Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 10 novembre 2021, 20-13.712, Inédit

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Résumé

Apport de la jurisprudence : Prise d’acte / Modification du contrat / Démission / Licenciement / Droit au repos / Droit européen

Suite au refus d’une promotion, un cadre dirigeant prend acte de la rupture de son contrat de travail. Il reproche la non imputabilité de la rupture à l’employeur et le fait de devoir s’acquitter d’une indemnité de préavis. Dans les griefs invoqués, le salarié mettait en avant le fait d’avoir été privé de son droit au repos en raison de sa charge excessive de travail. La Cour de cassation considère que le salarié se devait de demander spécifiquement à la Cour d’appel de se prononcer sur la compatibilité du droit européen avec le droit national avant d’invoquer un quelconque manquement de base légale. La question n’ayant pas été soulevée dans les conclusions du demandeur, elle considère qu’il ne s’agit pas d’une question pertinente.

Cass. soc 10 novembre 2021 n°20.3712

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

CDS



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 10 novembre 2021




Rejet


M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 1261 F-D

Pourvoi n° T 20-13.712




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 10 NOVEMBRE 2021

M. [V] [P], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° T 20-13.712 contre l'arrêt rendu le 10 décembre 2019 par la cour d'appel d'Agen (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société Gifi, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Le Masne de Chermont, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [P], de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Gifi, après débats en l'audience publique du 22 septembre 2021 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Le Masne de Chermont, conseiller référendaire rapporteur, Mme Pécaut-Rivolier, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Agen, le 10 décembre 2019), M. [P] a été engagé, le 26 juillet 2010, par la société Gifi, en qualité de directeur contrôle de gestion et audit interne, statut cadre dirigeant, niveau IX, échelon 1, de la classification fixée par la convention collective nationale du commerce de gros du 23 juin 1970.

2. Le salarié a été mis à disposition d'une société filiale, Gifi Asia, du 24 avril 2014 au 1er octobre 2017, pour exercer, au sein de cette société, à Hong-Kong, des missions de contrôle de gestion et de reporting, en qualité de directeur financier.

3. La société Gifi a proposé, le 8 novembre 2017, au salarié, un poste de directeur financier international, statut cadre dirigeant, niveau IX, échelon 2, les autres stipulations du contrat du 26 juillet 2010 demeurant inchangées.

4. Après avoir refusé ce poste, le salarié a pris acte de la rupture de son contrat de travail par lettre du 27 décembre 2017.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, le deuxième moyen, pris en ses première à troisième branches, et le troisième moyen, ci-après annexés

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le deuxième moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches
Enoncé du moyen

6. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail ne peut être imputable à l'employeur, aucun manquement grave de la société n'étant établi, de requalifier la rupture du contrat de travail en une démission et de le condamner en conséquence à verser à l'employeur une indemnité au titre du préavis qu'il n'a pas effectué, alors :

« 4°/ que tout salarié, y compris cadre dirigeant, bénéficie d'un droit fondamental à la santé et au repos ; que bien que légalement non soumis aux règles relatives à la durée du travail et au repos, le cadre dirigeant ne peut être privé des prescriptions minimales en matière de repos nécessaires pour assurer la protection de sa sécurité et de sa santé ; qu'en considérant que la prise d'acte intervenue le 27 décembre 2017 produisait les effets d'une démission sans rechercher, comme elle y était invitée, si le salarié n'avait pas été privé de son droit fondamental au repos en raison de sa charge excessive de travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et des articles 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs et 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ainsi que de l'article L3111-2 du code du travail interprété à la lumière de l'article 17 de la directive 93/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993 et des articles 17 et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003.

5°/ qu'il appartient à la Cour de justice de l'Union européenne de statuer, à titre préjudiciel, sur l'interprétation de textes européens soulevant une question sur laquelle elle ne s'est pas encore prononcée ; que la Cour de cassation doit donc poser à cette juridiction la question de savoir si l'article 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ainsi que l'article 17 de la directive 93/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993 et les articles 17 et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 s'opposent à ce que la réglementation d'un État membre prive le salarié cadre dirigeant des prescriptions minimales en matière de repos nécessaires pour assurer la protection de sa sécurité et de sa santé. »

Réponse de la Cour

7. Ayant retenu que les manquements invoqués par le salarié n'étaient pas établis, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée dans les dernières conclusions d'appel recevables déposées par le salarié quant à une éventuelle privation de son droit fondamental au repos en raison de sa charge excessive de travail, a légalement justifié sa décision.

