Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 8 avril 2021, 19-15.432, Inédit

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Résumé

Apport de la jurisprudence : Objectifs annuels / Pouvoir de direction / Modification / Opposabilité des objectifs / L.1221-1

L’employeur est libre de fixer une part variable en sus d’une part fixe pour le salaire en fonction d’objectifs collectifs et individuels pour chaque exercice. Pour la haute juridiction, l’employeur peut modifier ces objectifs, dans le cadre de son pouvoir de direction, dès lors qu'ils sont réalisables et qu'ils ont été portés à la connaissance du salarié en début d'exercice. L’employeur ne peut donc pas modifier les objectifs en cours d’exécution du contrat alors qu'il prend connaissance de leur niveau d'exécution.

Cass. Soc. 8 avril 2021 n°19-15.432

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

LG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 8 avril 2021




Rejet


M. SCHAMBER, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 449 F-D

Pourvoi n° S 19-15.432




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 AVRIL 2021

La société Vanco, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° S 19-15.432 contre l'arrêt rendu le 21 février 2019 par la cour d'appel de Versailles (21e chambre civile), dans le litige l'opposant à Mme W... K..., domiciliée [...] , défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Techer, conseiller référendaire, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de la société Vanco, de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de Mme K..., après débats en l'audience publique du 17 février 2021 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Techer, conseiller référendaire rapporteur, Mme Cavrois, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 21 février 2019), Mme K... a été engagée à compter du 14 décembre 2005 par la société Vanco, en qualité de gestionnaire de comptes junior. Elle percevait, en dernier lieu, en sus de sa rémunération mensuelle fixe, une part variable en fonction d'objectifs régionaux collectifs et d'objectifs individuels fixés pour chaque exercice social (du 1er avril au 31 mars).

2. Elle a saisi la juridiction prud'homale le 6 septembre 2013 d'une demande tendant au rappel de commissions.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, et le second moyen, ci-après annexés

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer certaines sommes au titre de la rémunération variable pour les mois d'avril 2011 à mars 2012 ainsi qu'au titre des congés payés afférents, alors « que lorsqu'un contrat de travail prévoit une rémunération variable, en fonction des résultats obtenus par rapports aux objectifs, il incombe au juge qui constate que ces objectifs sont irréalistes et qu'il existe un désaccord entre employeur et salarié sur le montant de cette rémunération de la déterminer en fonction des critères visés au contrat et des accords conclus les années précédentes, et, à défaut, des données de la cause ; qu'en condamnant la société Vanco à verser à Mme K... les sommes de 66 638 euros bruts de rappel de salaire au titre de la rémunération variable pour avril 2011-mars 2012 et 6 663,80 euros bruts au titre des congés payés afférents sur 2011-2012, sans rechercher, comme l'y invitait pourtant cette société, si les objectifs de l'exercice en cause n'étaient pas irréalistes, de sorte que constatant un désaccord entre employeur et salarié sur le montant de la rémunération variable pour cet exercice, il lui appartenait de la déterminer en fonction des critères visés au contrat et des accords conclus les années précédentes, et, à défaut, des données de la cause, la cour d'appel a privé sa décision de base légale, au regard des articles L1221-1 du code du travail et 1134 (devenu 1103, 1104 et 1193) du code civil. »

Réponse de la Cour

5. Il résulte des articles 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et L1221-1 du code du travail que lorsque les objectifs sont définis unilatéralement par l'employeur dans le cadre de son pouvoir de direction, celui-ci peut les modifier dès lors qu'ils sont réalisables et qu'ils ont été portés à la connaissance du salarié en début d'exercice.

