Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 8 janvier 2020, 18-21.699, Inédit

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Résumé

Apport de la jurisprudence : Représentation syndicale / Qualité à agir / Mandat de représentation

Une société conteste la capacité et l’intérêt à agir d’un syndicat au motif que celui-ci ne justifie pas la qualité d’adhérent de ses membres et ne se prévaut pas d’un mandat de ces derniers. Le syndicat sollicite une journée de repos supplémentaire et le paiement de dommages-intérêts en application
des dispositions conventionnelles.
Pour la Cour de cassation, le syndicat est habilité à agir dès lors que ces membres sont liés par une convention ou un accord et qu’ils ne se sont pas opposés à cette action en justice après en avoir été préalablement informés, le tout sans avoir à justifier d'un mandat des intéressés.

Cass. soc., 8 janvier 2020, n°18-21699

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué (Lyon, 27 juin 2018), que, le 29 avril 2013, le syndicat national des transports urbains CFDT (le syndicat), exerçant l'action de substitution en faveur de ses adhérents, a saisi la juridiction prud'homale aux fins d'obtenir de la société Keolis Lyon (la société) la récupération d'une journée de repos supplémentaire, en raison de la coïncidence de la journée du 1er mai et du jeudi de l'Ascension en 2008, par application de l'article 32 de la Convention collective nationale des réseaux de transports publics urbains de voyageurs du 11 avril 1986 ainsi que des dommages-intérêts ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société fait grief à l'arrêt de déclarer recevables les demandes du syndicat SNTU CFDT et de la condamner à octroyer une journée supplémentaire qui sera créditée sur leur compte à chacun des 108 salariés représentés par le Syndicat national des transports urbains CFDT alors, selon le moyen :

1°/ que selon l'article L2262-9 du code du travail, un syndicat peut exercer une action en justice afin d'obtenir l'application d'une convention ou d'un accord collectifs pour le compte de ses adhérents, sans avoir à justifier d'un mandat de leur part, à condition de les avoir préalablement avertis et que ces derniers n'aient pas déclaré s'y opposer ; que le syndicat doit donc, lors de l'introduction de l'action, justifier d'une information effective de chacun des salariés pour le compte desquels il prétend agir et ne peut procéder à une quelconque régularisation postérieurement au délai de prescription de l'action ; qu'au cas présent, la société Keolis Lyon faisait valoir que le syndicat SNTU-CFDT ne justifiait pas de l'envoi effectif d'un courrier d'information aux 108 salariés pour le compte desquels il prétendait agir ; qu'en se bornant à relever, pour déclarer l'action recevable, que le syndicat produisait 108 courriers d'information « datés du 23 avril 2013, soit antérieurement à l'expiration du délai de prescription de l'action », sans rechercher, comme cela lui était demandé, à quelle date lesdits courriers avaient été effectivement établis et adressés à chacun des salariés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé et de l'article 32 du code de procédure civile ;

2°/ que selon l'article L2262-9 du code du travail, le syndicat ne peut agir afin d'obtenir l'application d'une convention ou d'un accord collectifs que pour le compte de ses adhérents et doit donc établir la qualité d'adhérent de chacun des salariés pour lesquels il prétend agir à la date de l'introduction de l'action en justice ; qu'au cas présent, la société Keolis Lyon faisait valoir que le syndicat SNTU-CFDT ne justifiait pas de la qualité d'adhérent de chacun des 108 salariés dont il se bornait à produire la liste ; qu'en déclarant néanmoins les demandes du syndicat recevables sans rechercher, comme elle y était invitée, s'il était justifié pour chacun des salariés concernés de sa qualité d'adhérent à la date d'introduction de l'action, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé et de l'article 32 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'il résulte de l'article L2262-9 du code du travail qu'un syndicat ayant la capacité d'agir en justice, dont les membres sont liés par une convention ou un accord, peut exercer toutes les actions en justice qui en résultent en faveur de ses membres, sans avoir à justifier d'un mandat des intéressés, pourvu que ceux-ci aient été avertis et n'aient pas déclaré s'y opposer ; que ce texte ne soumet à aucune forme particulière l'information des adhérents ;

