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze juillet deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour l' Opéra de [Localité 3]

L'Épic Opéra de [Localité 3] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que le licenciement pour faute grave de Mme [L] était dépourvu de cause réelle et sérieuse, de l'AVOIR condamné à verser à la salariée les sommes de 6 338,04 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, 633,80 euros au titre des congés payés afférents, 23 651,45 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, 30 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et de lui AVOIR ordonné de remettre à Mme [L] les documents de fin de contrat conformes à l'arrêt.

1°) ALORS QUE lorsque le comportement reproché au salarié s'est poursuivi dans le délai de deux mois précédant l'engagement de la procédure de licenciement, l'employeur est fondé à prendre en considération les faits de même nature survenus antérieurement ; qu'en retenant, après avoir estimé que les faits afférents aux places payées par les époux [I] n'étaient pas prescrits, que les agissements concernant MM. [S] et [U] étaient quant à eux prescrits faute pour l'employeur de démontrer la date à laquelle il en avait eu connaissance, quand il était constant que ces agissements étaient de même nature que les faits non prescrits visant les époux [I], la cour d'appel a violé l'article L1332-4 du code du travail ;

2°) ALORS QUE les juges ne peuvent dénaturer les documents de la cause ; qu'en l'espèce, la note interne du 10 septembre 2008, établie à l'attention « de l'ensemble du personnel de l'opéra de [Localité 3] », énonçait que « si vous souhaitez acheter des places pour vous-même, vous pouvez bénéficier du tarif réduit (?) ou du tarif production » ; qu'il en résultait que les salariés désireux de bénéficier des tarifs préférentiels proposés devaient eux-mêmes acheter leurs places ; qu'en affirmant que cette note ne précisait pas que les places accordées au personnel à un tarif réduit devaient impérativement être réglées par ledit personnel, de sorte qu'elles pouvaient être achetées par des tiers à des tarifs préférentiels en vue d'être offertes à des membres du personnel de l'opéra, la cour d'appel a violé le principe faisant interdiction aux juges de dénaturer les documents de la cause ;

3°) ALORS en tout état de cause QU'il appartient au salarié d'établir la réalité du fait qu'il invoque pour justifier le comportement qui lui est reproché par l'employeur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que Mme [L] avait vendu à Mme [I], pour elle et son mari, qui ne faisaient pas partie du personnel de l'opéra, des places pour cinq représentations du spectacle « Gerschwin » au tarif spécifique du personnel de l'opéra, destinées, selon Mme [I], à être offertes à Mme [F], salariée de l'opéra ; qu'en reprochant à l'employeur de ne pas rapporter la preuve que ce n'était pas Mme [F] qui avait bénéficié desdites places, quand il appartenait à Mme [L] d'établir que les deux places vendues aux époux [I] pour chacune des cinq représentations du spectacle « Gerschwin » avaient toutes été utilisées par Mme [F], la cour d'appel a violé l'article 1315 devenu 1353 du code civil ;

4°) ALORS subsidiairement QUE la cour d'appel a constaté que cinq réservations de spectacle avaient été enregistrées par Mme [L] au nom des époux [I] (arrêt page 3 in fine), et que les places correspondantes avaient été réglées pour un montant total de cent euros par un chèque libellé au nom de Mme [I] (arrêt page 4, § 1) ; qu'il en résultait que Mme [L] avait vendu dix places au nom des époux [I], au prix de dix euros chacune, soit deux places pour chacun des cinq spectacles concernés ; qu'en reprochant à l'employeur de ne pas établir que ce n'était pas Mme [F], à laquelle les billets avaient été offerts, qui en avait bénéficié, quand il résultait de ses propres constatations que Mme [F] seule ne pouvait avoir occupé deux places par spectacle, la cour d'appel a violé les articles L. 1232-1, L. 1234-1, L. 1234-5 et L1234-9 du code du travail ;