8. Selon l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 6 octobre 1982, Cilfit (283/81, point 10), les juridictions dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne ne sont pas tenues de renvoyer une question d'interprétation de droit de l'Union soulevée devant elles si la question n'est pas pertinente, c'est-à-dire dans les cas où la réponse à cette question, quelle qu'elle soit, ne pourrait avoir aucune influence sur la solution du litige.

9. La question n'est pas pertinente dans la mesure où le grief tiré d'un manque de base légale de l'arrêt au regard des articles 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, 17 de la directive 93/104/CE du Conseil, du 23 novembre 1993, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, ainsi que 17 et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail n'est pas fondé dès lors que le salarié n'a pas demandé à la cour d'appel de procéder à la recherche prétendument omise.

10. Il n'y a donc pas lieu à renvoi préjudiciel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Dit n'y avoir lieu à renvoi préjudiciel ;

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. [P] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix novembre deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour M. [P].

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejetée la demande de révocation de l'ordonnance de clôture et déclaré en conséquence irrecevables les conclusions récapitulatives d'appel n° 8 déposées par le salarié et enregistrées les 22 et 29 mai 2019.

AUX MOTIFS QUE dans ses conclusions n° 8 déposées le 22 mai, puis à nouveau le 29 mai, M. [P] sollicite la révocation de l'ordonnance de clôture en invoquant la publication le 17 mai 2019 d'un arrêt de la CJUE du 14 mai 2019 justifiant selon lui qu'une question préjudicielle soit posée à la CJUE dans le cadre de la présente procédure ; que pour rejeter cette demande il suffira, après avoir rappelé, qu'aux termes de l'article 784 du CPC, l'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue, de relever que conformément à l'article 74 du CPC, l'exception tirée d'une question préjudicielle qui tend à suspendre le cours d'une procédure jusqu'à décision d'une autre juridiction doit, à peine d'irrecevabilité, être soulevée avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir ; qu'en l'espèce l'exception tirée de la question préjudicielle relative à la conformité de l'interprétation jurisprudentielle de l'article L3171-4 du code du travail aux textes européens, n'a pas été soulevée in limine litis, mais nouvellement devant la Cour dans les conclusions déposées après l'ordonnance de clôture, de sorte qu'elle ne pourrait qu'être déclarée irrecevable si la cour en était régulièrement saisie après révocation de ladite ordonnance de clôture ; que par ailleurs les textes invoqués par M. [P] dans sa question préjudicielle sont tous antérieurs de près, voire de plus de 10 ans au présent litige, de sorte qu'il aurait parfaitement pu soulever sa question préjudicielle in limine litis ; que le prononcé par la CJUE d'un arrêt relatif à la conformité au droit de l'Union de certaines dispositions de la législation espagnole relative à la preuve de la durée du travail ne constitue pas une cause grave révélée postérieurement à l'ordonnance de clôture susceptible d'influer sur l'issue du litige soumis à la Cour ; qu'en effet non seulement cet arrêt concerne la conformité au droit de l'Union européenne de la législation d'un autre Etat de l'Union européenne, différente de la législation française qui prévoit une obligation générale pour l'employeur de décompter le temps de travail en instaurant un système permettant de mesurer la durée de travail journalier et hebdomadaire, mais qu'en fait la question préjudicielle proposée concerne la conformité d'une interprétation jurisprudentielle d'une disposition légale et non la conformité de la disposition elle-même ; que du fait du rejet de la demande de révocation de l'ordonnance de clôture il y a lieu, par application des dispositions de l'article 783 du CPC énonçant qu'après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée, ni aucune pièce produite, de déclarer irrecevables les conclusions récapitulatives d'appel n° 8 déposées par M. [P] et enregistrées les 22 et 29 mai 2019.

ALORS QU'une demande de question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne peut être soulevée en tout état de cause ; qu'en rejetant la demande de révocation de l'ordonnance de clôture et en déclarant irrecevables les conclusions n° 8 du salarié au motif déterminant que la demande tendant au renvoi d'une question préjudicielle devant la Cour de justice de l'Union européenne n'avait pas été soulevée in limine litis, quand une telle demande pouvait être présentée en tout état de cause, la cour d'appel a violé les articles 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et 74 du code de procédure civile.

DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR dit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail ne peut être imputable à l'employeur, aucun manquement grave de la société n'étant établi, requalifié la rupture du contrat de travail en une démission et condamné en conséquence le salarié à verser à l'employeur une indemnité au titre du préavis qu'il n'a pas effectué.

AUX MOTIFS propres QUE sur l'absence d'offre de réintégration : [?] il est constant que de retour effectif de Hong-Kong fin septembre 2017, M. [P] s'est vu proposer par son employeur le poste de Directeur Financier International de la société GIFI SA, offre matérialisée par la transmission le 8 novembre 2017 d'un avenant que M. [P] n'a jamais signé, et que par message électronique adressé le 27 novembre 2017, M. [P] a informé M. [I], directeur délégué de GIFI SA de son refus d'accepter le poste qui lui était proposé ; qu'aucune disposition légale, contractuelle ou conventionnelle n'imposait de délai à GIFI SA pour effectuer les recherches de réintégration de M. [P] ; que dès lors le maintien provisoire du salarié, pour une courte durée (le mois d'octobre 2017), en attente d'affectation ne constitue pas une faute de l'employeur, ce d'autant moins que le haut niveau de compétence de M. [P] et son statut de cadre dirigeant (explicité ci-après) imposait des études approfondies afin de lui trouver un poste adapté ; qu'avant son expatriation, M. [P] occupait au sein de l'entreprise, la fonction de Directeur Contrôle de Gestion et Audit Interne, statut cadre dirigeant-niveau IX échelon 1 ; que cette fonction n'existait plus lors de son retour d'expatriation, les missions correspondantes et notamment les missions comptables ayant été réparties entre différents services de GIFI SA ; que par suite GIFI SA n'a pas commis de faute en ne réintégrant pas M. [P] dans son poste antérieur ; que le poste de Directeur Financier International qui lui a été offert par GIFI SA, ne correspondait certes pas aux ambitions personnelles élevées de M. [P], telles qu'il les avait portées à la connaissance de son employeur dans les mois et semaines précédents son retour d'expatriation, mais force est de constater que les éléments essentiels de l'avenant proposé étaient identiques à celles du contrat initial : son statut de cadre dirigeant et sa classification conventionnelle étaient identiques, sa rémunération, le remboursement de ses frais professionnels, ses avantages sociaux, les modalités d'organisation de son temps de travail (autonomie du cadre dirigeant) demeuraient inchangés ; que par ailleurs, dans le cadre de ce poste, nouvellement créé au sein de la Direction Internationale de l'entreprise, elle-même mise en place en juillet 2016, M. [P] se voyait confié non seulement des missions d'encadrement, d'animation et de contrôle, mais également des missions en matière budgétaire (en liaison avec d'autres services de l'entreprise) en matière de contrôle de gestion et de trésorerie, de représentation du service international auprès des équipes du projet Millénium ; qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que M. [P] a bien bénéficié d'une offre sérieuse, précise et compatible avec l'importance de ses fonctions avant expatriation, et prenant au surplus en considération l'expérience acquise à l'étranger durant son expatriation ; que dès lors ce grief n'est pas établi ; que pour écarter les objections formulées par M. [P] pour soutenir que son poste était dépourvu de toute envergure et était sans commune mesure avec l'importance de ses fonctions antérieures, il suffira de relever : que si le poste proposé ne reprend pas les missions d'un directeur administratif et financier, c'est d'une part, parce qu'il n'occupait pas ces fonctions avant son expatriation, d'autre part, parce que ce poste n'était pas disponible dans l'entreprise à l'époque du retour d'expatriation ; que si M. [P] n'a pas été convoqué aux 2 réunions de la Direction Internationale de l'entreprise dans le dernier trimestre 2017, c'est non pas en raison de l'insignifiance de ses missions nouvelles, comme il l'allègue, mais parce que la première a eu lieu le 7 novembre 2017, avant que l'offre de réintégration, qui faisait l'objet de discussions, ne soit matérialisée par la transmission le 8 novembre de l'avenant, et la seconde le 17 décembre 2017, après que M. [P] a refusé l'offre de réintégration formulée par son employeur ; que l'importance des fonctions, pour un poste nouvellement créé dans une direction elle-même récente et en cours de développement, ne peut être appréciée au seul regard du nombre de personnes encadrées, susceptibles d'évolution en fonction des besoins identifiés par le nouveau directeur, ou au regard du type de voiture ou de matériel informatique mis disposition de M. [P], mais des missions confiées, dont ce dernier n'a en réalité