Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 14 décembre 2022, 21-15.209, Inédit

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Résumé

Apport de la jurisprudence : Forfait jours / Rémunération / Heures supplémentaires / Salaire élevé / L.3121-22

La Cour de cassation décorrèle la rémunération d’un salarié supérieur au minimum conventionnel à une justification suffisante de la mise en place d’un forfait en jours sur l’année et en justification de paiement d’heures supplémentaires en cas de nullité de la convention. En l’espèce, le salarié percevait une rémunération de 3 172 euros supérieure en application des dispositions conventionnelles. Expliqué autrement, le fait de payer un salarié 5 666 euros et non 3 172 euros comme le prévoit la convention collective, n’exonère en rien l’employeur de son obligation de paiement des heures supplémentaires en cas de nullité de convention de forfait.

Cass. soc, 14 décembre 2022 n°21-15.209

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

ZB1



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 14 décembre 2022




Cassation partielle


Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 1360 F-D

Pourvoi n° R 21-15.209


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 14 DÉCEMBRE 2022

M. [Y] [C] [R], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° R 21-15.209 contre l'arrêt rendu le 18 février 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-5), dans le litige l'opposant à la société Klepierre Management, société en nom collectif, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La société Klepierre Management a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Flores, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de M. [C] [R], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Klepierre Management, après débats en l'audience publique du 26 octobre 2022 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Flores, conseiller rapporteur, M. Sornay, conseiller, Mme Molina, avocat général référendaire, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 18 février 2021), M. [C] [R] a été engagé par la Société des centres commerciaux à compter du 1er janvier 1991, en qualité de chargé de la recherche et développement d'affaires. Il a été promu directeur du centre commercial [Localité 3] TNL, le 1er janvier 2000. Le mandat de syndic de la copropriété du centre commercial [Localité 3] TNL, détenu par la société des centres commerciaux a été confié à la société Corio France le 1er janvier 2012.

2. Le 12 décembre 2011, le salarié a conclu un contrat de travail à durée indéterminée à effet du 1er janvier 2012 avec la société Corio et a démissionné de la Société des centres commerciaux le 30 décembre 2011. Le 1er juillet 2015, le contrat de travail a été transféré à la société Klépierre Management à la suite d'une opération de fusion-absorption.

3. Le salarié, qui a été licencié le 6 janvier 2016, a saisi, le 16 mars suivant, la juridiction prud'homale de diverses demandes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

5. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes au titre d'heures supplémentaires, contreparties obligatoires en repos et indemnité pour travail dissimulé, alors « que lorsque la convention de forfait en jours est privée d'effet, le salarié peut prétendre au paiement d'heures supplémentaires dont le juge doit vérifier l'existence et le nombre conformément aux dispositions de l'article L3171-4 du code du travail ; que le seul versement d'un salaire supérieur au salaire minimum conventionnel, dans le cadre de l'application de la convention de forfait privée d'effet, ne peut tenir lieu de règlement des heures supplémentaires ; qu'en jugeant au contraire, pour rejeter en l'espèce les demandes de l'exposant au titre des heures supplémentaires, que ce dernier avait été rempli de ses droits dès lors que la société Klépierre Management justifiait de ce que M. [C] [R], qui disposait d'une large autonomie dans l'organisation de son travail, avait perçu une rémunération mensuelle de 5 666 euros, soit une rémunération supérieure de plus de 3 172 euros à ce qu'il aurait pu, le cas échéant, revendiquer en application des dispositions conventionnelles, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et violé l'article L3171-4 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L3121-22 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 et l'article L3171-4 du même code :

6. Selon le premier de ces textes, les heures supplémentaires accomplies au-delà de la durée légale hebdomadaire fixée par l'article L. 3121-10, ou de la durée considérée comme équivalente, donnent lieu à une majoration de salaire de 25 % pour chacune des huit premières heures supplémentaires. Les heures suivantes donnent lieu à une majoration de 50 %.

7. Selon le second, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

8. Il résulte de ces textes que le salarié, qui a été soumis à tort à un forfait annuel en jours, peut prétendre au paiement d' heures supplémentaires dont le juge doit vérifier l'existence et le nombre conformément aux dispositions de l'article L3171-4 du code du travail et que le versement d'un salaire supérieur au minimum conventionnel ne peut tenir lieu de règlement des heures supplémentaires.