Et attendu qu'ayant, au jour où elle statuait, constaté, d'une part, que le syndicat avait produit les cent huit courriers datés du 23 avril 2013 informant ses cent huit adhérents de l'objet de la procédure prud'homale engagée en leur faveur à défaut d'une réponse de leur part avant le 30 avril refusant l'exercice d'une telle procédure et, d'autre part, que ces courriers contenaient les formulaires, accompagnés d'une copie de la carte d'identité de chacun, remplis et signés par ces cent huit adhérents certifiant avoir reçu le courrier d'information et ne pas s'être opposé à cette action, la cour d'appel, qui a procédé aux recherches prétendument omises, a légalement justifié sa décision ;

Sur le second moyen :

Attendu que la société fait grief à l'arrêt de la condamner à octroyer une journée supplémentaire qui sera créditée sur leur compte à chacun des 108 salariés représentés par le Syndicat national des transports Urbains CFDT alors, selon le moyen, que les jours fériés légaux correspondent à des jours précis de commémoration d'événements historiques et religieux et n'ont pas directement pour objet de préserver la santé et la sécurité des salariés en leur allouant des temps de repos minima ; qu'il en résulte que, même lorsqu'une convention collective prévoit le chômage des jours fériés légaux et/ou la majoration des heures travaillés au cours de ces journées, ces jours fériés n'ont pas vocation, en l'absence de disposition conventionnelle expresse, à être compensés lorsqu'ils coïncident avec un autre jour non travaillé, notamment le 1er mai ; qu'au cas présent, l'article 32 de la convention collective des transports urbains de voyageurs dispose que « les agents ont droit, en plus du congé annuel, à un nombre de journées payées correspondant aux fêtes légales actuellement au nombre de dix, à savoir : le 1er janvier ; le lundi de Pâques ; le 8 mai ; l'Ascension ; le lundi de Pentecôte ; le 14 Juillet ; le 15 août ; la Toussaint ; le 11 novembre ; Noël » ; qu'il résulte de cette disposition que les salariés sont remplis de leurs droits conventionnels dès lors qu'ils ont bénéficié de 10 jours chômés au titre des 10 journées énumérées, parmi lesquelles ne figure pas le 1er mai qui obéit à des dispositions légales spécifiques ; que ce texte ne prévoit donc aucun droit à 11 jours chômés annuels au titre des fêtes légales et à une journée de repos supplémentaire dans l'hypothèse où l'une des fêtes légales qu'il énumère coïncide avec le 1er mai ; qu'en estimant néanmoins que les salariés avaient droit, au titre de la coïncidence du jeudi de l'Ascension et du 1e mai 2008, à un jour de repos supplémentaire ou, à défaut, au paiement d'un salaire d'une journée, la cour d'appel a violé l'article 32 de la convention collective des transports urbains de voyageurs.

Mais attendu que lorsque deux jours fériés chômés coïncident, le salarié peut prétendre à l'attribution de ces deux jours ou au paiement d'une indemnité à la condition qu'une convention collective garantisse un nombre déterminé de jours chômés correspondant aux jours de fêtes légales ou qu'elle prévoie le paiement d'un nombre déterminé de jours fériés dans l'année ;

Et attendu qu'ayant retenu à bon droit que l'article 32 de la convention collective nationale des réseaux de transports publics urbains de voyageurs du 11 avril 1986 garantit expressément dix jours chômés correspondant aux jours de fêtes légales, auxquels s'ajoute le 1er mai régi par des dispositions propres, la cour d'appel en a exactement déduit qu'en raison de la coïncidence du 1er mai, obligatoirement chômé et payé, et du jeudi de l'Ascension, les salariés pouvaient prétendre à une journée de congé supplémentaire ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Keolis Lyon aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Keolis Lyon à payer au Syndicat national des transports urbains CFDT la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit janvier deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat aux Conseils, pour la société Keolis Lyon

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir déclaré recevables les demandes du syndicat SNTU CFDT, et d'avoir condamné la société Keolis Lyon à octroyer une journée supplémentaire qui sera créditée sur leur compte à chacun des 108 salariés représentés par le Syndicat National des Transports Urbains CFDT ;