jamais pu apprécier l'étendue puisqu'il a presque immédiatement refusé l'offre de réintégration ; [?] sur le non-paiement d'heures supplémentaires : qu'il convient de relever que durant la période (janvier 2015 à septembre 2017) pour laquelle il réclame des dommages et intérêts, M. [P] s'est vu confier les missions suivantes : contrôle de gestion et reporting sur le Groupe Asie : liaison entre les services corporate du groupe France et des filiales Asie, renforcement du reporting sur place, décentralisation de la saisie des comptes trimestriels, gestion des budgets du groupe Asie ; comptabilité générale : organisation et coordination des équipes, rédaction des procédures comptables, contrôle interne, analyse des comptes et pilotage des travaux de clôture comptables ; trésorerie : mise en place et suivi du budget de trésorerie, gestion des besoins et couverture de devises ; ressources humaines : gestion du personnel (contrats, paye, déclarations...) ; administratif : gestion de la relation avec les banques, les auditeurs, le secrétariat juridique, suivi des audits et du secrétariat juridique ; informatique : accompagnement de tous les projets informatiques du groupe ; que la convention collective régissant la relation contractuelle ne fixe pas le niveau de classification à partir duquel le statut de cadre dirigeant doit être appliqué à un salarié ; que même s'il se trouvait sous la subordination hiérarchique du Directeur délégué, M. [I], ce qui n'est nullement exclusif du statut de cadre dirigeant, M. [P] avait des responsabilités considérables tant en ce qui concerne la gestion du personnel que du budget de la société GIFI Asia et qu'il disposait d'une totale indépendance dans l'organisation de son travail et de son emploi du temps, qu'il ne justifie pas avoir jamais reçu de son employeur durant la période considérée des consignes à cet égard ; que par ailleurs, il était seul responsable de la maîtrise du budget et était habilité à prendre de manière totalement autonome des décisions en matière de comptabilité, de trésorerie, de ressources humaines, sans avoir comme il l'allègue à solliciter préalablement l'autorisation de M. [I], les messages électroniques qu'il produit mettant en évidence que si des explications lui étaient parfois demandées, c'était a posteriori, ce qui confirme son autonomie dans la prise de décisions ; que M. [P] évalue sa rémunération mensuelle brute, en y incluant les avantages en nature et toutes les primes, à 23 541,45 euros, montant largement supérieur à la moyenne des 10 rémunérations les plus élevées de la société GIFI SA, qui s'établissait à 10 663 euros en 2015, à 10 931 euros en 2016 et à 12 247 euros en 2017 selon le bilan social 2017 de l'Unité Economique et Sociale constituée par les sociétés du groupe GIFI ; que par ailleurs il participait à la direction de l'entreprise en étant membre permanent du Comité de Direction Asie de l'entreprise et en participant effectivement aux réunions trimestrielles de ce Comité en 2015, 2016 et 2017, étant observé que ce CODIR est distinct du comité opérationnel Asie évoqué par M. [I] dans un message électronique du 8 juillet 2014, qui n'était habilité qu'à formuler des propositions et non à prendre des décisions ; qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que les critères cumulatifs précités sont bien réunis et que par suite M. [P] doit se voir appliquer le statut de cadre dirigeant, exclusif des règles légales, réglementaires et conventionnelles relatives à la durée du travail ; qu'il suffira d'ajouter que c'est vainement que M. [P] invoque la mention « forfait 218 jours » figurant sur ses bulletins de paye, pour soutenir que l'existence d'une convention de forfait-jours suffit à écarter le statut de cadre dirigeant, dès lors : que la juridiction prud'homale n'est pas liée par une mention du bulletin de salaire et qu'il lui appartient d'examiner la réalité des fonctions exercées par le salarié pour lui octroyer ou non le statut de cadre dirigeant ; que M. [P] ne fait référence qu'à cette mention figurant sur ses bulletins de paye, mais ne fait nullement état de la signature entre les parties d'une convention de forfaits-jours, ni d'une disposition conventionnelle applicable à la relation de travail liant les parties faisant référence à une telle convention ; qu'il ne produit pas davantage un quelconque relevé des jours de repos adressé à l'employeur pour lui permettre de vérifier que les temps de repos obligatoires sont bien pris, ni aucun message électronique faisant référence au temps de travail effectué ; que l'ensemble de ces éléments permettent d'écarter l'existence d'une convention de forfaits-jours liant les parties ; que par suite, M. [P] n'étant pas soumis aux dispositions relatives à la durée du travail, le grief tiré du défaut de payement des heures supplémentaires manque en fait.