9. Pour débouter le salarié de ses demandes au titre des heures supplémentaires, des contreparties en repos obligatoire et du travail dissimulé, l'arrêt, après avoir relevé que la convention de forfait en jours était nulle et que le salarié présentait des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétendait avoir accomplies, retient que l'employeur justifie de ce que le salarié a perçu une rémunération mensuelle de 5 666 euros supérieure de plus de 3 172 euros à ce qu'il pourrait, le cas échéant revendiquer, en application des dispositions conventionnelles, de sorte qu'il avait été rempli de ses droits en matière de paiement des heures supplémentaires.

10. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

REJETTE le pourvoi incident ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [C] [R] de ses demandes au titre des heures supplémentaires non payées, des contreparties obligatoires en repos et de l'indemnité pour travail dissimulé, l'arrêt rendu le 18 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;

Condamne la société Klépierre Management aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Klépierre Management et la condamne à payer à M. [C] [R] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze décembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyen produit par la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat aux Conseils, pour M. [C] [R], demandeur au pourvoi principal

M. [C] [R] reproche à l'arrêt attaqué de l'AVOIR débouté de ses demandes au titre d'heures supplémentaires non payées, contreparties obligatoires en repos et indemnité pour travail dissimulé ;

1°) ALORS QUE lorsque la convention de forfait en jours est privée d'effet, le salarié peut prétendre au paiement d'heures supplémentaires dont le juge doit vérifier l'existence et le nombre conformément aux dispositions de l'article L.3171-4 du code du travail ; que le seul versement d'un salaire supérieur au salaire minimum conventionnel, dans le cadre de l'application de la convention de forfait privée d'effet, ne peut tenir lieu de règlement des heures supplémentaires ; qu'en jugeant au contraire, pour rejeter en l'espèce les demandes de l'exposant au titre des heures supplémentaires, que ce dernier avait été rempli de ses droits dès lors que la société Klepierre Management justifiait de ce que M. [C] [R], qui disposait d'une large autonomie dans l'organisation de son travail, avait perçu une rémunération mensuelle de 5.666 euros, soit une rémunération supérieure de plus de 3.172 euros à ce qu'il aurait pu, le cas échéant, revendiquer en application des dispositions conventionnelles, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et violé l'article L.3171-4 du code du travail ;

2°) ALORS QU'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures supplémentaires non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; que dès lors qu'ils constatent que le salarié présente des éléments suffisamment précis, les juges doivent en conséquence rechercher si l'employeur y répond utilement en produisant des éléments de nature à justifier des horaires du salarié ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que M. [C] [R] présentait des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétendait avoir accomplies puisqu'il exposait avoir travaillé de 9 heures à 12 heures et de 13 heures à 19 heures 5 jours par semaine, ce dont il se déduisait qu'il effectuait 45 heures de travail par semaine dont 10 heures supplémentaires hebdomadaires ; que pour rejeter la demande du salarié à ce titre, la cour d'appel a toutefois considéré que ce dernier avait été rempli de ses droits en matière d'heures supplémentaires dès lors que la société Klepierre Management justifiait de ce que M. [C] [R], qui disposait d'une large autonomie dans l'organisation de son travail, a perçu une rémunération mensuelle de 5.666 euros, soit une rémunération supérieure de plus de 3.172 euros à ce qu'il pourrait, le cas échéant, revendiquer en application des dispositions conventionnelles ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si la société Klepierre Management versait aux débats des éléments de nature à justifier des horaires du salarié et à démontrer qu'il n'avait effectué aucune heure supplémentaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L.3171-4 du code du travail ;
Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Klepierre Management, demanderesse au pourvoi incident

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit qu'il y a lieu de tenir compte du 1er janvier 1991 comme date d'ancienneté, d'AVOIR condamné la société Klépierre Management à payer à Monsieur [C] [R] la somme de 77.965,98 euros nets pour solde de l'indemnité de licenciement, d'AVOIR ordonné la remise des documents sociaux dûment modifiés, et d'AVOIR condamné la société Klépierre Management à payer à Monsieur [C] [R] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