AUX MOTIFS QUE « Sur la recevabilité de la demande du syndicat. L'article L2262-9 du code du travail énonce que les organisations ou groupements ayant la capacité d'agir en justice, dont les membres sont liés par une convention ou un accord, peuvent exercer toutes les actions en justice qui en résultent en faveur de leurs membres sans avoir à justifier d'un mandat de l'intéressé pourvu que celui-ci ait été averti et n'ait pas déclaré s'y opposer. Les syndicats disposent ainsi du droit d'agir en exécution des droits que les salariés tirent de la convention ou de l'accord collectif, à la condition d'avertir les salariés intéressés et que ceux-ci ne se soient pas opposés à l'action, à raison de l'intérêt collectif que la solution du litige peut présenter pour leurs membres. Le syndicat SNTU CFDT produit aux débats la liste de ses 108 adhérents, salariés de la société KEOLIS LYON, et les 108 courriers d'information datés du 23 avril 2013, soit antérieurement à l'expiration du délai de prescription de l'action, aux termes desquels le secrétaire général du syndicat annonce à chaque adhérent qu'il engage une procédure aux prud'hommes au nom de ses adhérents afin d'ordonner la récupération d'un jour de congé supplémentaire en raison du cumul du 1er mai 2008 et du jeudi de l'Ascension, et qu'à défaut d'une réponse négative avant le 30 avril refusant une telle procédure, il joindra son nom au dossier, ces courriers contenant les formulaires remplis et signés par les 108 adhérents avec copie jointe de la carte d'identité de chacun d'entre eux qui certifie avoir reçu le courrier d'information, ne pas s'être opposé à cette action et ne pas s'y opposer. Dans ces conditions, il convient d'infirmer le jugement et de dire que les demandes du syndicat sont recevables » ;

1. ALORS QUE selon l'article L2262-9 du code du travail, un syndicat peut exercer une action en justice afin d'obtenir l'application d'une convention ou d'un accord collectifs pour le compte de ses adhérents, sans avoir à justifier d'un mandat de leur part, à condition de les avoir préalablement avertis et que ces derniers n'aient pas déclaré s'y opposer ; que le syndicat doit donc, lors de l'introduction de l'action, justifier d'une information effective de chacun des salariés pour le compte desquels il prétend agir et ne peut procéder à une quelconque régularisation postérieurement au délai de prescription de l'action ; qu'au cas présent, la société Keolis Lyon faisait valoir que le syndicat SNTU CFDT ne justifiait pas de l'envoi effectif d'un courrier d'information aux 108 salariés pour le compte desquels il prétendait agir ; qu'en se bornant à relever, pour déclarer l'action recevable, que le syndicat produisait 108 courriers d'information « datés du 23 avril 2013, soit antérieurement à l'expiration du délai de prescription de l'action », sans rechercher, comme cela lui était demandé, à quelle date lesdits courriers avaient été effectivement établis et adressés à chacun des salariés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé et de l'article 32 du code de procédure civile ;

2. ALORS QUE selon l'article L2262-9 du code du travail, le syndicat ne peut agir afin d'obtenir l'application d'une convention ou d'un accord collectifs que pour le compte de ses adhérents et doit donc établir la qualité d'adhérent de chacun des salariés pour lesquels il prétend agir à la date de l'introduction de l'action en justice ; qu'au cas présent, la société Keolis Lyon faisait valoir que le syndicat SNTU-CFDT ne justifiait pas de la qualité d'adhérent de chacun des 108 salariés dont il se bornait à produire la liste ; qu'en déclarant néanmoins les demandes du syndicat recevables sans rechercher, comme elle y était invitée, s'il était justifié pour chacun des salariés concernés de sa qualité d'adhérent à la date d'introduction de l'action, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé et de l'article 32 du code de procédure civile.

SECOND MOYEN DE CASSATION SUBSIDIAIRE

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la société Keolis Lyon à octroyer une journée supplémentaire qui sera créditée sur leur compte à chacun des 108 salariés représentés par le Syndicat National des Transports Urbains CFDT ;