AUX MOTIFS adoptés QU'à l'examen des pièces versées aux débats, il apparait que, dans un premier temps, les parties envisageaient une prolongation de l'expatriation de monsieur [P] ; que ce n'est qu'à partir du mois de mai 2017, et surtout, dans un mail en date du 18 juin 2017 que monsieur [P] fait part de sa décision définitive de renoncer à une prolongation de sa mission, de mettre fin à son expatriation et de se voir proposer un nouveau poste de travail ; que même si la SAS GIFI ne répond pas explicitement à ses mails postérieurs, le conseil constate que des échanges oraux avec des dirigeants de l'entreprise ou avec la direction des ressources humaines ont bien lieu, comme l'attestent des mails versés par le demandeur ; qu'en revanche, le 1er octobre 2017, date du retour effectif de monsieur [P] à l'entreprise, un poste est bien mis à sa disposition ; qu'en outre, le code du travail ne fixe aucun délai impératif à l'entreprise pour mettre en oeuvre une proposition ; qu'une proposition formulée au retour effectif du salarié répond aux exigences légales ; que ce moyen n'est pas opérant ; qu'en ce qui concerne le poste de travail proposé à monsieur [P], directeur financier international, il convient de vérifier sa compatibilité avec l'importance de ses précédentes fonctions, comme le stipule l'article L1235-5 du code du travail ; que dans un premier temps, au vu des éléments apportés par monsieur [P], il apparait que le demandeur souhaitait réintégrer un poste différent de son poste initial ; qu'en effet, il explicite diverses propositions, comme par exemple dans un mail du 11 juin 2017, où il conditionne un éventuel retour en France à l'attribution de nouvelles fonctions, beaucoup plus larges, d'ailleurs, que celles occupait avant son expatriation ; que de manière singulière, les contours de ce poste, il l'explicite lui-même, empiètent sur les prérogatives de cadres présents dans l'entreprise, voire de mandataires sociaux ; que l'entreprise ne retient pas ces propositions, qu'elle juge irréalistes et sans rapport avec ses fonctions antérieures, et, au retour de monsieur [P], lui propose les fonctions de directeur financier international ; qu'il convient alors d'examiner le contenu de ce poste ; que d'une part, s'agissant des conditions générales d'exercice, il apparait que celles-ci sont identiques à celles existant avant l'expatriation du demandeur, qu'il s'agisse de la rémunération, de la durée du travail, du lieu de travail ou des accessoires du contrat (prise en charge des frais professionnels, avantages en nature) ; que d'autre part, sur les missions elles-mêmes, leur analyse fait ressortir qu'elles entraient bien dans la condition de compatibilité imposée par le code du travail ; qu'en effet, il s'agissait de fonctions transversales de cadre dirigeant, comportant des aspects financiers mais également des fonctions opérationnelles importantes, notamment de contrôle de la mise en place de l'opération Millénium, projet lourd d'évolution de l'entreprise ; qu'à noter que ce redéploiement de ses fonctions correspondait aux voeux du demandeur qui avait souhaité des fonctions plus opérationnelles ; que l'analyse précise de ces fonctions ne permet pas d'affirmer qu'il y avait un retrait des responsabilités confiées à monsieur [P] ; que les propositions formulées ne pouvaient donc pas constituer un manquement de l'entreprise à ses obligations ; que le Conseil note par ailleurs que, dès son retour, monsieur [P] prend ses nouvelles fonctions pleinement ; qu'ainsi, tout au long du mois d'octobre 2017, il annonce à son environnement professionnel – autres cadres de l'entreprise, collègues, entreprises extérieures – qu'il est rentré et explicite ses nouvelles fonctions ; que ceci est attesté par de très nombreux mails versés aux débats ; qu'il prend des initiatives, négocie des contrats ; que ce n'est que plus tardivement, essentiellement dans la notification de la rupture de son contrat de travail, qu'il annonce ne pas accepter de poste de travail ; que deux griefs supplémentaires font l'objet de développements de la part de monsieur [P], d'une part, il allègue qu'il se trouvait dans des conditions pratiques très en retrait ; qu'il disposait pour commencer d'une équipe réduite de collaborateurs avec des rémunérations faibles (4 ou 5 au lieu de douze précédemment) ; que les éléments versés aux débats démontrent que le poste de monsieur [P] était un poste nouveau et qu'il lui appartenait de le développer ; qu'il disposait pour cela de la latitude nécessaire ; qu'ainsi, il pouvait procéder à des recrutements pour élargir son équipe, ce qu'il fait, comme l'attestent des échanges de mails avec des sociétés de recrutement (octobre 2017) ; que d''autre part, monsieur [P] expose longuement les difficultés avec son employeur sur le véhicule de fonction qui lui est confié, qui ne correspond pas à son niveau dans l'entreprise ; qu'or, l'entreprise explique que cette situation est provisoire en attendant de pouvoir lui confier un véhicule plus « adaptés » et d'ailleurs le confirme dans un mail (13 septembre 2017) ; que les autres affirmations de monsieur [P] ne reposent sur aucun élément de preuve (bureau partagé, par exemple) et ne sauraient donc être retenues ; qu'un examen minutieux de l'ensemble des éléments invoqués par le demandeur ainsi que des pièces versées par la SAS GIFI n'établissent pas que la société aurait commis des manquements rendant impossibles la poursuite du contrat de travail de monsieur [P] ; que le Conseil de prud'hommes considère que la société en proposant un poste de directeur financier international répondait aux exigences de l'article L1231-5 du Code du travail.

