Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 27 novembre 2019, 18-12.155, Inédit

Ref:UAAAKAFQ

Résumé

Apport de la jurisprudence : Procédure de licenciement / Droit individuel / Formation

Un salarié est licencié pour faute grave. La Cour d’appel soulève l’absence de mention dans la lettre de licenciement de la valeur des heures cumulées et acquises par le salarié au titre du droit individuel de formation. La Cour de cassation considère que l’employeur n’est pas tenu de préciser le montant de l’allocation de formation due au salarié et cela en dépit de son obligation d’informer celui-ci du nombre d’heures acquises au titre du droit individuel de formation le cas échéant dans la lettre de licenciement.

Cass. soc., 27 novembre 2019, n°18-12155

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'engagé le 18 août 2003 par la société ADSA ambulances en qualité d'ambulancier, M. E... a été licencié pour faute grave le 8 avril 2013 ;

Sur le premier moyen :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen annexé qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le second moyen :

Vu l'article L6323-19 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-893 du 28 juillet 2011 ;

Attendu que pour condamner la société à payer au salarié la somme de 500 euros en réparation du préjudice subi pour absence de mention du droit individuel à la formation, la cour d'appel retient que la lettre de licenciement mentionne uniquement un cumul de 120 heures de droit individuel à la formation mais ne fait pas état de la valeur de chacune de ces heures ;

Attendu cependant que si l'employeur doit informer le salarié, s'il y a lieu, dans la lettre de licenciement, de ses droits en matière de droit individuel à la formation, il n'a pas pour autant l'obligation de préciser le montant de l'allocation de formation correspondant aux heures acquises par le salarié à ce titre ;

Qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et vu l'article 627 du code de procédure civile, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, par voie de retranchement du seul chef de dispositif relatif à la condamnation de la société ADSA ambulances à payer à M. E... la somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts pour absence de mention du droit individuel à la formation, l'arrêt rendu le 11 janvier 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Condamne M. E... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept novembre deux mille dix-neuf. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour la société ADSA ambulances.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir jugé le licenciement pour faute grave de M. E... sans cause réelle et sérieuse et d'avoir condamné la société ADSA Ambulances à lui verser les sommes de 2.153,10 euros à titre de rappel de salaire pendant la période de mise à pied conservatoire, 19.600 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 4.897,16 d'indemnité de préavis, outre les congés payés y afférents, 4.733,92 euros d'indemnité conventionnelle de licenciement et 2.000 euros au titre des frais irrépétible ;

