Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 18 novembre 2020, 19-15.099, Inédit

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Résumé

Apport de la jurisprudence : Discrimination / Evolution professionnelle / Charge de la preuve / L. 1134-1

L’absence d’évolution professionnelle sur une période de 30 ans est un élément sérieux dans la caractérisation d’une discrimination fondée sur l’origine. Dès lors que les revendications du plaignant sont fondées sur des éléments cohérents, la charge de la preuve incombe à l’employeur qui devra démontrer que cette stagnation professionnelle relève de faits objectifs extérieurs à toute discrimination.

Cass. soc, 18 novembre 2020, 19-15.099

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


SOC.

IK



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 18 novembre 2020




Cassation partielle


M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 1076 F-D

Pourvoi n° E 19-15.099




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 18 NOVEMBRE 2020

M. N... C..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° E 19-15.099 contre l'arrêt rendu le 15 novembre 2018 par la cour d'appel de Versailles (6e chambre), dans le litige l'opposant à la société [...], société par actions simplifiée, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Joly, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. C..., de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société [...], après débats en l'audience publique du 30 septembre 2020 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Joly, conseiller référendaire rapporteur, Mme Sommé, conseiller, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 15 novembre 2018), M. C... a été engagé le 3 novembre 1970 par la [...] (la société) en qualité d'ouvrier spécialisé. Il occupait en dernier lieu les fonctions d'employé service technique depuis le 1er mars 2001. Le 31 décembre 2008, il a fait valoir ses droits à la retraite.

2. Le 16 mars 2011, il a saisi la juridiction prud'homale aux fins de constater l'existence d'une discrimination à son encontre.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches, et le second moyen, ci-après annexés

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

4. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de toutes ses demandes formées au titre de la discrimination syndicale et raciale, alors « que le salarié qui s'estime victime de discrimination raciale doit présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une telle discrimination ; qu'en l'espèce, l'arrêt attaqué retient que le salarié n'établit pas de fait laissant présumer l'existence d'une discrimination fondée sur ses origines marocaines ; qu'en statuant ainsi, quand le salarié démontrait une stagnation totale de classification entre 1979 et 2001 et l'absence d'entretien individuel pendant 30 ans laissant présumer, outre l'existence d'une discrimination en raison de ses activités syndicales, également une discrimination fondée sur son origine ethnique, la cour d'appel a violé les articles L1132-1 et L1134-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L1132-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable, et l'article L1134-1 du même code :

5. Pour rejeter la demande du salarié au titre de la discrimination en raison de son origine, la cour d'appel a retenu que l'attestation produite par le salarié était vague et non circonstanciée et ne permettait pas de déterminer à quel moment, à quelle occasion et par quelle personne les origines marocaines du salarié ont été évoquées pour refuser de le faire évoluer dans sa carrière ou de quelle manière les origines du salarié auraient été prises en compte par la société, que le courrier adressé par un syndicat à l'inspection du travail relatant l'existence de mesures discriminatoires à l'encontre de salariés de la société à raison de leurs origines ne précisait pas quels salariés en seraient victimes, ni la nature exacte de ces mesures discriminatoires et ne mentionnait pas le salarié, et que ni un courrier, rédigé par le salarié lui-même, ni un article de presse datant de 1989 mentionnant l'existence dans la société d'une discrimination en raison de l'origine dont faisait l'objet un salarié qui avait demandé à changer d'affectation, n'étaient probants quant à une éventuelle discrimination en raison de l'origine dont le salarié aurait pu faire l'objet.

6. En se déterminant ainsi, alors que la cour d'appel avait constaté par ailleurs que le salarié avait stagné au coefficient 195 sur la période comprise entre le 1er octobre 1979 et le 1er mars 2001, élément laissant supposer l'existence d'une discrimination en raison de son origine, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. C... de sa demande de constat d'une discrimination à raison de l'origine et des demandes subséquentes, l'arrêt rendu le 15 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;

Condamne la société [...] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société [...] et la condamne à payer à M. C... la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit novembre deux mille vingt. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour M. C...