AUX MOTIFS QUE « Sur le fond. L'article 32 de la convention collective nationale des réseaux de transports publics urbains de voyageurs dispose que : les agents ont droit, en plus du congé annuel, à un nombre de journées payées correspondant aux fêtes légales actuellement au nombre de dix, à savoir : - le 1er janvier - le lundi de Pâques - le 8 mai - l'Ascension - le lundi de Pentecôte - le 14 juillet - le 15 août - la Toussaint - le 11 novembre - Noël. Les agents qui, en raison des nécessités du service, travaillent un de ces jours de fêtes, ou dont le jour de repos hebdomadaire coïncide d'après le roulement établi avec un de ces jours de fête, sont crédités d'un jour de congé supplémentaire ou reçoivent, en sus du salaire habituel, le salaire d'une journée. Les agents bénéficiant du repos régulier le dimanche ne peuvent demander ni paiement ni congés supplémentaires lorsqu'un des jours fériés énumérés ci-dessus tombe un dimanche. L'article L3133-4 du code du travail énonce que le 1er mai est jour férié et chômé. Comme le fait observer à juste titre le syndicat, il résulte de la combinaison de ces deux textes que les salariés de la société KEOLIS LYON ont droit sur l'année à dix journées payées correspondant aux dix fêtes légales énumérées par la convention, qui sont des jours fériés, auxquelles s'ajoute la journée du 1er mai qui est toujours fériée et chômée en vertu de la loi, soit au total onze journées fériées et payées sur l'année. Dès lors que la convention collective applicable aux salariés de la société KEOLIS LYON garantit un nombre déterminé de jours chômés correspondant aux jours de fêtes légales, lorsque deux jours fériés chômés coïncident, le salarié peut prétendre à l'attribution de ces deux jours ou au paiement d'une indemnité. Ainsi, en raison de la coïncidence en 2008 du 1er mai, obligatoirement chômé et payé, et du jeudi de l'Ascension, les salariés pouvaient prétendre à une journée de congé supplémentaire afin de bénéficier des onze journées fériées auxquelles ils avaient droit. La société KEOLIS LYON n'est pas fondée à invoquer, pour refuser d'accorder à ses salariés un jour de congé supplémentaire au titre de l'année 2008, les dispositions d'autres conventions collectives dont la lettre est différente de celle des réseaux de transports publics urbains de voyageurs applicable en l'espèce. La société KEOLIS ne peut se prévaloir non plus de la disposition selon laquelle lorsqu'un des jours fériés énumérés par la convention collective tombe un dimanche, le salarié n'a pas droit à une indemnité ou à un jour de congé supplémentaire, puisque le 1er mai ne peut être assimilé à un dimanche. Il convient d'accueillir la demande du syndicat et de condamner la société KEOLIS à octroyer à chacun des 108 salariés représentés une journée supplémentaire qui sera créditée sur le compte de ceux-ci » ;

ALORS QUE les jours fériés légaux correspondent à des jours précis de commémoration d'évènements historiques et religieux et n'ont pas directement pour objet de préserver la santé et la sécurité des salariés en leur allouant des temps de repos minima ; qu'il en résulte que, même lorsqu'une convention collective prévoit le chômage des jours fériés légaux et/ou la majoration des heures travaillés au cours de ces journées, ces jours fériés n'ont pas vocation, en l'absence de disposition conventionnelle expresse, à être compensés lorsqu'ils coïncident avec un autre jour non travaillé, notamment le 1er mai ; qu'au cas présent, l'article 32 de la convention collective des transports urbains de voyageurs dispose que « les agents ont droit, en plus du congé annuel, à un nombre de journées payées correspondant aux fêtes légales actuellement au nombre de dix, à savoir : le 1er janvier ; le lundi de Pâques ; le 8 mai ; l'Ascension ; le lundi de Pentecôte ; le 14 Juillet ; le 15 août ; la Toussaint ; le 11 novembre ; Noël » ; qu'il résulte de cette disposition que les salariés sont remplis de leurs droits conventionnels dès lors qu'ils ont bénéficié de 10 jours chômés au titre des 10 journées énumérées, parmi lesquelles ne figure pas le 1er mai qui obéit à des dispositions légales spécifiques ; que ce texte ne prévoit donc aucun droit à 11 jours chômés annuels au titre des fêtes légales et à une journée de repos supplémentaire dans l'hypothèse où l'une des fêtes légales qu'il énumère coïncide avec le 1er mai ; qu'en estimant néanmoins que les salariés avaient droit, au titre de la coïncidence du jeudi de l'Ascension et du 1er mai 2008, à un jour de repos supplémentaire ou, à défaut, au paiement d'un salaire d'une journée, la cour d'appel a violé l'article 32 de la convention collective des transports urbains de voyageurs.