Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 29 septembre 2021, 20-12.259, Inédit

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Résumé

Apport de la jurisprudence : Licenciement / Faute grave / Grève / Confidentialité

L’employeur est fondé à licencier un salarié pour faute grave, y compris dans un contexte de grève s’il s’agit de faits distincts. Les Juges sont à même de distinguer l’existence ou non de lien entre la grève et les motifs de licenciement. Enfin, les Juges peuvent choisir d’examiner certains motifs de la lettre de licenciement et en exclure d’autres considérés comme liés à la grève. De même, l’accord collectif de fin de conflit, ne trouvera pas à s’appliquer si les faits reprochés ne sont aucunement rattachés à la grève.

Cass soc. 29 septembre 2021, n°20-12.259

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

SG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 29 septembre 2021




Rejet


M. HUGLO, conseiller doyen faisant fonction de président



Arrêt n° 1107 F-D

Pourvoi n° P 20-12.259




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 29 SEPTEMBRE 2021

M. [P] [I], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° P 20-12.259 contre l'arrêt rendu le 4 décembre 2019 par la cour d'appel de Reims (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société Astra Zeneca Holding France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], venant aux droits de la société Astrazeneca Reims, défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Joly, conseiller référendaire, les observations de la SCP Didier et Pinet, avocat de M. [I], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Astra Zeneca Holding France, après débats en l'audience publique du 7 juillet 2021 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Joly, conseiller référendaire rapporteur, M. Rinuy, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 4 décembre 2019), M. [I] a été engagé par la société Zeneca Pharma, devenue Astrazeneca Reims (la société) en qualité de responsable de services techniques à compter du 7 décembre 1998.

2. Le 25 mai 2016, il a été licencié pour faute grave.

3. Le 22 juillet 2016, le salarié a saisi la juridiction prud'homale d'une demande tendant à déclarer le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

5. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de condamnation de la société pour licenciement abusif, et au paiement des indemnités subséquentes de préavis, de congés payés afférents, et de l'indemnité conventionnelle de licenciement, alors :

« 1°/ que lorsqu'un employeur licencie un salarié à la fois pour des faits commis à l'occasion d'une grève sans invoquer de faute lourde et pour des faits distincts, le caractère illicite du grief tiré des faits en lien avec la grève rend le licenciement abusif ; que les griefs distincts de ceux en lien avec la grève, dans la lettre de licenciement, n'ont pas à être examinés par le juge pour vérifier l'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement ; qu'après avoir constaté que l'employeur invoquait à l'encontre de M. [I] plusieurs motifs disciplinaires, dont certains étaient en lien avec une grève, et qu'un accord de fin de conflit empêchait l'employeur de sanctionner les faits qui s'étaient déroulés à cette occasion, la cour d'appel a retenu que les autres griefs reprochés au salarié, dont le manquement à son obligation contractuelle de confidentialité, caractérisaient une faute grave ; qu'en statuant ainsi, quand elle aurait dû déduire des motifs illicites qu'elle avait constatés que le licenciement était nécessairement mal fondé, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations et a violé les articles L2511-1 , L. 1235-1 et L1234-1 du code du travail ;

2°/ que le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs ; qu'en jugeant le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, sans répondre aux conclusions du salarié qui soutenaient que l'accord collectif de fin de conflit reprenait la législation visant à protéger les grévistes et non grévistes pour tout fait de grève, que cette protection s'appliquait non seulement à la participation au mouvement mais également aux licenciements prononcés en raison d'un fait commis au cours de la grève, que le caractère illicite d'un licenciement tiré de la participation à une grève entraînait à lui seul le caractère abusif du licenciement peu important que d'autres motifs indépendants de la grève puissent justifier le licenciement, et qu'il suffisait que certains faits reprochés au salarié concernent la période de protection pour qu'il puisse bénéficier de ladite protection, éléments qui s'avéraient décisifs pour apprécier le bien-fondé du licenciement, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. La cour d'appel qui a constaté que le salarié n'avait pas participé au mouvement de grève et qui n'a écarté les griefs visés dans la lettre de licenciement quant à la violation par le salarié de son obligation de confidentialité à propos des informations données aux salariés grévistes qu'en raison de la clause figurant dans l'accord de fin de conflit aux termes de laquelle « les parties s'engagent, les unes et les autres, à n'exercer aucune pression ou représailles d'aucune sorte, tant envers les salariés grévistes et non- grévistes, qu'envers la Direction, sur tous faits ou propos perpétrés pendant ce conflit, dans le respect de l'application de la loi », en a déduit à bon droit qu'il lui appartenait d'examiner les autres griefs visés à la lettre de licenciement quant à la violation par le salarié de son obligation de confidentialité, répondant par cela même aux conclusions prétendument délaissées.

7. Le moyen n'est donc fondé en aucune de ses branches.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. [I] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;




Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf septembre deux mille vingt et un, et signé par lui et M. Riuny, conseiller, en remplacement du conseiller référendaire rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Didier et Pinet, avocat aux Conseils, pour M. [I].