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté le salarié (M. N... C...) de toutes ses demandes formées au titre de la discrimination syndicale et raciale.

AUX MOTIFS propres QUE M. C... considère qu'il subissait une stagnation de carrière entre 1979 et 2001, soit pendant près de 22 ans ; Il soutient que cette absence d'évolution était la conséquence de ses activités syndicales, et que de ce fait il subissait une discrimination dans l'évolution de ses fonctions, alors qu'il avait effectué plusieurs formations avec succès ; La société [...] répond qu'aucune mesure discriminatoire fondée sur ses activités syndicales n'était prise à l'encontre de M. C... ; Elle mentionne notamment que le salarié n'avait aucun mandat syndical, ni aucune activité syndicale connue de l'employeur, de sorte qu'aucune mesure discriminatoire reposant sur ses convictions syndicales ne pouvait lui être reprochée ; Or, pour tenter de démontrer avoir subi une stagnation de sa carrière entre 1979 et 2001 résultant d'une discrimination syndicale, M. C... produit deux attestations de M. Q... D..., délégué du personnel de la société ; Ainsi M. Q... D... dit dans sa première attestation « avoir à plusieurs reprises tenté de défendre M. C... N... en ma qualité de délégué du personnel dans les années 1981 jusqu'en 1987. Malgré tous les efforts de formations suivies par M. C..., G... n'a jamais fait évoluer ce salarié » ; Dans son autre attestation M. D... mentionne : « De 1981 à 1987, je travaillais au département 59 à [...] avec M. N... C.... Dans la même époque j'exerçais un mandat de délégué du personnel. Je suis intervenu auprès de ses supérieurs hiérarchiques pour évoquer son évolution de carrière. En 1983, plus particulièrement, M. C... pouvait prétendre évoluer à la qualification P 3 au coefficient 215, compte tenu qu'il s'était engagé à se former en cours du soir. Malgré ses attestations qui correspondaient à la qualification demandée, sa hiérarchie a toujours refusé son évolution de carrière » ; Toutefois, ces attestations ont été rédigées le 20 avril 2011, soit près de 7 ans après le départ anticipé du salarié en pré-retraite, et plusieurs décennies après la période durant laquelle M. C... soutient avoir subi une stagnation de sa carrière en raison d'une discrimination fondée sur ses activités syndicales ; Ces attestations imprécises ne permettent pas de déterminer à quel moment M. D... serait intervenu auprès des supérieurs hiérarchiques aux fins d'évoquer l'évolution de carrière de M. C..., ni la teneur de leurs échanges ; En toute hypothèse, ces attestations ne démontrent pas que la stagnation de carrière du salarié résulterait de ses activités syndicales ; Par ailleurs, si le coefficient de M. C... stagnait à 195 sur la période comprise entre le 1er octobre 1979 et le 1er mars 2001, rien ne laisse présumer que cette absence d'évolution de carrière résulterait d'une quelconque discrimination du fait de ses activités syndicales ; Si le salarié produit un courrier qu'il adressait à M. D... dans lequel il y mentionne « dans les années 80 et 90 il rencontrait des entraves et une intégration difficile à cause de ses opinions et de son appartenance syndicale », celui ne permet pas de démontrer la réalité d'une quelconque discrimination syndicale à son égard, d'autant plus que le courrier est rédigé par le salarié lui-même ; De plus, ce courrier non daté mentionne à la fin de celui-ci « J'ai signalé par cette lettre du 29 octobre 2004 adressée au délégué du personnel en accusé de réception (
) » ; Ainsi, la pièce en question apparaît comme étant un courrier reconstitué, rédigé postérieurement au départ de M. C... de l'entreprise ; Au surplus, si le salarié mentionne qu'il avait adressé ce courrier au délégué du personnel en lettre recommandée avec accusé de réception, il n'apporte pas la preuve de la réalité de cet envoi par la production du dit accusé de réception ; Concernant ses activités syndicales M. C... reconnaît lui-même qu'il ne disposait d'aucun mandat syndical ; Si le salarié mentionne qu'il était syndiqué, il ne fournit aucun élément permettant d'établir son adhésion à un syndicat, comme le rappelle la société, qui soutient n'avoir jamais vu M. C... distribuer des tracts syndicaux, ni participer à des réunions syndicales ; Cependant, le salarié explique la discrimination syndicale dont il faisait l'objet par sa participation en 1983 à plusieurs mouvements de grève à propos des conditions de travail des salariés ; La société ne conteste pas la participation de M. C... à ces mouvements de grève déclenchés par un ou plusieurs syndicats dont M. C... était au moins sympathisant ; Ainsi, la participation de M. C... pendant la période de stagnation de sa carrière à des mouvements de grève, en lien avec ses activités syndicales, laissent présumer une discrimination syndicale à son encontre ; Cependant, il ressort d'une note interne de la société en date du 27 juin 1973 relative aux promotions, examens et essais de qualification des agents professionnels que « pendant les 7 premières années de séjour dans la catégorie inférieure, la présentation aux essais professionnels et la promotion dans la catégorie supérieure interviennent selon les postes disponibles et à l'initiative de la hiérarchie, à condition que le niveau correspondant existe dans le répertoire des classifications. Après cette période de 7 ans, les intéressés peuvent demander par l'intermédiaire de leur hiérarchie, à subir l'essai professionnel de la catégorie supérieure dans leur filière professionnelle, à condition que le niveau correspondant existe ans le répertoire des