ALORS QUE le salarié expatrié est fondé à prendre acte de la rupture de son contrat de travail dès lors qu'il fait l'objet d'une mesure de rapatriement en France sans bénéficier d'une offre de réintégration sérieuse, précise et compatible avec l'importance de ses précédentes fonctions au sein de la société mère, et sans qu'il ait donné son accord sur ce nouveau poste ; qu'en considérant que la prise d'acte intervenue le 27 décembre 2017 produisait les effets d'une démission aux motifs que l'offre de réintégration formulée le 8 novembre 2017 par l'employeur aurait été sérieuse, précise et compatible avec l'importance des fonctions occupées par le salarié avant son expatriation, quand il ressortait au contraire de ses propres constatations que ladite offre avait été faite postérieurement au retour du salarié le 1er octobre 2017, qu'elle n'était pas précise à défaut de permettre au salarié d'apprécier l'étendue de ses nouvelles fonctions et qu'elle n'avait pas reçu son accord, la cour d'appel a violé les articles L. 1221-1 et L1231-5 du code du travail.

ALORS QUE sont considérés comme cadres dirigeants les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement ; que seuls relèvent de cette catégorie les cadres participant à la direction de l'entreprise ; qu'en se bornant, pour décider que le salarié avait la qualité de cadre dirigeant et n'était pas soumis aux règles relatives à la durée du travail et au repos en sorte que la prise d'acte intervenue le 27 décembre 2017 produisait les effets d'une démission, à relever que le salarié disposait d'une totale indépendance dans l'organisation de son emploi du temps, d'un niveau de rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés de l'entreprise et qu'il était membre du comité de direction Asie en participant aux réunions trimestrielles de ce comité, sans rechercher, comme elle y était invitée, si au regard des fonctions qu'il occupait réellement dans l'entreprise, le salarié participait effectivement à la direction de l'entreprise quand l'avenant au contrat de travail conclu dans le cadre de l'expatriation stipulait qu'il était seulement « cadre autonome », la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L3111-2 du code du travail.

ALORS QUE la soumission du salarié à une convention individuelle de forfait s'oppose à la qualification de cadre dirigeant nonobstant l'éventuelle réunion des critères d'identification du cadre dirigeant ; que la mention d'une convention individuelle de forfait sur les bulletins de paie permet au salarié de s'en prévaloir, sauf à l'employeur de rapporter la preuve de son inexistence ; qu'en jugeant, pour retenir que le salarié avait la qualité de cadre dirigeant et n'était pas soumis aux règles relatives à la durée du travail et au repos en sorte que la prise d'acte intervenue le 27 décembre 2017 produisait les effets d'une démission, que le salarié n'était pas soumis à une convention individuelle de forfait exclusive du statut de cadre dirigeant, motif pris qu'il n'en démontrait pas l'existence quand elle constatait que les bulletins de paie y faisaient référence, la cour d'appel a inversé la charge la preuve en violation de l'article R3243-1 du code du travail.

