Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 23 septembre 2020, 18-21.449, Inédit

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Résumé

Apport de la jurisprudence : Remplacement / Contrats à durée déterminée successifs / Requalification / Renouvellement / CDD

L’employeur n’a pas l’obligation de renouveler un contrat à durée déterminée. La Cour rappelle ainsi que le non renouvellement qui intervient alors même que le salarié remplacé n’a pas fait son retour dans l’entreprise ne peut provoquer la requalification des nombreux contrats à durée déterminée successifs en contrat à durée indéterminée dès lors que la réalité du remplacement a été constatée en vue de faire face au manque d’effectif dans l’entreprise.

Cass. soc, 23 septembre 2020, n° 18-21.449

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


SOC.

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 23 septembre 2020




Cassation partielle


M. SCHAMBER, conseiller doyen faisant fonction de président



Arrêt n° 736 F-D

Pourvoi n° M 18-21.449






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 23 SEPTEMBRE 2020

La société [...], société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° M 18-21.449 contre l'arrêt rendu le 6 juillet 2018 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (18e chambre civile), dans le litige l'opposant à M. H... U..., domicilié [...] , défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Sornay, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société [...], de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. U..., après débats en l'audience publique du 24 juin 2020 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Sornay, conseiller rapporteur, Mme Mariette, conseiller, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 6 juillet 2018), M. U... a travaillé en qualité de chauffeur poids-lourds pour la société [...] du 13 septembre 2010 au 31 octobre 2013 dans le cadre de trente-cinq contrats à durée déterminée d'un mois, tous consécutifs et conclus au motif du remplacement de M. B..., chauffeur poids-lourds absent en suite d'un accident du travail.

2. Se plaignant de ce que son dernier contrat de travail n'ait pas été renouvelé alors que le salarié remplacé était toujours en arrêt maladie, M. U... a saisi la juridiction prud'homale afin d'obtenir la requalification de ses contrats de travail à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée et la condamnation de l'employeur à lui verser des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, un rappel de salaire, des indemnités de rupture et des dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

3. L'employeur fait grief à l'arrêt de requalifier les contrats à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée et de le condamner à payer au salarié des sommes à titre d'indemnité de requalification, de dommages- intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents et d'indemnité légale de licenciement, alors « qu'en considérant que les contrats à durée déterminée successifs conclus avec M. U... pour remplacer M. B... absent pour maladie avaient pour objet de pourvoir durablement à un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise et ainsi à faire face à des besoins structurels de main-d'œuvre aux motifs que plus de trois mois après la rupture du dernier contrat de M. U... en date du 30 octobre 2013, la société avait engagé trois salariés dont un en contrat à durée indéterminée et qu'elle avait acheté un camion en février 2013 à l'origine de la création du poste du salarié en contrat à durée indéterminée en mars 2014, soit cinq mois après le départ de M. U..., la cour d'appel qui a statué par des motifs totalement inopérants à caractériser l'emploi durable et permanent de M. U..., a violé les articles L. 1242-1, L1242-2 et L1244-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1242-1 et L1242-2 du code du travail :

4. Il résulte de la combinaison de ces textes que la possibilité donnée à l'employeur de conclure avec le même salarié des contrats à durée déterminée successifs pour remplacer un ou des salariés absents ou dont le contrat de travail est suspendu, ne peut avoir pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise. L'employeur ne peut recourir de façon systématique aux contrats à durée déterminée de remplacement pour faire face à un besoin structurel de main-d'oeuvre.

5. Pour requalifier les contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, l'arrêt retient que le salarié a bien remplacé M. B..., absent de son poste en raison d'un accident du travail, mais que l'employeur a mis fin au dernier contrat à durée déterminée de l'intéressé à son échéance le 30 octobre 2013 alors même que le salarié remplacé n'a jamais repris son activité jusqu'à sa sortie des effectifs de la société le 24 novembre 2014.