AUX MOTIFS QUE la lettre de licenciement reproche plusieurs faits qualifiés de fautifs à M. E... :
- le 31 décembre 2012 : La société fait grief à M. E... d'un appel téléphonique de son épouse reprochant sur un ton agressif à l'employeur d'avoir confié un transport à son époux à 17 heures ; que Mme H... Q..., secrétaire de la société atteste avoir reçu un tel appel de l'épouse de M. E... le 31 décembre demandant si son époux était présent au siège de la société et témoigne que Mme E... "a commencé à hurler" quand elle lui a répondu qu'il était toujours en "course" ; que cette attitude dont seul le ton et non les propos est relaté est imputable à Mme E... et non à M. E... de sorte qu'elle est significative d'un contexte mais ne constitue pas un fait fautif imputable à M. E... ;
- le 22 février 2012 : la société reproche à M. E... d'avoir effectué un arrêt de 20 minutes à 15 heures sans instruction en ce sens et soutient que cet arrêt a désorganisé l'activité de la société très chargée ce jour-là ; qu'elle verse une attestation de Mme W... W..., qui assistait Mme G... à la régulation, laquelle déclare avoir transmis à M. E... et à M. C... le transport d'une patiente Mme D... de son domicile de [...] à destination de l'hôpital Henri Mondor et conteste leur avoir dit de revenir à [...] après avoir déposé la patiente ; que toutefois, la désorganisation alléguée n'est pas caractérisée ni l'utilisation du véhicule à des fins personnelles ; que dès lors il ne saurait être tiré de conséquences de cette géolocalisation pendant vingt minutes à [...] le 22 février 2012 ;
- le 5 mars 2013 : La société reproche à M. E... d'avoir fait attendre une patiente, Mme O... dénommée R... dans la lettre de licenciement, pendant deux heures à l'hôpital Mondor, alors que la régulation lui avait dit d'aller la rechercher audit hôpital, et à son retour au siège de la société, de s'être énervé, d'avoir tapé du poing sur la table effrayant la régulatrice par ce comportement violent ; que la lettre relate : " le 5 mars 2013, à 13h30 transport de Mme R... V... de la clinique Monet de [...] sur Marne à l'hôpital Henri Mondor à Créteil à 14h05 vous appelez pour nous signalez que Mme R... V... en avait pour 15 ou 20 minutes. Le planning étant chargé, nous vous avons demandé d'effectuer le transfert de Mme Y... de l'hôpital Henri Mondor de Créteil à l'hôpital Albert Chenevrier à 2 kms. La régulation vous demande ensuite de reprendre Mme R... V.... A 14h20 l'infirmière a téléphoné à la régulation pour confirmer que la patiente était prête pour son retour. A 15h30, vous et votre équipier avez appelé pour annoncer votre disponibilité sans avoir effectué ledit retour pour lequel vous vous étiez engagés auprès de la patiente et de l'infirmière. A 16 heures, nous avons dû envoyer un autre équipage pour transporter cette patiente prête depuis 14h20, bouleversant ainsi notre planning de fin d'après-midi. Cette patiente a dû attendre deux heures pour être enfin transportée! Ceci est inadmissible!" ; que Mme G..., régulatrice de la société, atteste avoir demandé à M. E... de revenir chercher Mme O... à l'hôpital Mondor après lui avoir demandé d'effectuer un transfert en attente ; que M. E... le conteste et verse aux débats l'attestation de son co-équipier M. C... qui atteste ne pas avoir reçu instruction de revenir chercher Mme O... ; que le doute persiste et doit profiter au salarié ; que cet incident a été à l'origine d'une altercation entre Mme G... et M. E..., lequel de retour au siège de la société à la demande de la régulatrice et selon l'attestation de celle-ci, l'a insultée de "menteuse", a tapé du poing sur la table en s'approchant d'elle et a été retenu par son collègue M. C... afin de faire cesser ce comportement ; que la lettre de licenciement mentionne : "A votre retour, vers 17h30, face à nos questions, vous avez répondu que la régulatrice ne vous l'avait pas dit et vous l'avez traitée de menteuse. Vous vous êtes une fois encore énervé fortement et avez donné des coups de poings sur le bureau intimidant la régulatrice. Votre collègue, M. C..., a dû vous contenir physiquement pendant que (vous) continuiez d'hurler et de taper de plus en plus près du visage de la régulatrice! Vous n'avez quitté le bureau qu'au moment où nous avons appelé la police. La régulatrice, effrayée de votre comportement violent et de vos menaces, a déposé une main courante