4° ALORS en tout état de cause QUE tout salarié, y compris cadre dirigeant, bénéficie d'un droit fondamental à la santé et au repos ; que bien que légalement non soumis aux règles relatives à la durée du travail et au repos, le cadre dirigeant ne peut être privé des prescriptions minimales en matière de repos nécessaires pour assurer la protection de sa sécurité et de sa santé ; qu'en considérant que la prise d'acte intervenue le 27 décembre 2017 produisait les effets d'une démission sans rechercher, comme elle y était invitée, si le salarié n'avait pas été privé de son droit fondamental au repos en raison de sa charge excessive de travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et des articles 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs et 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ainsi que de l'article L3111-2 du code du travail interprété à la lumière de l'article 17 de la directive 93/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993 et des articles 17 et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003.

5° ALORS en tant que de besoin QU'il appartient à la Cour de justice de l'Union européenne de statuer, à titre préjudiciel, sur l'interprétation de textes européens soulevant une question sur laquelle elle ne s'est pas encore prononcée ; que la Cour de cassation doit donc poser à cette juridiction la question de savoir si l'article 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ainsi que l'article 17 de la directive 93/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993 et les articles 17 et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 s'opposent à ce que la réglementation d'un État membre prive le salarié cadre dirigeant des prescriptions minimales en matière de repos nécessaires pour assurer la protection de sa sécurité et de sa santé.

TROISIÈME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)

Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR condamné le salarié à verser une indemnité au titre du préavis qu'il n'a pas effectué.

AUX MOTIFS propres QUE les griefs invoqués par M. [P] ayant été précédemment rejetés, la prise d'acte de la rupture du contrat de travail doit produire les effets d'une démission, ainsi que l'ont justement retenu les premiers juges ; que le jugement entrepris sera confirmé [en ses dispositions] le condamnant à payer à GIFI SA une indemnité compensatrice du préavis non exécuté ;

AUX MOTIFS adoptés QUE la prise d'acte de rupture de son contrat de travail par M. [P] ne peut être prononcée aux torts de l'employeur et lui est imposable ; qu'elle reste donc une rupture à l'initiative du salarié et doit être requalifiée en démission ; qu'en conséquence, M. [P] sera condamné à verser à la SAS GIFI une indemnité à titre du préavis non effectué, préavis d'une durée de trois mois dont il ne conteste pas l'existence ; qu'en ce qui concerne le salaire de référence à retenir pour en déterminer le montant, M. [P] le chiffre à 23 541,45 euros ; qu'or ce chiffre se réfère aux rémunérations perçues durant son expatriation, rémunérations incluant des sommes liées à cette situation, qui doivent être exclues du salaire à retenir (frais d'école, frais d'avions, etc.) ; qu'en réalité, la rémunération moyenne à retenir doit être fondée sur le salaire qu'il percevait avant son expatriation, tel qu'il est communiqué par la société et qui s'élève à 9 823,66 euros ; qu'en conséquence, le montant de l'indemnité que M. [P] sera condamné à verser est de 28 232,82 euros.

ALORS QU'en vertu du principe de la réparation intégrale du préjudice, les dommages et intérêts alloués par le juge à une partie ne sauraient excéder la valeur du préjudice qu'elle a effectivement subi ; qu'en cas de prise d'acte de la rupture du contrat produisant les effets d'une démission, le juge ne peut condamner le salarié qui n'a pas exécuté son préavis, auquel il n'était pas tenu, à verser à l'employeur une somme forfaitaire correspondant au salaire qu'il aurait perçu au cours de la période de préavis sans vérifier que l'employeur a effectivement subi un préjudice en raison de l'inexécution du préavis ; qu'en condamnant le salarié à verser à l'employeur une somme correspondant à trois mois de salaire pour le préavis non effectué, sans caractériser l'existence d'un quelconque préjudice, la cour d'appel a violé les articles L1237-1 du code du travail et 1231-1 du code civil.