6. Il ajoute que si l'employeur n'avait pas l'obligation de renouveler le contrat à durée déterminée de M. U... pour continuer à remplacer le chauffeur absent de son poste, il ne peut valablement soutenir avoir remplacé M. U... par M. V... dans la mesure où ce dernier a été engagé le 3 février 2014, soit plus de trois mois après le départ du salarié.

7. Il constate qu'il ressort du registre du personnel que l'employeur a engagé trois salariés en qualité de chauffeur poids-lourds à compter des 3 et 4 février 2014 et du 17 mars 2014, dont un salarié en contrat à durée indéterminée qui est toujours dans les effectifs de l'entreprise, que bien que l'employeur soutienne avoir engagé les deux salariés en contrat à durée déterminée en raison d'un surcroît d'activité en février 2014, il ne verse pas les contrats à durée déterminée établissant ses dires ni de pièces démontrant un surcroît d'activité temporaire par rapport à son activité normale, et admet au surplus avoir acheté un camion en février 2013 à l'origine de la création du poste du salarié en contrat à durée indéterminée en mars 2014, soit cinq mois après le départ de M. U..., qu'enfin l'examen des contrats de ce dernier révèle que le salarié a occupé le poste de chauffeur poids-lourds, pendant trois ans, sans interruption du 13 septembre 2010 au 30 octobre 2013, en remplacement de M. B....

8. L'arrêt en déduit que les contrats de travail à durée déterminée successifs ont eu pour objet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise et d'ainsi faire face à des besoins structurels de main-d'oeuvre de la société.

9. En statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser, au regard de son constat de la réalité du remplacement d'un salarié absent et de la structure des effectifs de l'entreprise, que l'employeur avait au cours de la période contractuelle eu recours aux contrats à durée déterminée de remplacement pour faire face à un besoin structurel de main d'oeuvre, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il requalifie les contrats à durée déterminée de M. U... en un contrat à durée indéterminée et condamne la société [...] à verser à M. U... les sommes de 14 736 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 4 210,06 euros au titre de l'indemnité de préavis, 421 euros au titre des congés payés afférents à l'indemnité de préavis, et 1 263,02 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement, et en ce qu'il condamne sous astreinte l'employeur à remettre au salarié un bulletin de salaire, un certificat de travail et une attestation Pôle emploi rectifiés, l'arrêt rendu le 6 juillet 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;

Condamne M. U... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes.

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois septembre deux mille vingt.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour la société [...]

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR requalifié les contrats à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée et d'AVOIR condamné la société [...] à payer à M. U... des sommes à titre d'indemnité de requalification, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents et d'indemnité légale de licenciement ;