classifications » ; Or, comme le soutient la société, le salarié ne démontre pas avoir sollicité son employeur aux fins d'effectuer le dit essai professionnel ; Il en découle donc que l'absence de passage de cet essai professionnel explique que M. C... n'était pas en mesure d'intégrer la catégorie professionnelle supérieure ; Son absence d'avancement repose donc uniquement sur cette absence d'essai professionnel ; Qu'en toute hypothèse, il apparaît que la société justifie la stagnation de carrière de M. C... entre 1979 et 2001, laquelle résulte d'un élément objectif, à savoir l'absence de passage d'un essai professionnel, nécessaire au passage dans la catégorie professionnelle supérieure, de sorte que la discrimination syndicale n'est pas établie, comme le conseil l'a jugé ; Sur la discrimination raciale : M. C... soutient à titre subsidiaire que sa stagnation de carrière résulterait d'une discrimination raciale au regard de ses origines marocaines ; La société répond que l'origine marocaine du salarié n'a jamais été prise en compte dans le cadre de son absence d'avancement, qu'il a notamment pu bénéficier de cours de mathématiques et de français au sein de la société, afin de favoriser son intégration par le biais de l'alphabétisation ; Elle précise également que M. C... n'apporte aucun élément permettant de caractériser une quelconque discrimination raciale à son encontre ; Or, pour justifier l'existence d'une discrimination syndicale à son encontre, le salarié produit une attestation de M. D..., délégué du personnel précisant « avoir à plusieurs reprises tenté de défendre M. N... C... en ma qualité de délégué du personnel dans les années 1981 jusqu'en 1987. Malgré tous les efforts de formations suivies par M. C..., G... n'a jamais fait évoluer ce salarié. Trop souvent ses origines ainsi que sa couleur lui ont été reprochés. Un tel acharnement ne peut être toléré » ; Toutefois, cette attestation vague et non circonstanciée de M. D... ne permet pas de déterminer l'existence d'une discrimination raciale à l'encontre de M. C... ; En effet, les termes de cette attestation ne permettent pas de déterminer à quel moment, à quelle occasion et par quelle personne les origines marocaines du salarié ont été évoquées pour refuser de le faire évoluer ; De même, aucun élément de cette attestation ne précise de quelle manière les origines du salarié auraient été prises en compte par la société ; M. C... produit également un courrier de la CGT adressé à l'inspection du travail en date du 29 septembre 2003, où il est dit : « Je tiens à vous faire part de l'existence d'actes et de comportements constitutifs d'une discrimination raciale perpétrés par la direction de [...] à l'encontre de plusieurs salariés et sollicite votre intervention aux fins d'obtenir les données nécessaires à rapporter la preuve de cette discrimination. (...) En l'espèce, plusieurs salariés de [...] ont souffert de discrimination raciale dans le cadre du déroulement de leur carrière » ; Or, si ce courrier adressé par la CGT à l'inspection du travail relate l'existence de mesures discriminatoires à l'encontre de salariés de la société [...] à raison de leurs origines, à aucun moment il n'est précisé quels salariés en seraient victimes, ni la nature exacte de ces mesures discriminatoires ; Ce courrier ne mentionne pas directement M. C... ; Par ailleurs, M. C... produit un courrier en date du 29 avril 2004 qu'il adressait à M. D... dans lequel il déclare « Dans mon travail j'ai subi un racisme exagéré. Un jour de paye je suis allé réclamer ma fiche de paie, le chef a osé me dire devant mes collègues français "pas de paie pour les arabes". Je suis allé voir un délégué CGT qui m'a accompagné pour demander au chef qu'il cesse de m'insulter et m'humilier » ; Or, ce courrier mentionnant des propos racistes à l'encontre de M. C... était rédigé par le salarié lui-même et n'est corroboré par aucun élément extérieur ou attestation de collègue permettant de déterminer la réalité de tels propos tenus à son encontre ; En effet, il ne nomme pas la personne qui aurait tenu ces propos, et ne précise pas à quel moment ces paroles auraient été proférées ; Ainsi, ce courrier n'est pas suffisamment probant pour laisser présumer une quelconque discrimination raciale à l'encontre du salarié ; Enfin, M. C... produit un article de presse paru dans le journal « Le canard enchaîné » faisant état de discriminations raciales au sein de la société [...] selon ces termes : « Suivre une formation pour monter en grade devient une performance. I..., entré il y a 14 ans chez [...] avec un BEPC et un CAP de tourneur est toujours agent de fabrication. Au début de l'année, il parvient à suivre un stage assez ardu sur une machine à conception assistée par ordinateur. Il demande une affectation correspondant à sa nouvelle qualification. Refus. I... retourne visser les boulons sur la chaîne » ; Cet article de presse paru en 1989 fait état au sein de la société de l'existence de discriminations liées aux origines des salariés, mais dans un cas où d'une part le salarié était d'origine sénégalaise et non marocaine, comme M. C..., et d'autre part dans un cas où le salarié avait demandé une affectation, ce qui n'est pas le cas de M. C... qui n'établit pas avoir demandé une nouvelle affectation ; Ainsi, cette pièce n'apporte aucun élément démontrant une éventuelle discrimination raciale à l'encontre de M. C... ; Au vu de l'ensemble de ces éléments il apparaît que M. C... n'établit pas de faits laissant présumer l'existence d'une discrimination de carrière fondée sur ses origines marocaines (arrêt attaqué pp. 4-6).