le 6 mars 2013 au commissariat de Police du Plessis Trévise (94)!" ; que M. E... ne conteste pas s'être mis en colère et avoir tapé du poing sur la table mais soutient que les faits qui lui sont reprochés sont faux et que M. A..., gérant de la société, et Mme G..., régulatrice et compagne de M. A... ont tenu des propos injurieux à son égard ; que M. C... P..., co-équipier de M. E... témoigne, d'une part, qu'il a lui-même dit à Mme G... qu'elle était une "menteuse", d'autre part, qu'avant même qu'ils atteignent le bureau, M. A... les a insultés en pleine rue puis dans le bureau en leur disant : "prend tes affaires et casse-toi, va te faire foutre avec ta grande gueule, casse-toi avec ta grande gueule tu n'es qu'un baltringue, vous êtes minables, casse-toi, c 'est moi qui doit t'envoyer des avertissements et des lettres et non l'inverse, toi et P... vous ne méritez pas votre paye." et que Mme G..., salariée et compagne du gérant, après un échange relatif aux appels de l'épouse de M. E... a insulté M. E... à plusieurs reprises ; que la société est taisante sur les propos tenus par le gérant selon M. C... et qualifie le comportement habituel de M. E... de "négatif et toxique" ; qu'ainsi, après un échange d'insultes entre l'employeur et le salarié, puis entre la salariée, Mme G..., et M. E..., respectivement les deux plus anciens salariés de la société, M. E... a tapé sur le bureau de Mme G... avec son poing ; que ces faits ont eu lieu dans un contexte de tensions entre M. E... et son employeur, attesté par M. B... F..., salarié de la société, qui qualifie M. E... d'homme "intègre et franc" ; que M. J... Christophe atteste avoir "constaté à plusieurs reprises la manière peu courtoise et souvent désagréable dont la direction faisait preuve à son égard dans la façon de s'adresser à lui et de le considérer." ; qu'alors qu'il ressentait le reproche qui lui était fait comme une injustice, M. E... a donné au moins un coup de poing sur le bureau de la régulatrice ; que celle-ci, lors de son dépôt de main courante au commissariat, le lendemain a déclaré lui avoir fait une remontrance concernant son travail étant la régulatrice de la société, qu'il lui avait dit qu'elle était une menteuse et qu'elle ne lui avait jamais signifié cette course à savoir de prendre en charge une personne à l'hôpital H Mondor à Créteil et qu'après sa réflexion, "il était très énervé dans son bureau, a donné des coups de poings sur le bureau, il criait et un chauffeur s'est interposé, il est sorti du bureau au bout d'une demi-heure" ; que la déclaration de main courante mentionne " nous n'avons pas fait appel aux services de police pour ce problème" ; que Mme G... n'a pas plus déposé plainte ; que c'est ainsi alors que sa collègue et son employeur lui faisaient une remontrance qu'il ressentait comme injustifiée et ce, en des termes injurieux, que M. E... a tapé avec son poing sur le bureau de sa collègue ; que ce fait, eu égard au contexte sus-décrit, ne constitue pas une faute grave susceptible de justifier un licenciement et une mise à pied conservatoire ;
- l'absence d'entretien des véhicules, l'absence de communication quant à ses disponibilités et l'absence de réponse aux appels lors de ses astreintes : le grief tiré de l'absence d'entretien de véhicules n'est démontré par aucune pièce et au contraire contesté par les attestations des collègues de M. E... qui témoignent de ce qu'il passait l'aspirateur dans son véhicule ; que s'agissant de l'absence de communication quant à ses disponibilités et à l'absence de réponse aux appels lors de ses astreintes, aucune pièce probante n'est communiquée afin de justifier de ce grief, qu'il s'agit de griefs qui avaient fait l'objet d'un avertissement en 2012 pour le premier grief et en 2008 pour le second sans qu'il soit établi que ces faits aient été réitérés ; qu'aucun fait fautif n'est donc démontré à ce titre ; qu'il résulte de l'examen de l'ensemble des griefs formulés par la société que les faits invoqués dans la lettre de licenciement ne caractérisent ni un manquement d'une gravité telle qu'elle justifiait qu'il soit mis fin immédiatement au contrat de travail ni une cause sérieuse de licenciement ; qu'en conséquence, le licenciement de M. E... est dépourvu de cause réelle et sérieuse et le jugement entrepris, infirmé en ce que le conseil de prud'hommes a estimé, au contraire, justifiée, la faute grave ;

