Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 16 décembre 2020, 19-13.610, Inédit

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Résumé

Apport de la jurisprudence : Travail dissimulé / Bulletin de paie / Pourboire / L.8221-5-3 CT / L.242-1 CSS

Doit être cassé l’arrêt qui retient la qualification de travail dissimulé d’un salarié en raison de l’absence de mention sur les bulletins de paie d'une redistribution régulière durant plusieurs années de pourboires et le fait de s’être soustrait au paiement de cotisations et contributions sociales sur ces pourboires.

En l’espèce, le salarié, agent portuaire, demandait le paiement d’une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé pour la non prise en compte de ses pourboires dans ses fiches de paie.

Cass. soc., 16 décembre 2020, n° 19-13.610

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


SOC.

IK



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 16 décembre 2020




Cassation partielle


M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 1228 F-D

Pourvoi n° M 19-13.610

Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de M. E....
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 27 mai 2020.




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 16 DÉCEMBRE 2020

La commune de Saint-Tropez, représentée par son maire en exercice, domicilié en cette qualité à l'Hôtel de ville, [...], a formé le pourvoi n° M 19-13.610 contre l'arrêt rendu le 22 février 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-6), dans le litige l'opposant à M. H... E..., domicilié [...] , défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Sommé, conseiller, les observations de la SCP Gaschignard, avocat de la commune de Saint-Tropez, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. E..., après débats en l'audience publique du 4 novembre 2020 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Sommé, conseiller rapporteur, M. Joly, conseiller référendaire ayant voix délibérative, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article L. 431-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 22 février 2019), M. E... a été engagé le 8 avril 1991 en qualité d'agent portuaire, puis de maître de port principal à compter de 2005, par la chambre de commerce et d'industrie du Var, aux droits de laquelle se trouve la commune de Saint-Tropez.

2. Le salarié a été licencié le 20 novembre 2014.

3. Il a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes, notamment à titre de travail dissimulé.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

5. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au salarié une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, alors « que M. E..., qui se plaignait que la commune ait exigé à compter du printemps 2010 que les pourboires versés aux agents du port soient mis en commun et redistribués entre ceux-ci, se bornait à reprocher à la commune de n'avoir pas mentionné les pourboires redistribués aux salariés "pour la saison 2010" ; qu'en retenant, pour caractériser l'élément intentionnel du travail dissimulé, la circonstance que la commune se serait abstenue de faire mention de pourboires redistribués "pour les années 2008 à 2011", et que cette redistribution occulte "durant plusieurs années" trahissait la volonté de se soustraire aux obligations déclaratives, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 4 du code de procédure civile :

6. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.

7. Pour condamner l'employeur au paiement d'une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, la cour d'appel a retenu que l'examen des bulletins de paie des années 2008 à 2011 ne permet pas de confirmer que les pourboires distribués au salarié ont bien été mentionnés sur les bulletins de paie afin d'être soumis aux cotisations et contributions sociales et que l'absence de mention quelconque sur les bulletins de paie d'une redistribution régulière durant plusieurs années de pourboires pour des montants non symboliques traduit une volonté de l'employeur de se soustraire à ses obligations déclaratives, ce qui caractérise en tous ses éléments, matériel et intentionnel, le délit de travail dissimulé prévu par l'article L. 8221-5 3° du code du travail dans sa version alors en vigueur, dès lors que, selon l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, ces pourboires sont soumis aux cotisations sociales.

8. En statuant ainsi, alors que le salarié invoquait, au titre du travail dissimulé, l'absence de mention sur les bulletins de paie de la somme de 935 euros au titre des pourboires versés pour la seule saison 2010, la cour d'appel, qui a méconnu les termes du litige, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la commune de Saint-Tropez à payer à M. E... la somme de 23 362,50 euros nets à titre d'indemnité pour travail dissimulé, l'arrêt rendu le 22 février 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;

Condamne M. E... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la commune de Saint-Tropez ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du seize décembre deux mille vingt. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Gaschignard, avocat aux Conseils, pour la commune de Saint-Tropez

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir prononcé la nullité du licenciement et d'avoir condamné la commune à payer à Monsieur E... les sommes de 11 681,25 euros à titre de préavis, 38 937,50 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, 60 000,00 euros à titre de dommages-intérêts et 908,54 euros pour violation du statut protecteur,