AUX MOTIFS adoptés QUE Monsieur C... rapporte la preuve des formations suivies et d'une faible progression de carrière particulièrement de 1980 à 2001 ; S'agissant de la discrimination syndicale, Monsieur C... reconnaît qu'il n'a jamais été titulaire d'aucun mandat ni d'aucune désignation ; II ne rapporte pas la preuve que la société [...] était au courant de son appartenance syndicale ; Dans ces conditions, il ne pourra qu'être débouté de ses prétentions relatives à la discrimination syndicale ; En revanche, les éléments présentés par Monsieur C... sont suffisants pour laisser supposer qu'il a pu être victime de discrimination raciale sans qu'il soit nécessaire de faire droit à sa demande de communication d'éléments de comparaison ; En défense, la société [...] justifie qu'elle a bien tenu compte de l'obtention de son diplôme d'ajusteur puisqu'il a alors bénéficié d'une promotion en 1975 contrairement à ce que soutient le demandeur ; Elle relève qu'il avait atteint le coefficient maximal de sa catégorie professionnelle et qu'elle ne pratiquait pas les évolutions professionnelles à l'ancienneté ; Surtout, elle justifie (pièce 19) que le passage à l'échelon supérieur était subordonné à la réussite d'un essai professionnel ; Monsieur C... ne justifie pas d'avoir passé ces essais professionnels ; En conséquence, sa carrière stagnante s'explique par la raison objective qu'il n'a pas passé l'essai professionnel nécessaire au passage à l'échelon supérieur ; Dans ces conditions, il y a lieu de débouter M. C... de ses prétentions relatives à la discrimination raciale dont il aurait été victime (jugement de première instance, pp. 4-5).