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté M. [I] de sa demande de remboursement de frais professionnels.

AUX MOTIFS QUE le salarié demande paiement du solde de frais professionnels non réglés en soutenant avoir reçu un paiement partiel de 501,24 euros ; que l'employeur prétend avoir remboursé l'intégralité des notes de frais qui lui ont été présentées par le salarié ; que c'est à raison que le conseil de prud'hommes a rejeté la demande en l'absence de justificatifs.

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE M. [I] produit à l'appui de ses prétentions un relevé de compte du Crédit Agricole laissant apparaître un solde débiteur de 672,62 €, sans autre explication ; que la société Astrazeneca s'appuie sur son courrier du 29 juin 2016 pour contester cette demande ; que le Conseil dit la demande de M. [I] insuffisamment probante pour lui en faire droit.

ALORS QUE le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les documents de la
cause ; que pour justifier sa demande de paiement d'un solde de remboursement de frais professionnels, M. [I] faisait valoir que le relevé de compte Crédit Agricole dédié au débit/crédit de ses frais professionnels en date du 6 juin 2016 laissait un solde débiteur à hauteur de 672, 62 euros, qu'il avait reçu le 7 juillet 2016 un remboursement partiel à hauteur de 501,24 euros et que la différence restait due (conclusions d'appel de l'exposant p.23 et 24) ; qu'il en justifiait par la production d'un courrier du 8 juin 2016, du relevé de compte Crédit Agricole, et du relevé de compte CITI (ses pièces d'appel n° 12 à 14 – production n°4) ; que ces éléments étaient dûment visés dans ses écritures et dans son bordereau de pièces communiquées ; qu'en affirmant que M. [I] ne produisait aucun justificatif à l'appui de sa demande, la cour d‘appel a dénaturé les conclusions d'appel du salarié en violation de l'article 4 du code de procédure civile et de l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer les documents de la cause.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR débouté M. [I] de sa demande de condamnation de la société Astrazeneca pour licenciement abusif, et au paiement des indemnités subséquentes de préavis, de congés
payés y afférents, et de l'indemnité conventionnelle de licenciement.

AUX MOTIFS QUE le licenciement étant fondé sur la faute grave, la charge
de la preuve est supportée intégralement par l'employeur ; si le salarié conteste au fond les griefs qui lui sont faits, il fait cependant valoir principalement que l'immunité résultant de l'accord signé à la fin de la grève
d'avril 2016 doit lui profiter ; que l'employeur soutient que l'accord de fin de
grève ne vise que les faits et propos tenus pendant la grève du 4 au 11 avril 2016, et que partie des griefs est antérieure au mouvement social ; qu'il ajoute que cet accord n'interdit pas de sanctionner des grévistes pour faute lourde et des non grévistes pour faute grave ; que l'accord de fin de grève passé entre la société Astrazeneca, les organisations syndicales et le comité d'entreprise contient une clause selon laquelle les parties "s'engagent, les unes et les autres, à n'exercer aucune pression ou représailles d'aucune sorte, tant envers les salariés grévistes et non grévistes, qu'envers la Direction, sur tous faits ou propos perpétrés pendant ce conflit, dans le respect de l'application de la loi" ; que certes, l'employeur ne s'est pas interdit expressément l'usage de son pouvoir disciplinaire à l'encontre des non grévistes, mais il s'est engagé à ne pas exercer de "représailles" et donc à ne pas sanctionner les faits qui se sont déroulés pendant la grève, y compris de la part des non grévistes, étant observé que le texte de l'accord ne fait pas la distinction entre faute lourde qui, en application de l'article L2511-1 du code du travail, peut être sanctionnée même quand elle émane de grévistes, et faute grave ou faute simple ; qu'aussi, en application de ce texte l'employeur ne peut reprocher au salarié non gréviste son comportement pendant la grève, soit les griefs suivants :
« - En tant que membre du comité de direction, vous déteniez des informations confidentielles et avez informé les grévistes afin que la société Astrazeneca se trouve en situation de faiblesse pendant les négociations, - Pendant ce même mouvement social, et bien que non gréviste, vous avezparlé avec le personnel présent devant la machine à café du dispositif de remplacement d'activité ou BCP alors même que vous n'ignoriez pas que ce sujet était confidentiel et décisif dans le cadre de la gestion du mouvement social, - En outre, vous n'avez pas hésité à solliciter le service RH de manière particulièrement véhémente afin que vos indemnités en cas de départ selon les modalités en cours de négociation soient évaluées, alors que le service RH et la direction étaient entièrement mobilisés vers la sortie de crise, ce qui n'était manifestement pas votre cas » ; que toutefois, l'application de l'accord laisse subsister les autres griefs dont le manquement à l'obligation de confidentialité ; que le salarié soutient néanmoins que la clause de confidentialité est rédigée en anglais et a été traduite librement et non par un traducteur assermenté de sorte qu'elle ne peut être reçue comme preuve ; qu'il argue également de son inopposabilité faute de notification individuelle ; que l'employeur soutient que l'obligation de rédiger en français les documents comportant des obligations pour les salariés ne vaut pas si les documents litigieux sont reçus de l'étranger ou sont destinés à des étrangers ; que le salarié a conservé comme prévu une copie de la clause dont il ne conteste ni l'existence ni le contenu ; que par ailleurs l'obligation de confidentialité a été rappelé dans d'autres échanges ; qu'en application des dispositions de l'article L1321-6 du code du travail, les documents comportant des obligations pour les salariés ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire à l'exécution du travail, doivent être rédigés en français, sauf si ces documents sont reçus de l'étranger ou sont destinés à un étranger ; que la clause de confidentialité litigieuse est rédigée en anglais ; qu'or, M. [I] n'est pas étranger ; que par ailleurs, aucune pièce du dossier de l'employeur ne permet d'affirmer que ce contrat de confidentialité a été reçu de l'étranger ; que l'employeur prétend que cette clause de confidentialité émane de M. [F] [S], directeur de projet pour la région EMEA, basé en Suède et reportant à Monsieur [M] [V] en qualité de RVP supply EMEA ; qu'or, le document contenant la clause de confidentialité a été adressé au salarié par un certain [M] [V], sans que rien ne précise l'adresse professionnelle de l'expéditeur ; que par conséquent, cette clause est inopposable au salarié ; que pour autant, son inopposabilité ne fait pas disparaître le grief de non respect de la confidentialité dans la mesure où celui-ci est également basé sur le contrat de travail ; qu'en effet, le contrat contenait une clause par laquelle le salarié s'est engagé à garder les secrets de l'entreprise, à ne divulguer aucune connaissance confidentielle acquise à l'occasion de son travail, au détriment ou au préjudice de l'employeur ; qu'or, plusieurs salariés, dont l'assistante de M. [I] viennent attester en les formes de l'article 202 du code de procédure civile, qu'il a laissé cette dernière accéder à des informations qu'il savait devoir rester confidentielles et a tenté de l'instrumentaliser pour aboutir à une divulgation de l'information et susciter un mouvement social de résistance au projet confidentiel. ; que ce faisant, il a manqué à l'obligation contractuelle à laquelle il s'était engagé en violant son obligation de confidentialité au préjudice de l'employeur ; que ce manquement est suffisamment grave en ce qu'il a empêché l'employeur de maîtriser la gestion de la crise sociale qui n'allait pas manquer de découler de la révélation du projet litigieux ; qu'il justifie par conséquent que l'employeur mette immédiatement fin au contrat de travail ; que le licenciement pour faute grave étant justifié, le jugement doit être infirmé et
le salarié débouté de ses demandes ; [?] que succombant principalement
sur ses demandes, le salarié doit supporter les frais irrépétibles et dépens
de première instance et d'appel ; que le jugement sera infirmé sur ces points ; que le salarié sera débouté de ses demandes et sera condamné à
payer à l'employeur la somme de 3.000,00 euros en remboursement de ses
frais irrépétibles de première instance et d'appel.