6. Ayant énoncé, à bon droit, que, si l'employeur peut modifier les objectifs annuels dans le cadre de son pouvoir de direction, il lui appartient cependant de le faire en début d'exercice, et non en cours d'exécution alors qu'il prend connaissance de leur niveau d'exécution, et exactement retenu que l'employeur ne pouvait, à l'issue de l'exercice, unilatéralement, ni modifier le mode de calcul convenu de la rémunération, ni réduire le montant de la prime, la cour d'appel a pu en déduire, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations et énonciations rendaient inopérante, que la salariée pouvait prétendre à un rappel de rémunération variable.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Vanco aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Vanco et la condamne à payer à Mme K... la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit avril deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour la société Vanco


PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief a l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR condamné la société Vanco à verser a Mme K... les sommes de 66 638 euros bruts de rappel de salaire au titre de la rémunération variable pour avril 2011 – mars 2012 et 6 663,80 euros bruts au titre des congés payés afférents sur 2011-2012 ;

AUX MOTIFS QUE :

« Sur la demande de paiement de la rémunération variable au titre de l'exercice 2011/2012 (1er avril au 31 mars)

La société Vanco soutient que les objectifs qui ont été assignés à Mme K..., au titre de l'exercice 2011-2012, n'étaient manifestement pas réalistes et que le montant de la rémunération variable qui lui a été versé, à ce titre, doit être revu à la baisse. Elle expose que ces objectifs étaient en forte baisse, en comparaison avec les exercices précédents et les exercices suivants et au regard des objectifs assignés aux autres commerciaux pour le même exercice, qu'au jour de l'acceptation par celle-ci desdits objectifs, soit le 3 août 2011, Mme K... savait pertinemment qu'elle les avait déjà dépassés, qu'ainsi, la société s'estime tout au plus redevable à l'égard de la salariée de la somme de 30 200 euros bruts, entraînant la restitution de la somme de 58 866 euros bruts, compte tenu du versement déjà opéré pour 89 066 euros.

Mme K... rétorque qu'elle a rempli et dépassé les objectifs fixés, que la modification unilatérale des objectifs par la société Vanco pour une prétendue raison d'ordre économique lui est inopposable et que cette dernière n'apporte aucun élément permettant de vérifier les modalités et le calcul des objectifs.

Il ressort des documents produits que la rémunération variable de la salariée fixée à la somme de 100 000 dépendait d'une part, d'un objectif groupe pour 20 % et d'autre part, de la réalisation d'objectifs individuels pour 80 %.

La réalisation de l'objectif groupe n'est pas contestée.

Selon la feuille d'objectifs signée par les deux parties le 3 août 2011, Mme K... devait percevoir 80 % de la rémunération variable (payable par trimestre) si elle atteignait les objectifs individuels suivants :
- 50% de 80% de la commission si l'objectif de 240 000 $ est atteint au titre de l'IAGM (MBCA) « marge brute croissante annuelle »,
- 40% de 80% de la commission si l'objectif de 1 600 000 $ est atteint au titre de l'ITCGM (MBCTC) « marge Brute Croissante Totale sur Contrat »,
- 10% de 80% de la commission si l'objectif du nombre de jours de crédit client (DSO ou NJC) est atteint (30 jours) « nombre de jours de crédit clients ».
Le plan de commission sur les ventes précise que :
"les effets multiplicateurs ne sont appliqués qu'à la part de la MBCA (réalisation supérieure à 100%) et à condition que l'objectif NJC soit réalisé à 100%.
Plafond de la rémunération annuelle globale : 500 000 $.
- de 100% à 115% = 1,1
- de 115% à 130% = 1,3
- de 130% et+ = 1,5".

Les parties s'accordent sur le montant des réalisations de Mme K... au titre de l'IAGM : 462 795 USD, soit 192,83 % de son objectif et au titre de TITCGM : 3 827 495 USD, soit 239,22 % de son objectif, comme cela ressort également des tableaux transmis aux débats par la société.

S'agissant du DSO, les parties s'opposent sur la réalisation de cet objectif. La société Vanco, qui détient les éléments permettant de déterminer l'atteinte ou non des objectifs, ne produits pas d'élément probant sur ce point, en l'absence notamment de date d'édition sur les tableaux communiqués et il ressort au contraire du mail adressé par M. C..., directeur commercial le 25 mai 2012, soit postérieurement à la fin de l'exercice, que Mme K... avait atteint 100% de cet objectif.