1°) ALORS QUE le juge ne doit pas dénaturer les écrits produits devant lui ;
qu'en affirmant que « les bulletins de paie de M. [C] [R] au sein de la société Corio France qui l'a embauché le 1er janvier 2012 le mentionnent comme ayant une ancienneté au 1er janvier 1991 » (arrêt p.6, al.2), cependant que les bulletins de paie versés aux débats pour la période comprise entre le mois de juin 2013 et le mois d'avril 2016 mentionnent une ancienneté au 1er janvier 2012, la cour d'appel a dénaturé ces bulletins de paie pour la période considérée (pièce n° 11, versée aux débats par le salarié), en violation du principe susvisé et de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

2°) ALORS QUE l'ancienneté du salarié s'apprécie à la date de la rupture du contrat de travail ; que si la date d'ancienneté figurant dans le bulletin de paie vaut présomption de reprise d'ancienneté sauf à l'employeur à rapporter la preuve contraire, c'est au dernier état de la relation de travail qu'il convient de se placer pour apprécier les droits respectifs des parties ; qu'en prenant en considération les mentions figurant sur les bulletins de paies de Monsieur [C] [R] de 2013 et non celles qui figuraient sur ceux de 2016 lors de la rupture du contrat de travail, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle et a violé les articles L1221-1 du code du travail et R3243-1 du code du travail ;

3°) ALORS QUE la présomption qui découle des mentions figurant sur les bulletins de paie ne s'applique pas lorsque celles-ci sont contradictoires ; qu'en jugeant que l'ancienneté de Monsieur [C] [R] à prendre en considération ressortait de ses bulletins de salaire, cependant que ceux-ci étaient contradictoires en ce que certains bulletins de paie indiquaient une ancienneté au 1er janvier 1991 tandis que d'autres, plus nombreux et plus récents, indiquaient une ancienneté au 1er janvier 2012, de telle sorte que la présomption issue de l'article R3243-1 du code du travail ne trouvait pas à s'appliquer en l'espèce, la cour d'appel a violé ce texte et l'article L.1221-1 du code du travail ;

4°) ALORS QU' en s'abstenant de prendre en considération, comme elle y était invitée, le fait que M. [C] [R] avait adressé le 30 décembre 2011 une lettre de démission claire et non équivoque à son premier employeur, la société des centres commerciaux, et que son contrat de travail auprès de son nouvel employeur, la société Corio France, conclu le 12 décembre 2011 ne comportait aucune clause de reprise d'ancienneté, ce dont il résultait que les mentions figurant sur les bulletins de salaire émis par la société Corio France entre le 1er janvier 2012 et le 31 mai 2013 comportaient une indication erronée en ce qui concerne l'ancienneté de M. [C] de l'entreprise, cette erreur ayant au demeurant été corrigée par la suite, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L1221-1 du code du travail et R3243-1 du code du travail ;

5°) ALORS QUE constitue une entité économique autonome un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels poursuivant un objectif économique propre ; qu'en affirmant que le changement de syndic décidé par la copropriété du centre commercial justifiait à lui seul l'application de l'article L. 122-12 al. 2 du code du travail alors en vigueur, sans relever aucun élément de nature à caractériser le transfert d'un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels poursuivant un objectif économique propre, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard du texte susvisé, aujourd'hui codifié à l'article L1224-1 du code du travail ;

6°) ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE dans ses écritures d'appel, l'exposante consacrait d'importants développements pour expliquer que le bail à construction conclu entre certains copropriétaires du centre commercial impliquait des acteurs économiques différents et était juridiquement et économiquement indépendant du mandat de syndic, de telle sorte qu'il n'avait été nullement affecté par le changement de syndic intervenu le 1er janvier 2012 au détriment de la société des centres commerciaux, et n'avait ainsi pas à être pris en considération pour apprécier l'éventuelle existence du transfert d'une entité économique autonome ; que cette démonstration contenue pages 11 à 13 des conclusions de l'exposante était précisément destinée à démontrer l'erreur de droit commise par les premiers juges qui avaient estimé que si le mandat de syndic ne constituait pas à lui seul une activité économique autonome, il en allait autrement avec l'existence d'un bail à construction ; qu'en supposant adoptée cette motivation des premiers juges, bien que non reprise dans les motifs de l'arrêt attaqué, la cour d'appel aurait alors violé l'article 455 du code de procédure civile en s'abstenant de répondre aux conclusions de l'exposante cidessus évoquées.