1°) ALORS QUE lorsqu'un employeur licencie un salarié à la fois pour des faits commis à l'occasion d'une grève sans invoquer de faute lourde et pour des faits distincts, le caractère illicite du grief tiré des faits en lien avec la grève rend le licenciement abusif ; que les griefs distincts de ceux en lien avec la grève, dans la lettre de licenciement, n'ont pas à être examinés par le juge pour vérifier l'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement ; qu'après avoir constaté que l'employeur invoquait à l'encontre de M. [I] plusieurs motifs disciplinaires, dont certains étaient en lien avec une grève, et qu'un accord de fin de conflit empêchait l'employeur de sanctionner les faits qui s'étaient déroulés à cette occasion, la cour d'appel a retenu que les autres griefs reprochés au salarié, dont le manquement à son obligation contractuelle de confidentialité, caractérisaient une faute grave ; qu'en statuant ainsi, quand elle aurait dû déduire des motifs illicites qu'elle avait constatés que le licenciement était nécessairement mal fondé, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations et a violé les articles L.2511-1, L.1235-1 et L.1234-1 du code du travail ;

2°) ALORS QUE, SUBSIDIAIREMENT, le défaut de réponse à conclusions
équivaut à un défaut de motifs ; qu'en jugeant le licenciement fondé sur une
cause réelle et sérieuse, sans répondre aux conclusions du salarié qui soutenaient que l'accord collectif de fin de conflit reprenait la législation visant à protéger les grévistes et non grévistes pour tout fait de grève, que
cette protection s'appliquait non seulement à la participation au mouvement
mais également aux licenciements prononcés en raison d'un fait commis au
cours de la grève, que le caractère illicite d'un licenciement tiré de la participation à une grève entraînait à lui seul le caractère abusif du licenciement peu important que d'autres motifs indépendants de la grève puissent justifier le licenciement, et qu'il suffisait que certains faits reprochés
au salarié concernent la période de protection pour qu'il puisse bénéficier
de ladite protection (conclusions d'appel p.10 et 11), éléments qui s'avéraient décisifs pour apprécier le bien-fondé du licenciement, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.