Si comme relevé par la société, Mme K... avait atteint ses deux premiers objectifs dès le second semestre, ils ne sauraient pour autant être remis en question unilatéralement par l'employeur de ce seul fait, la rémunération d'un salarié constituant un élément du contrat de travail qui ne peut être modifié ni dans son montant, ni dans sa structure sans son accord et si la société Vanco peut modifier les objectifs annuels dans le cadre de son pouvoir de direction, il lui appartient de le faire en début d'exercice, et non en cours d'exécution alors qu'elle prend connaissance de leur niveau d'exécution. De même, si le supérieur de Mme K... répondant à ses interrogations sur la diminution du montant de ses réalisations lui indiquait : "au-delà du manque de communication, le groupe semble avoir privilégié unilatéralement une limite sur les commissions et primes plutôt que de recourir à un nouveau plan de licenciement", l'employeur ne peut à l'issue de l'exercice, unilatéralement, ni modifier le mode de calcul convenu de la rémunération, ni réduire le montant de la prime, quel qu'en soit le motif.

Par conséquent, Mme K... peut prétendre aux sommes suivantes :
- 115 704 euros au titre de l'IAGM, compte tenu du taux multiplicateur de 1,5,
- 32 000 euros au titre de l'ITCGM, aucun multiplicateur n'étant applicable sur ce poste au terme du plan de commission,
- 8 000 euros au titre du DSO, soit un total de 155 704 euros bruts et un solde dû de 66 638 euros bruts compte tenu de la somme d'ores et déjà versée à la salariée de 89 euros en mars 2012 et 33 566 euros en juin 2012).

La société Vanco sera condamnée au paiement de ce solde, outre les congés payés afférents et le jugement sera infirmé quant au montant alloué ».

1°) ALORS QU'en affirmant que les tableaux communiqués par la société Vanco n'étaient pas probants, sans s'intérésser au fait qu'ils avaient été certifiés conformes par M. C..., celui-là même dont elle avait pourtant retenu la force probante d'un mail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1315 (devenu 1353) du code civil ;

2°) ALORS QUE lorsqu'un contrat de travail prévoit une rémunération variable, en fonction des résultats obtenus par rapports aux objectifs, il incombe au juge qui constate que ces objectifs sont irréalistes et qu'il existe un désaccord entre employeur et salarié sur le montant de cette rémunération de la déterminer en fonction des critères visés au contrat et des accords conclus les années précédentes, et, à défaut, des données de la cause ; qu'en condamnant la société Vanco à verser à Mme K... les sommes de 66 638 euros bruts de rappel de salaire au titre de la rémunération variable pour avril 2011 – mars 2012 et 6 663,80 euros bruts au titre des congés payés afférents sur 2011-2012, sans rechercher, comme l'y invitait pourtant cette société, si les objectifs de l'exercice en cause n'étaient pas irréalistes, de sorte que constatant un désaccord entre employeur et salarié sur le montant de la rémunération variable pour cet exercice, il lui appartenait de la déterminer en fonction des critères visés au contrat et des accords conclus les années précédentes, et, à défaut, des données de la cause, la cour d'appel a privé sa décision de base légale, au regard des articles L1221-1 du code du travail et 1134 (devenu 1103, 1104 et 1193) du code civil.


SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR condamné la société Vanco à verser a Mme K... les sommes dé 100 000 euros bruts de rappel de salaire au titre de la rémunération variable pour avril 2014 – mars 2015 et 10 000 euros bruts au titre des congés payés afférents sur 2014-2015 ;

AUX MOTIFS QUE :

« Sur la demande de paiement de la rémunération variable au titre de l'exercice 2014/2015

La société Vanco soutient qu'elle n'est redevable à Mme K... d'aucune somme au titre de l'exercice 2014-2015 et sollicite le remboursement de la somme trop-perçue par celle-ci en décembre 2014 pour 33 918 euros bruts. Elle expose que le 18 août 2014, Mme K... a apposé sa signature sur sa feuille d'objectifs pour 2014-2015 qui prévoyait très clairement l'objectif à réaliser pour cet exercice, soit 1 754 000 USD, ainsi que la formule de calcul de la rémunération variable, désormais basée sur le chiffre d'affaires mensuel récurrent consolidé (« Incrémental Monthly Recurring Revenue ») avec un plafond à 100 000 euros bruts par an, que par ailleurs, il a été décidé que les dettes recouvrables seraient désormais déduites du chiffre d'affaires mensuel récurrent du commercial responsable du compte client et que Mme K... comptait beaucoup d'impayés, qu'enfin, Mme K... ne saurait prétendre que le plan de commissionnement lui était inopposable, parce que rédigé en anglais, ledit document étant reçu de l'étranger et Mme K... maîtrisant parfaitement la langue anglaise.

Mme K... soutient que les documents afférents à sa rémunération variable pour 2014-2015 étant rédigés en anglais, lui sont inopposables et qu'en tout état de cause, sur cet exercice, la société Vanco ne lui a pas fourni les moyens nécessaires pour réaliser sa prestation de travail et atteindre ses objectifs, qu'elle s'estime dès lors bien fondée à solliciter l'intégralité de la prime sur objectif 2014-2015, à savoir la somme de 100 000 euros.

En application de l'article L1221-3 du code du travail, le contrat de travail est rédigé en français. Il résulte par ailleurs de l'article L1321-6 du même code que tout document comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire pour l'exécution de son travail doit être rédigé en français, sauf si les documents sont reçus de l'étranger ou destinés à des étrangers.
La feuille d'objectifs de Mme K... et le plan de commissions pour l'exercice 2014-2015 sont rédigés exclusivement en anglais et ne proviennent pas de l'étranger, le nom et l'adresse de la société Vanco située à Courbevoie figurant sur la lettre adressée à Mme K... le 16 juillet 2014. De plus, l'employeur ne peut soutenir que les objectifs qu'il a fixés pour l'exécution du contrat de travail lui seraient extérieurs. En outre, si la société soutient que la salariée comprenait parfaitement l'anglais, elle ajoute néanmoins qu'au vu "des annotations manuscrites figurant en marge du Plan de commissionnement" seuls "quelques très rares mots anglais échappaient à sa compréhension".

Par conséquent, les documents afférents à la rémunération variable 2014-2015, qui n'entrent pas dans le cadre des exceptions prévues par les articles L1221-3 et L1321-6 du code du travail, sont inopposables à Mme K... et il appartient à la cour de déterminer le montant dû à la salariée, selon les critères du contrat, les accords des années précédentes et les éléments de la cause.

Il ressort des lettres d'objectifs des années précédentes, la fixation d'une rémunération variable maximum de 100 000 euros bruts, montant qui sera donc retenu au titre de l'exercice 2014-2015, outre les congés payés afférents, le tout en deniers ou quittance, la société Vanco affirmant avoir d'ores et déjà versé à Mme K... la somme de 33 918 euros pour cet exercice, sans en justifier » ;

ALORS QU'en affirmant que les documents afférents à la rémunération variable 2014-2015 étaient inopposables à Mme K... du fait de leur rédaction en anglais, sans rechercher si Mme K..., qui s'était présentée lors de son embauche comme une assistance trilingue, qui maîtrisait parfaitement la langue anglaise, travaillait quotidiennement en anglais et n'avait jamais formulé la moindre objection quant à la rédaction en langue anglaise de ces documents, ne se trouvait pas de ce fait privée de la possibilité d'én invoquer l'inopposabilité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L1221-3 et L1321-6 du code du travail.