AUX MOTIFS QU'il résulte des articles L.1242-1 et L1242-2 du code du travail que le seul fait pour l'employeur, qui est tenu de garantir aux salariés le bénéfice des droits à congés maladie ou maternité, à congés payés ou repos que leur accorde la loi, de recourir à des contrats à durée déterminée de remplacement de manière récurrente, voire permanente, ne saurait suffire à caractériser un recours systématique aux contrats à durée déterminée pour faire face à un besoin structurel de main d'oeuvre et pourvoir ainsi durablement un emploi durable lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise ; que M. U... a été engagé en qualité de chauffeur par contrat à durée déterminée d'une durée d'un mois, lequel a été renouvelé tous les mois, du 13/09/2010 au 31/10/2013, en remplacement de M. B..., chauffeur poids lourds ; que la société [...] verse aux débats l'arrêt maladie initial et l'arrêt maladie de prolongation de M. B... atteste de son accident du travail et de son placement en arrêt maladie du 25/06/2010 jusqu'au 15/01/2014 ; que la société [...] justifie ainsi que M. U... a bien remplacé M. B... absent à son poste de travail en raison d'un accident du travail ; que néanmoins, la société [...] a mis fin au dernier contrat à durée déterminée de M. U... à son échéance le 30/10/2013 alors même que M. B... n'a jamais repris son activité jusqu'à sa sortie des effectifs de la société le 24/11/2014, ainsi qu'elle le reconnaît aux termes de ses écritures et que l'établit le registre du personnel ; que la société [...] soutient avoir remplacé M. U... par M. V..., soulignant n'avoir aucune obligation de renouveler le contrat de ce salarié ; que si la société [...] n'a pas en effet l'obligation de renouveler le contrat à durée déterminée de M. U... pour continuer à remplacer M. B... absent de son poste, elle ne peut valablement soutenir avoir remplacé M. U... par M. V... dans la mesure où ce dernier a été engagé le 03/02/2014, soit plus de 3 mois après le départ de l'appelant et alors même que M. B... était toujours en arrêt maladie ; qu'il ressort par ailleurs du registre du personnel que la société [...] a engagé 3 salariés en qualité de chauffeur poids lourds à compter des 3 et 4 février 2014 et du 17 mars 2014 dont un salarié en contrat à durée indéterminée , M. K... le 04/02/2014 qui est toujours dans les effectifs de l'entreprise ; bien que la société [...] soutienne avoir engagé les deux salariés en contrat à durée déterminée en raison d'un surcroît d'activité en février 2014, elle ne verse pas les contrats à durée déterminée établissant ses dires ni de pièces démontrant un surcroît d'activité temporaire par rapport à son activité normale ; qu'elle admet au surplus avoir acheté un camion en février 2013 à l'origine de la création du poste du salarié en contrat à durée indéterminée en mars 2014, soit 5 mois après le départ de M. U... ; que l'examen des contrats de M. U... révèle enfin que le salarié a occupé le poste de chauffeur poids lourds, pendant 3 ans, du 13/09/2010 au 30/10/2013 en remplaçant de M. B..., les contrats expirant le dernier jour du mois en cours ayant été renouvelés dès le premier jour du mois suivant sans période d'interruption ; que la cour déduit de l'ensemble de ces éléments que ces contrats de travail à durée déterminée successifs ont eu pour objet de pourvoir durablement à un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise et d'ainsi faire face à des besoins structurels de main-d'oeuvre ; qu'il convient dès lors de faire droit à la demande de requalifier les contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ; que la cessation de la relation salariale du seul fait de la survenance du terme des contrats à durée déterminée requalifiés en un contrat à durée indéterminée s'analyse en un licenciement nécessairement sans cause réelle et sérieuse ;

1°- ALORS QUE n'encourt pas la requalification en un contrat à durée indéterminée, les contrats à durée déterminée successifs conclus pour remplacer un salarié absent pour maladie ; qu'ayant constaté que M. U... avait été embauché par plusieurs contrats à durée successifs réguliers à terme précis d'un mois à compter du 13 septembre 2010 jusqu'au 31 octobre 2013, terme du dernier contrat, afin de remplacer exclusivement M. B... absent en raison d'un accident du travail et en jugeant cependant que la relation devait être requalifiée en un contrat à durée indéterminée, la cour d'appel a violé les articles L.1242-2 et L.1244-1 du code du travail ;

2°- ALORS QU'en considérant que les contrats à durée déterminée successifs conclus avec M. U... pour remplacer M. B... absent pour maladie avait pour objet de pourvoir durablement à un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise et ainsi à faire face à des besoins structurels de main-d'oeuvre aux motifs que plus de trois mois après la rupture du dernier contrat de M. U... en date du 30 octobre 2013, la société avait engagé trois salariés dont un en contrat à durée indéterminée et qu'elle avait acheté un camion en février 2013 à l'origine de la création du poste du salarié en contrat à durée indéterminée en mars 2014, soit 5 mois après le départ de M. U..., la cour d'appel qui a statué par des motifs totalement inopérants à caractériser l'emploi durable et permanent de M. U..., a violé les articles L. 1242-1, L.1242-2 et L.1244-1 du code du travail.