1° ALORS tout d'abord QUE lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance du principe de non-discrimination, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte et, au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que le salarié apportait des éléments de nature à établir la réalité d'une discrimination syndicale compte tenu de la stagnation de sa carrière concomitante à sa participation à plusieurs mouvements de grève en lien avec ses activités syndicales mais que le salarié ne démontrait pas avoir sollicité son employeur aux fins d'effectuer l'essai professionnel qui, selon l'employeur, était nécessaire pour accéder à la catégorie supérieure ; qu'en statuant ainsi, quand il incombait à l'employeur de démontrer que cette stagnation professionnelle était justifiée par un élément objectif étranger à toute discrimination, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve en violation des articles L1132-1 , L1134-1 et L2141-5 du code du travail.

2° ALORS encore QUE le juge, lorsqu'il constate que les éléments de fait présentés par le salarié laissent supposer l'existence d'une discrimination syndicale, doit vérifier que l'employeur justifie ses décisions par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; que l'initiative de l'avancement du salarié appartient à l'employeur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a constaté que le salarié avait subi une stagnation professionnelle entre 1979 et 2001 concomitante à sa participation à des mouvements de grève en lien avec ses activités syndicales et qu'il n'avait pas eu d'entretien professionnel pendant plus de 30 ans, a néanmoins débouté le salarié de ses demandes au titre de la discrimination syndicale pour la raison qu'il ne justifiait pas avoir sollicité son employeur aux fins d'effectuer l'essai professionnel pour passer à la catégorie professionnelle supérieure ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l'existence d'éléments objectif étrangers à toute discrimination de l'employeur, la cour d'appel a violé les articles L1132-1 , L1134-1 et L2141-5 du code du travail.

3° ALORS enfin QUE le salarié qui s'estime victime de discrimination raciale doit présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une telle discrimination ; qu'en l'espèce, l'arrêt attaqué retient que le salarié n'établit pas de fait laissant présumer l'existence d'une discrimination fondée sur ses origines marocaines ; qu'en statuant ainsi, quand le salarié démontrait une stagnation totale de classification entre 1979 et 2001 et l'absence d'entretien individuel pendant 30 ans laissant présumer, outre l'existence d'une discrimination en raison de ses activités syndicales, également une discrimination fondée sur son origine ethnique, la cour d'appel a violé les articles L1132-1 et L1134-1 du code du travail.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré prescrites et d'AVOIR débouté le salarié de ses demandes au titre de l'inégalité de traitement.

AUX MOTIFS QUE il résulte de l'article L3245-1 du code du travail, tant dans sa version en vigueur au moment de la saisine, que dans celle antérieure à la loi du 17 juin 2008, que l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par cinq ans ; La saisine du conseil des prud'hommes remontant au 16 mars 2011, les faits sont prescrits depuis le 16 mars 2006 ; Certes le point de départ de la prescription se situe au moment où le salarié dispose de tous les éléments l'amenant à croire qu'il est victime d'une inégalité de traitement ; Toutefois, l'intéressé ne prouve pas la révélation de faits au cours des cinq ans qui ont précédé la saisine du conseil qui lui auraient permis de considérer qu'il avait fait l'objet d'une inégalité de traitement antérieurement à son départ de l'entreprise en décembre 2004 ; Il disposait des éléments qui ont fondé son action, dès son départ en préretraite ; En conséquence, les demandes formulées par M. C... concernant l'inégalité de traitement sont prescrites (arrêt attaqué p. 3).

