Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 2 mars 2022, 20-17.454, Inédit

Ref:UAAAKCML

Résumé

Apport de la jurisprudence : CDD / CDI / Contrat / Signature / Requalification / L.1221-2

L’absence de signature d’un des signataires sur le contrat CDD, rend ce dernier inopérant. Le contrat est alors réputé être conclu en CDI.

Cass. soc. 2 mars 2022, n°20-17.454

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

LG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 2 mars 2022




Cassation partielle


M. SCHAMBER, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 248 F-D

Pourvoi n° K 20-17.454

Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme [P].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 27 février 2020.




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 2 MARS 2022

Mme [N] [P], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° K 20-17.454 contre l'arrêt rendu le 20 septembre 2018 par la cour d'appel d'Orléans (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société Armand Thierry, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Rouchayrole, conseiller, les observations de la SCP Zribi et Texier, avocat de Mme [P], de la SCP Spinosi, avocat de la société Armand Thierry, après débats en l'audience publique du 12 janvier 2022 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Rouchayrole, conseiller rapporteur, M. Sornay, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Orléans, 20 septembre 2018), Mme [P] a été engagée le 2 avril 2012 par la société Armand Thierry (la société) par contrat de travail à durée déterminée à temps partiel en qualité de vendeuse, en vue de pourvoir au remplacement d'une salariée absente.

2. La relation de travail, poursuivie selon vingt-cinq contrats de travail à durée déterminée de remplacement, a pris fin le 14 juillet 2013.

3. Le 23 juin 2014, elle a saisi la juridiction prud'homale de demandes tendant à la requalification des contrats de travail à durée déterminée en un contrat de travail à durée indéterminée et en paiement des indemnités subséquentes, ainsi qu'en nullité de la rupture de la relation de travail.

Examen des moyens

Sur le second moyen, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes en requalification de la relation contractuelle avec la société en un contrat à durée indéterminée et, en conséquence, en condamnation de la société à lui payer une certaine somme à titre d'indemnité de requalification, de ses demandes tendant à faire juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse et en paiement de sommes à titre d'indemnité de préavis, outre les congés payés afférents, d'indemnité légale de licenciement et d'indemnité pour licenciement abusif, alors « que faute de comporter la signature de l'une des parties, fût-elle celle de l'employeur, les contrats à durée déterminée ne peuvent être considérés comme ayant été établis par écrit et qu'ils sont par suite, réputés conclus pour une durée indéterminée ; qu'en énonçant que c'est l'absence de signature du contrat de travail à durée déterminée par le salarié, et non par l'employeur, qui permet au premier de poursuivre la requalification du contrat de travail à durée indéterminée, la cour d'appel a violé l'article L1242-12 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L1242-12 du code du travail :

6. Selon cet article, le contrat de travail à durée déterminée est établi par écrit et comporte la définition précise de son motif. À défaut, il est réputé conclu pour une durée indéterminée.

7. Pour débouter la salariée de sa demande de requalification des contrats de travail à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée, l'arrêt retient que c'est la seule absence de signature du contrat de travail à durée déterminée par le salarié qui permet à celui-ci de poursuivre la requalification du contrat de travail et non celle de la signature de l'employeur et que, dès lors, la salariée ne peut invoquer le défaut de signature par le seul employeur du contrat de travail conclu le 15 avril 2013.

8. En statuant ainsi, alors que, faute de comporter la signature de l'une des parties, le contrat à durée déterminée ne pouvait être considéré comme ayant été établi par écrit et se trouvait, par suite, réputé conclu pour une durée indéterminée, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

9. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation prononcée sur le premier moyen entraîne la cassation, par voie de conséquence, du chef de dispositif déboutant la salariée de ses demandes tendant à ce que la rupture du contrat de travail s'analyse en un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse et au versement des indemnités subséquentes, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il condamne la société Armand Thierry à payer à Mme [P] la somme de 235 euros à titre de rappel de salaire du chef des périodes du 21 au 27 mai 2012 et du 11 juin au 7 juillet 2013, outre les congés payés afférents, l'arrêt rendu le 20 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bourges ;

Condamne la société Armand Thierry aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Armand Thierry et la condamne à payer à la SCP Zribi et Texier la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du deux mars deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Zribi et Texier, avocat aux Conseils, pour Mme [P]


PREMIER MOYEN DE CASSATION

Mme [P] fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué

DE L'AVOIR déboutée de sa demande tendant à voir requalifier sa relation contractuelle avec la société Armand Thiery en contrat à durée indéterminée et de L'AVOIR déboutée, en conséquence, de sa demande tendant à voir condamner la société Armand Thiery à lui payer la somme de 1 267 € à titre d'indemnité de requalification et tendant à voir juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse et à voir condamner la société Armand Thiery les sommes de 1 267 € à titre d'indemnité de préavis, outre 126,70 € d'indemnités de congés payés, 337,02 € à titre d'indemnité légale de licenciement et 54 481 € à titre d'indemnité pour licenciement abusif ;

AUX MOTIFS QUE « c'est l'absence de signature du contrat de travail à durée déterminée par le salarié, et non par l'employeur, qui permet au premier de poursuivre la requalification du contrat de travail en contrat de travail à durée indéterminée. Il est dès lors inopérant de la part de Mme [P] d'invoquer le défaut de signature par l'employeur du contrat de travail à durée déterminée conclu le 15 avril 2013 lequel a bien été signé par la salariée » ;

ALORS QUE faute de comporter la signature de l'une des parties, fût-elle celle de l'employeur, les contrats à durée déterminée ne peuvent être considérés comme ayant été établis par écrit et qu'ils sont par suite, réputés conclus pour une durée indéterminée ; qu'en énonçant que c'est l'absence de signature du contrat de travail à durée déterminée parle salarié, et non par l'employeur, qui permet au premier de poursuivre la requalification du contrat de travail à durée indéterminée, la cour d'appel a violé l'article L1242-12 du code du travail.


SECOND MOYEN DE CASSATION

Mme [P] fait grief à l'arrêt attaqué

DE L'AVOIR déboutée de sa demande de nullité du licenciement et de L'AVOIR déboutée de sa demande de réintégration et de sa demande tendant à condamner la société Armand Thiery à lui payer la somme de 54 481 € d'indemnité pour licenciement nul jusqu'à parfaite réintégration ;

AUX MOTIFS QUE « Mme [P] affirme que c'est en raison de son arrêt de travail pour maladie du 10 au 21 juillet 2013 que son contrat de travail à durée déterminée n'a pas été renouvelé à l'échéance du terme, soit le 14 juillet 2013, alors qu'au regard du planning produit, il était prévu qu'elle travaille du 22 au 30 juillet 2013 ; qu'elle produit la copie du planning établi pour la semaine du 22 au 28 juillet 2013, très peu lisible, mais qui la mentionne comme devant travailler au cours de certaines plages horaires et qui, dans la case précédée de la mention : « [N] », comporte un trait de signature ; qu'aucun élément ne permet de considérer que ce planning a bien été soumis à Mme [P] par l'employeur et qu'elle l'ait signé à sa demande ; que tel qu'il se présente, ce planning, qui n'est signé ni de l'employeur, ni des deux autres salariées ne permet pas de considérer qu'au moment de l'arrêt de travail, il était assurément prévu que Mme [P] travaille au cours de la dernière semaine du mois de juillet ; que Mme [P] produit également une attestation de Mme [B] qui atteste avoir remplacé Mme [Z] en congé maternité et qu'à la suite d'un arrêt maladie du 13 mars 2013, son contrat de travail à durée déterminée n'a pas été renouvelé ; que ce témoignage est étranger à la situation de Mme [P] ; qu'en l'état de ces seuls éléments, Mme [P] n'établit pas de faits laissant supposer une discrimination à raison de son état de santé et permettant de considérer qu'à l'issue du terme de son dernier contrat de travail à durée déterminée, c'est en raison de son arrêt de travail pour maladie que la société Armand Thiery ne lui aurait pas proposé un nouveau contrat de travail à durée déterminée » ;

ALORS QUE lorsqu'il est saisi d'un litige relatif à une discrimination, le juge doit examiner l'intégralité des éléments invoqués par le salarié à l'appui de ses allégations, sans pouvoir en écarter aucun ; que, faute de s'être prononcée sur la circonstance que la société Armand Thiery n'avait pas renouvelé son contrat à durée déterminée tandis que le motif du recours au contrat de Mme [P] continuait d'exister au jour de la rupture de son contrat de travail, ce qui, corroboré par le planning qui la mentionnait comme devant travailler au cours de la dernière semaine de juillet, était de nature à laisser présumer l'existence d'une discrimination à raison de son état de santé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1132-1 et L1134-1 du code du travail.