AUX MOTIFS QU'au vu des éléments d'appréciation, si le salarié n'a pas porté sa candidature à la connaissance de son employeur pour le premier tour des élections du personnel qui s'est déroulé le 16 juin 2014, il est incontestable que Monsieur E..., qui disposait d'un mandat de délégué du personnel jusqu'au 26 avril 2014, s'est porté candidat au second tour de ces mêmes élections qui a eu lieu le 30 juin 2014, n'a pas été réélu et a été considéré par l'employeur comme devant toujours bénéficier du statut protection puisque ce dernier a demandé l'autorisation de licencier à l'inspection du travail par courrier du 29 juillet 2014 ; que ceci a donné lieu à une décision de refus en date du 8 septembre 2014 ; que dès lors, en application des dispositions alors en vigueur de l'article L2411-7 du code du travail, une autorisation de licencier était bien requise pour pouvoir procéder au licenciement du 20 novembre 2014, le délai de six mois prévu par ce texte ayant nécessairement commencé à courir entre le 16 juin 2014 et le 19 juin 2014, dernier jour pour poser sa candidature au second tour des élections du 30 juin 2014 ; qu'il s'ensuit la nullité du licenciement du 20 novembre 2014 ;

1°- ALORS QUE la commune de Saint-Tropez faisait valoir que M. E... n'avait jamais fait acte de candidature aux élections des 16 et 30 juin 2014 ; qu'en se bornant à énoncer, pour juger que M. E... devait bénéficier du statut protecteur, qu'il est « incontestable », « au vu des éléments d'appréciation », que M. E... s'était porté candidat au second tour, la cour d'appel, qui a statué par voie de simple affirmation, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2°- ALORS QUE la protection de six mois bénéficiant au candidat aux fonctions de délégué du personnel lui est acquise à compter de l'envoi par lettre recommandée avec accusé de réception de sa candidature à l'employeur ; qu'en retenant que le licenciement prononcé le 20 novembre 2014, était nul comme intervenu pendant la période de protection dont devait bénéficier M. E..., au motif inopérant qu'à la date du 29 juillet 2014, l'employeur considérait que celui-ci, délégué du personnel jusqu'au 26 avril 2014, bénéficiait toujours du statut protecteur, cependant qu'il était « incontestable » qu'il s'était présenté aux élections des 16 et 19 juin 2014, la cour d'appel, qui n'a constaté ni que le salarié avait adressé à son employeur une lettre de candidature dans les conditions légalement requises, ni que l'employeur avait connaissance de cette candidature, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L2411-7 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la commune de Saint-Tropez à payer à M. E... une indemnité forfaitaire de 23 352,50 euros pour travail dissimulé,

AUX MOTIFS QUE si l'employeur indique avoir centralisé et géré les pourboires à distribuer aux salariés, dont Monsieur E..., l'examen des bulletins de paie versés aux débats pour les années 2008 à 2011 ne permet pas de confirmer que de tels pourboires ont bien été mentionnés sur les bulletins de paie afin d'être soumis aux cotisations et contributions sociales ; qu'en l'état de ces constatations, l'absence de mention quelconque sur les bulletins de paie d'une redistribution régulière durant plusieurs années de pourboires pour des montants non-symboliques traduit une volonté de se soustraire à ses obligations déclaratives, ce qui caractérise en tous ses éléments, matériel et intentionnel, le délit de travail dissimulé prévu par l'article L. 8221-5 3° du code du travail dans sa version alors en vigueur, dès lors que selon l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, ces pourboires sont soumis aux cotisations sociales ; qu'en application de l'article L8223-1 du code du travail dans sa version alors en vigueur, l'employeur sera condamné à payer au salarié la somme de 23.362,50 euros nets à titre d'indemnité forfaitaire ;

ALORS QUE Monsieur E..., qui se plaignait que la commune ait exigé à compter du printemps 2010 que les pourboires versés aux agents du port soient mis en commun et redistribués entre ceux-ci, se bornait à reprocher à la commune de n'avoir pas mentionné les pourboires redistribués aux salariés « pour la saison 2010 » ; qu'en retenant, pour caractériser l'élément intentionnel du travail dissimulé, la circonstance que la commune se serait abstenue de faire mention de pourboires redistribués « pour les années 2008 à 2011 », et que cette redistribution occulte « durant plusieurs années » trahissait la volonté de se soustraire aux obligations déclaratives, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile.