Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 20 octobre 2021, 20-11.485, Inédit

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Résumé

Apport de la jurisprudence : Pouvoir / Entretien préalable / Procédure / Licenciement / Délégation / Notification

La Cour de cassation confirme l’impossibilité pour l’employeur de déléguer la procédure de licenciement à une personne étrangère à l’entreprise. En l’espèce, bien qu’il s’agisse d’une filiale appartenant au groupe de l’entreprise procédant au licenciement, aucune délégation n’est possible dans la mesure où cette filiale n’avait pas pour activité régulière, la gestion des ressources humaines de l’entreprise.

Cass.soc. 20 octobre 2021 n°20-11.485

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

LG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 20 octobre 2021




Rejet


Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 1159 F-D

Pourvoi n° X 20-11.485






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 20 OCTOBRE 2021

La société Etablissements Bodin Joyeux, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° X 20-11.485 contre l'arrêt rendu le 29 novembre 2019 par la cour d'appel de Bourges (chambre sociale), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [G] [C], domicilié [Adresse 1],

2°/ à Pôle emploi, dont le siège est [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Pecqueur, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Etablissements Bodin Joyeux, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [C], et l'avis de Mme Roques, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 7 septembre 2021 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Pecqueur, conseiller référendaire rapporteur, Mme Le Lay, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bourges, 29 novembre 2019), M. [C], engagé le 1er octobre 2014 par la société Etablissements Bodin Joyeux, filiale de la société Chanel international BV, en qualité de directeur général, a été licencié le 9 juin 2017 par Mme [E], directrice des ressources humaines de la société Manufactures de mode, autre filiale du groupe, mandatée à cette fin par l'employeur.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

2. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse, de le condamner à payer au salarié diverses sommes à ce titre et de lui ordonner le remboursement aux organismes sociaux concernés des indemnités de chômage éventuellement versées au salarié, dans la limite de six mois, alors :

« 1°/ que si la finalité même de l'entretien préalable et les règles relatives à la notification du licenciement interdisent à l'employeur de donner mandat à une personne étrangère à l'entreprise pour conduire la procédure de licenciement jusqu'à son terme, il en va différemment pour une personne qui, sans être membre du personnel de la société employeur, est salariée d'une autre société du groupe, sans qu'une telle faculté de donner mandat soit réservée aux salariés de la seule société mère ; que dès lors qu'il n'est pas contesté qu'un mandat a été donné à une salariée ayant qualité de directrice des ressources humaines d'une filiale du groupe auquel appartient la société employeur, la lettre de licenciement signée par cette salariée a vocation à produire effet ; qu'en jugeant au contraire que le mandat n'avait pas été valablement délivré au motif que la salariée mandataire n'était pas salariée de la société mère du groupe, la cour d'appel a violé l'article L1232-6 du code du travail ;

2°/ que les sociétés du groupe ont la faculté de donner mandat au responsable des ressources humaines de l'une des sociétés du groupe aux fins de prendre des décisions particulières comme le licenciement d'un cadre dirigeant d'une filiale du groupe, nonobstant le fait que cette filiale avait embauché un directeur administratif, financier et des ressources humaines dont les attributions pouvaient être ainsi limitées ; qu'en jugeant que le mandat n'avait pas été valablement délivré à la responsable des ressources humaines d'une autre filiale du même groupe au motif que la société employeur venait d'embaucher un ''directeur administratif, financier et des ressources humaines'', la cour d'appel s'est prononcée par un motif inopérant et a violé l'article L1232-6 du code du travail ;

3°/ que les sociétés du groupe ayant la faculté de donner mandat au responsable des ressources humaines de l'une d'entre elles, aux fins de prendre des décisions particulières comme le licenciement d'un cadre dirigeant d'une filiale du groupe, il en résulte que seule importe l'existence non contestée du mandat, non les énonciations du contrat de travail de ce responsable ; qu'en jugeant que le mandat n'avait pas été valablement délivré à la responsable des ressources humaines d'une autre filiale du même groupe au motif ''que le contrat de travail de Mme [E], dont il est constant qu'elle est directrice des ressources humaines de la société Manufactures de mode depuis avril 2017, n'est pas versé aux débats'', la cour d'appel s'est fondée sur un motif inopérant et a violé l'article L1232-6 du code du travail ;

4°/ qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher, comme l'y invitaient les conclusions de l'exposante, si l'organisation du groupe ne commandait pas que le pouvoir de licencier le directeur général d'une filiale soit délégué à la société du groupe qui était spécialement chargée d'accompagner les missions des filiales et des sites de fabrication, de telle sorte que le licenciement signé par Mme [E] était régulier, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L1232-6 du code du travail. »

Réponse de la Cour

3. La finalité même de l'entretien préalable et les règles relatives à la notification du licenciement interdisent à l'employeur de donner mandat à une personne étrangère à l'entreprise pour procéder à cet entretien et notifier le licenciement.

4. Ayant relevé qu'il n'était pas démontré que la gestion des ressources humaines de la société Bodin Joyeux relevait des fonctions de la directrice des ressources humaines de la société Manufactures de mode, ni que cette dernière exerçait un pouvoir sur la direction de la société Bodin Joyeux, la cour d'appel en a exactement déduit, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que la lettre de licenciement avait été signée par une personne étrangère à l'entreprise qui ne pouvait recevoir délégation de pouvoir pour procéder au licenciement.

5. Le moyen n'est donc n'est pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Etablissements Bodin Joyeux aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Etablissements Bodin Joyeux et la condamne à payer à M. [C] la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt octobre deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Etablissements Bodin Joyeux


Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit sans cause réelle et sérieuse le licenciement de Monsieur [C], d'AVOIR condamné la société Etablissements Bodin-Joyeux à lui payer la somme de 100.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens de première instance et d'appel, et d'AVOIR ordonné le remboursement par la société Etablissements Bodin-Joyeux aux organismes sociaux concernés des indemnités de chômage éventuellement versées à M. [C], dans la limite de six mois ;

AUX MOTIFS QUE « Sur le licenciement : En la forme : que le licenciement doit être notifié au salarié par l'employeur et il est admis que si celui-ci peut déléguer son pouvoir pour ce faire, il lui est cependant interdit de donner un tel mandat à une personne étrangère à l'entreprise étant toutefois précisé que le directeur du personnel, engagé par la société mère pour exercer ses fonctions au sein de la société et de ses filiales en France, n'est pas une personne étrangère à ces filiales et peut donc recevoir mandat pour procéder à l'entretien préalable et au licenciement d'un salarié employé par ces filiales ; que l'appelant soutient que la signataire de sa lettre de licenciement, en l'occurrence Mme [E], ne disposait pas du pouvoir pour la signer en ce qu'elle était directrice des ressources humaines de la société Manufactures de Mode dont la société Bodin-Joyeux n'est pas la filiale ; que la société Bodin-Joyeux verse aux débats un pouvoir donné par son président, M. [R] [Q], à Mme [E] pour conduire spécialement la procédure de licenciement de M. [C] et prétend, en outre, qu'il relevait des fonctions contractuelles de celle-ci d'assurer la gestion des ressources humaines de la société Bodin-Joyeux ; que cependant, d'une part, le contrat de travail de Mme [E], dont il est constant qu'elle est directrice des ressources humaines de la société Manufactures de Mode depuis avril 2017, n'est pas versé aux débats ce qui ne permet aucun contrôle des assertions de l'appelant lesquelles sont contredites par le contrat de travail, produit par l'appelant, qui démontre que contrairement à ce qu'elle soutient, la société Bodin-Joyeux avait embauché un directeur administratif, financier et des ressources humaines, en la personne de M. [N], à compter du 29 février 2016 ; que d'autre part, la société Bodin-Joyeux ne démontre pas non plus qu'elle se trouvait être la filiale de la société Manufactures de Mode pour légitimer l'intervention de Mme [E] dans la procédure de licenciement de son salarié ; que dès lors, Mme [E] qui n'appartient pas à la société employeur ne pouvait régulièrement procéder au licenciement de M. [C] quand bien même un mandat lui aurait été confié à cette fin, celui-ci n'étant pas valablement délivré à un salarié étranger à l'entreprise ; qu'il s'en évince, contrairement à ce qu'a retenu à tort le Conseil de prud'hommes, que l'absence de pouvoir du signataire de la lettre de licenciement prive celui-ci de cause réelle et sérieuse et permet à M. [C] de solliciter une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant de ce licenciement ; Au fond : qu'il est inutile de débattre des conditions de fond du licenciement reposant sur une inaptitude professionnelle dès lors qu'il est acquis qu'à raison de l'irrégularité formelle le licenciement est sans cause réelle et sérieuse. Sur l'indemnisation des préjudices : que, par application des dispositions combinées des articles L. 1253-3 et L1235-5 du code du travail, dans leur version applicable en l'espèce, si le licenciement d'un salarié, ayant plus de 2 ans d'ancienneté dans une entreprise employant au moins 11 salariés, survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge octroie au salarié, à défaut de réintégration, une indemnité à la charge de l'employeur qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois ; que M. [C] avait 51 ans lors de son licenciement survenu après 2 ans et 8 mois d'ancienneté dans la société Bodin-Joyeux laquelle emploie au moins 11 salariés, il peut ainsi prétendre à minima à une indemnité correspondant à 6 mois de salaires bruts, pour le surplus il doit justifier d'un préjudice particulier ; que M. [C] démontre qu'alors qu'il percevait en activité un revenu brut moyen mensuel de 16.008,14 €, il n'a eu droit postérieurement à son licenciement qu'à une indemnité de retour à l'emploi, d'environ 6.200 € par mois, dont le versement était limité aux deux années suivant son licenciement ; qu'il prétend subir un important préjudice du fait des difficultés à retrouver un emploi compte tenu de son âge, de sa qualification professionnelle et de l'obligation de demeurer à [Localité 1] où il a acheté une maison et où sa compagne est tenue professionnellement de demeurer pendant 5 ans, que toutefois il ne verse aucun élément pouvant attester de recherches d'emploi infructueuses, pas plus qu'il ne justifie postérieurement au 24 janvier 2018 de sa situation professionnelle et financière ; que compte tenu de ces éléments, la Cour réparera l'entier préjudice de M. [C] par l'allocation d'une indemnité de licenciement sans cause réelle ni sérieuse d'un montant de 100.000 € ; que s'agissant de la demande d'indemnité complémentaire à hauteur de 64.032,54 €, formulée en réparation du préjudice résultant du caractère abusif et/ou vexatoire du licenciement, M. [C] ne verse aucune pièce aux débats pour justifier de l'atteinte psychologique alléguée, de la réputation qu'il prétendait avoir dans le secteur du luxe et qui aurait été entachée du fait du licenciement intervenu ou encore des difficultés à retrouver un emploi au demeurant déjà appréciées pour la fixation de l'indemnité de licenciement ; que dans le corps de ses conclusions l'appelant évoquait une somme de 10.000 € en réparation d'un autre préjudice distinct mais que force est de constater que cette demande n'est pas formulée dans le dispositif de ses dernières conclusions qui seules saisissent la Cour ; qu'il n'y a donc pas lieu à statuer sur point ; que l'appelant évoquait aussi une demande d'exécution provisoire non reprise dans son dispositif et au surplus sans objet dès lors que l'arrêt d'appel, sauf exceptions, a dès son prononcé, force de chose jugée sans que la Cour n'ait à le prévoir ; qu'en conséquence de ces motifs la Cour infirmera la décision déférée en toutes ses dispositions ; que par application des dispositions de l'article L1235-4 du code du travail, il sera ordonné d'office le remboursement par l'employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage éventuellement versées à M. [C] dans la limite de six mois d'indemnités ; que la société Bodin-Joyeux, qui succombe en ses prétentions, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et devra en outre payer à M. [C] la somme de 2.000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile » ;

1. ALORS QUE si la finalité même de l'entretien préalable et les règles relatives à la notification du licenciement interdisent à l'employeur de donner mandat à une personne étrangère à l'entreprise pour conduire la procédure de licenciement jusqu'à son terme, il en va différemment pour une personne qui, sans être membre du personnel de la société employeur, est salariée d'une autre société du groupe, sans qu'une telle faculté de donner mandat soit réservée aux salariés de la seule société mère ; que dès lors qu'il n'est pas contesté qu'un mandat a été donné à une salariée ayant qualité de directrice des ressources humaines d'une filiale du groupe auquel appartient la société employeur, la lettre de licenciement signée par cette salariée a vocation à produire effet ; qu'en jugeant au contraire que le mandat n'avait pas été valablement délivré au motif que la salariée mandataire n'était pas salariée de la société mère du groupe, la cour d'appel a violé l'article L1232-6 du code du travail ;

2. ALORS, AU SURPLUS, QUE les sociétés du groupe ont la faculté de donner mandat au responsable des ressources humaines de l'une des sociétés du groupe aux fins de prendre des décisions particulières comme le licenciement d'un cadre dirigeant d'une filiale du groupe, nonobstant le fait que cette filiale avait embauché un directeur administratif, financier et des ressources humaines dont les attributions pouvaient être ainsi limitées ; qu'en jugeant que le mandat n'avait pas été valablement délivré à la responsable des ressources humaines d'une autre filiale du même groupe au motif que la société employeur venait d'embaucher un « directeur administratif, financier et des ressources humaines », la cour d'appel s'est prononcée par un motif inopérant et a violé l'article L1232-6 du code du travail ;

3. ALORS QUE les sociétés du groupe ayant la faculté de donner mandat au responsable des ressources humaines de l'une d'entre elles, aux fins de prendre des décisions particulières comme le licenciement d'un cadre dirigeant d'une filiale du groupe, il en résulte que seule importe l'existence non contestée du mandat, non les énonciations du contrat de travail de ce responsable ; qu'en jugeant que le mandat n'avait pas été valablement délivré à la responsable des ressources humaines d'une autre filiale du même groupe au motif « que le contrat de travail de Mme [E], dont il est constant qu'elle est directrice des ressources humaines de la société Manufactures de Mode depuis avril 2017, n'est pas versé aux débats », la cour d'appel s'est fondée sur un motif inopérant et a violé l'article L1232-6 du code du travail ;

4. ALORS ENFIN QU'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher, comme l'y invitaient les conclusions de l'exposante, si l'organisation du groupe ne commandait pas que le pouvoir de licencier le directeur général d'une filiale soit délégué à la société du groupe qui était spécialement chargée d'accompagner les missions des filiales et des sites de fabrication, de telle sorte que le licenciement signé par Mme [E] était régulier, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L1232-6 du code du travail.