Et AUX MOTIFS QUE M. C... sollicite une expertise en vue de réunir les éléments permettant de démontrer l'existence d'une discrimination à son égard, ou du moins une différence de traitement ; Il soutient qu'il n'a connu aucune évolution de carrière ni de rémunération malgré l'obtention de diplômes ; La société répond que le salarié a connu une évolution normale au regard de sa qualification, que par ailleurs il a bénéficié de revalorisations salariales ; Elle mentionne aussi que M. C... avait atteint l'échelon le plus élevé de sa catégorie, l'empêchant de ce fait d'obtenir une évolution au sein de sa catégorie et qu'il était nécessaire de passer un essai professionnel afin d'évoluer dans la catégorie supérieure ; Or, si aucune discrimination fondée sur les activités syndicales ou sur les origines de M. C... ne peut être constatée, il apparaît que celui-ci n'a connu aucune évolution de carrière entre 1979 et 2001, soit pendant près de 22 ans, et qu'en outre il n'a pas bénéficié d'évaluation annuelle pendant plus de 30 années, ce qui ne lui a pas permis d'informer officiellement sa hiérarchie de sa volonté d'évoluer vers d'autres fonctions ; Ces éléments laissent présumer une inégalité de traitement ; En effet, M. C... a connu une stagnation de sa carrière entre 1979 et 2001 en occupant le poste d'ajusteur catégorie P2, niveau 2, échelon 3, coefficient 195, il apparaît qu'il avait atteint l'échelon le plus élevé de la catégorie à laquelle il appartenait ; Il apparaît qu'à compter du 1er mai 1984, le salarié occupait le poste d'ajusteur outilleur, toujours au sein de la même catégorie, niveau et échelon, lui permettant cependant de bénéficier d'une augmentation salariale ; En effet, entre le 1er février 1984 et le 1er mai 1984, la rémunération mensuelle de M. C... passait de 5 991 francs à 6 266 francs, soit une augmentation de 275 francs, de sorte que malgré sa stagnation au coefficient 195, le salarié avait tout de même bénéficié d'augmentations salariales, ce que le salarié ne conteste pas ; Cela ressort du tableau retraçant l'ensemble de sa carrière au sein de la société ; Pour la période de mai 1987 à mai 1999, le salarié bénéficiait d'augmentations salariales régulières ; Par ailleurs, si le salarié prétend avoir obtenu un BTS2 en 1989, il ne démontre pas la réalité de l'obtention de ce diplôme d'une part, ni le lien entre l'obtention éventuelle de ce diplôme et les fonctions qu'il souhaitait occuper ; La société précise d'ailleurs ne jamais avoir été informée de l'obtention de ce diplôme et qu'en toute hypothèse, l'obtention de ce diplôme ne correspondait pas aux essais professionnels requis par la société aux fins d'évoluer vers une catégorie professionnelle supérieure ; Par la suite, M. C... a bénéficié d'un avancement de carrière à compter du 1er mars 2001 en occupant un poste d'employé service technique, catégorie supérieure, niveau 3, échelon 1, coefficient 220 ; Cet avancement de carrière fait suite à son entretien d'évaluation réalisé le 23 février 2001, soit une semaine avant son changement de poste et de catégorie, au cours duquel il mentionnait son souhait d'évoluer vers un poste intégrant des travaux de mécanique et de l'informatique bureautique ; La société prenait en compte pour la première fois la demande d'évolution de carrière exprimée de manière officielle pour la première fois par le salarié suite à cet entretien d'évaluation ; Cependant, il s'agissait de son premier entretien d'évaluation depuis 30 ans qu'il était salarié au sein de la société comme indiqué plus haut ; M. C... soutient également que certains de ses collègues, qui étaient engagés au même moment que lui avec une formation comparable, avaient bénéficié d'une évolution