1°) ALORS QUE la faute est caractérisée par le manquement du salarié à ses obligations contractuelles ; qu'en jugeant que le comportement de M. E..., qui avait maintenu son ambulance à l'arrêt pendant 20 minutes 15, à [...], sans autorisation préalable de l'employeur, plutôt que de poursuivre le transport de patients suivant le planning de régulation, n'était pas constitutif d'une faute, au motif qu'il n'était pas établi que le salarié aurait ainsi agi par convenance personnelle ni que l'activité de la société ADSA Ambulances s'en serait trouvée désorganisée, la cour d'appel qui a statué par un motif impropre à écarter le comportement fautif du salarié résultant du refus de poursuivre immédiatement, suivant le planning arrêté, le transport de patients, a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L1234-9 du code du travail ;

2°) ALORS QU'en écartant la qualification de faute sans avoir recherché si, comme l'employeur le faisait valoir dans ses conclusions d'appel (pp.5-6), sans avoir été contesté, M. E... n'avait pas éteint ses téléphones portables professionnel et personnel pendant tout le temps de stationnement prolongé à [...], ce qui compromettait la poursuite normale de son service d'ambulancier et était de nature à caractériser un acte d'insubordination, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L1234-9 du code du travail ;

3°) ALORS QUE la faute grave s'apprécie in concreto en tenant compte des antécédents disciplinaires du salarié ; qu'après avoir constaté que le grief tenant au comportement de M. E... qui avait, le 5 mars 2013, traité Mme G... de menteuse et tapé du poing sur son bureau afin de l'intimider, était matériellement établi et constituait une faute, la cour d'appel qui a écarté toute faute suffisamment sérieuse pour justifier le licenciement, sans avoir examiné les multiples sanctions du salarié, non contestées, dont il avait été précédemment l'objet et qui étaient de nature à renforcer la gravité de la faute commise, a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L1234-9 du code du travail.

SECOND MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement entrepris en ce qu'il avait condamné la société ADSA Ambulances à verser la somme de 500 euros à M. E... à titre de dommages-intérêts pour défaut d'information dans la lettre de licenciement de ses droits au DIF ;

AUX MOTIFS QU'en vertu de l'article L6323-19 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la date du licenciement, dans la lettre de licenciement, l'employeur informe le salarié, s'il y a lieu, de ses droits en matière de droit individuel à la formation. Cette information comprend les droits visés à l'article L. 6323-17 et, dans les cas de licenciements visés à l'article L. 1233-66, les droits du salarié en matière de droit individuel à la formation définis par l'article L. 1233-67 ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement mentionne uniquement un cumul de 120 heures de droit individuel à la formation mais ne fait pas état de la valeur de chacune de ces heures comme le soulève M. E... ; que le jugement du conseil sera donc confirmé en ce qu'il a condamné la société ADSA Ambulances à payer à M. E... la somme de 500 euros en réparation du préjudice subi ;

1°) ALORS QUE si l'employeur doit informer le salarié, s'il y a lieu, dans la lettre de licenciement, des droits individuels à la formation lui restant dus à la date du licenciement, il n'a pas pour autant l'obligation de préciser le montant de l'allocation de formation correspondant aux heures acquises par le salarié à ce titre ; qu'après avoir constaté que la société ADSA Ambulances avait mentionné les 120 heures acquises par le salarié au titre de ses droits individuels à la formation dans la lettre de notification de son licenciement, la cour d'appel qui a néanmoins considéré qu'elle n'avait pas satisfait à ses obligations à cet égard au motif que la lettre ne précisait pas la valeur pécuniaire de chacune de ces heures, a violé, par fausse application, les articles L. 6323-17 et L6323-19 du code du travail ;

2°) ALORS, à tout le moins, QUE le manquement de l'employeur à ses obligations n'ouvre droit pour le salarié qu'à l'indemnisation du préjudice qu'il a réellement subi ; qu'en condamnant la société ADSA Ambulances à verser à M. E... la somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts au seul motif que l'employeur aurait méconnu ses obligations en termes d'information du salarié sur ses droits individuels à la formation, sans avoir constaté un quelconque préjudice en résultant, la cour d'appel a violé les articles 1147, devenu 1231-1, du code civil, L. 6323-17 et L6323-19 du code du travail.