de carrière plus favorable à la sienne, qu'il n'avait jamais eu la possibilité d'intégrer la catégorie P3 ; La société réplique que si d'autres salariés ayant pris leurs fonctions au cours de la même période que M. C... ont connu une meilleure évolution de carrière, cela résulte de leur passage dans la catégorie d'agent technique professionnel P3 après avoir effectué avec succès un essai professionnel nécessaire à ce changement de catégorie ; Sur ce point elle produit la note interne du 27 juin 1973 relative aux promotions, examens et essais de qualification des agents professionnels, déjà mentionnée plus haut, laquelle impose le passage d'un essai professionnel pour accéder à la catégorie ouvrier P3 ; Le salarié estime avoir sollicité sa hiérarchie aux fins d'effectuer cet essai professionnel et produit une attestation de M. D... en ce sens ; Ce dernier atteste que « De 1981 à 1987 je travaillais au département 59 à [...] avec M. N... C.... Dans la même époque j'exerçais un mandat de délégué du personnel. Je suis intervenu auprès de ses supérieurs hiérarchiques pour évoquer son évolution de carrière. En 1983, plus particulièrement, M. C... pouvait prétendre évoluer à la qualification P3 au coefficient 215, compte tenu qu'il s'était engagé à se former en cours du soir. Malgré ses attestations qui correspondaient à la qualification demandée, sa hiérarchie a toujours refusé son évolution de carrière » ; Or, cette attestation imprécise ne permet pas d'établir la réalité d'une demande de M. C... auprès de sa hiérarchie aux fins de réaliser l'essai professionnel nécessaire au changement de catégorie professionnelle ; M. C... ne démontre donc pas avoir sollicité sa hiérarchie aux fins d'effectuer cet essai professionnel, et encore moins que l'employeur aurait refusé sa demande de manière abusive ; En outre, si le salarié soutient que certains de ses collègues, embauchés en même temps que lui et avec une qualification similaire, avaient bénéficié d'une évolution professionnelle plus rapide que la sienne, il ne démontre pas que ces collègues auraient bénéficié d'une promotion sans passer l'essai professionnel nécessaire au changement de catégorie professionnelle ; Dès lors, la société justifie la différence de traitement entre M. C... et les autres salariés auxquels il se compare par le fait que M, C... n'a pas sollicité sa hiérarchie aux fins d'effectuer l'essai professionnel, condition nécessaire au passage à la catégorie professionnelle supérieure ; La demande de Monsieur C... au titre de l'inégalité de traitement ne pouvait donc prospérer (arrêt attaqué pp. 7-8).

1° ALORS d'une part QUE le juge qui décide que la demande dont il est saisi est irrecevable excède ses pouvoirs en statuant au fond ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a dit irrecevables en tant que prescrites les demandes du salarié formées au titre de l'inégalité de traitement tout en les déclarant mal fondées sur le fond ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 122 du code de procédure civile.

2° ALORS d'autre part QUE le juge ne peut méconnaître les termes du litige, tels qu'ils sont fixés par les conclusions respectives des parties ; qu'en l'espèce, le salarié fondait l'ensemble de ses demandes sur la discrimination syndicale et raciale qu'il avait subie et n'invoquait aucunement dans ses écritures une violation du principe d'égalité de traitement (cf. conclusions du salarié) ; que la cour d'appel, en déclarant prescrites et infondées les demandes du salarié au titre du principe d'égalité de traitement quand le salarié ne les avaient pas formées, a dénaturé les conclusions du salarié et méconnu l'objet du litige en violation de l'article 4 du code de procédure civile.