Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 3 juillet 2019, 17-27.453, Inédit

Ref:UAAAKAEA

Résumé

Apport de la jurisprudence : Rupture conventionnelle

Un salarié signe une rupture conventionnelle avec la société, cette dernière est mise en liquidation judiciaire. Le salarié saisit la juridiction prud'homale. La Cour d’appel considère que nonobstant l’absence de la signature de l’employeur sur l’exemplaire de la rupture conventionnelle remis au salarié, celui-ci avait toujours la possibilité d’exercer son droit de rétractation dans le délai de 15 jours à compter de sa propre signature. La Cour de cassation casse l’arrêt en rappelant le principe selon lequel l’exemplaire doit être signé par les deux parties.

Cass. Soc 3 juillet 2019 n°17-27.453

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique :

Vu les articles L1237-11 , L1237-13 et L1237-14 du code du travail ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. I... a été engagé par la société Akzio le 3 octobre 2011 et exerçait en dernier lieu les fonctions de commercial senior ; que les parties ont signé une convention de rupture du contrat de travail le 5 juin 2013 ; que la société Akzio a été placée en liquidation judiciaire le 15 juillet 2013, M. W... étant désigné en qualité de mandataire liquidateur ; que le salarié a saisi la juridiction prud'homale ;

Attendu que pour dire valable la rupture conventionnelle, l'arrêt retient que nonobstant l'absence de la signature de l'employeur sur l'exemplaire de la rupture conventionnelle remis au salarié, celui-ci avait toujours la possibilité d'exercer son droit de rétractation, dans un délai de quinze jours imparti, à compter de sa propre signature de ce document qui rappelle expressément l'existence de cette faculté ;

Qu'en statuant ainsi, alors que seule la remise au salarié d'un exemplaire de la convention signé des deux parties lui permet de demander l'homologation de la convention et d'exercer son droit de rétractation en toute connaissance de cause, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 4 janvier 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Metz ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Colmar ;

Condamne M. W..., ès qualités, aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. W..., ès qualités, à payer à la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel la somme de 1 500 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trois juillet deux mille dix-neuf. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour M. I...

Il est tout d'abord fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté M. I... de ses demandes ;

AUX MOTIFS QUE : « Attendu que l'article L1237-11 du code du travail permet à l'employeur et au salarié de convenir en commun de la rupture du contrat de travail et précise que cette rupture conventionnelle ne peut être imposée à l'une ou l'autre des parties, devant en effet résulter d'une convention signée par ces dernières qui est destinée à garantir leur liberté de consentement ;
Qu'en l'espèce, M. B... I... soutient que la convention de rupture conventionnelle qui a été signée le 5 juin 2013 est nulle, dans la mesure où son consentement aurait été vicié par le fait qu'il aurait été victime d'un harcèlement moral, commis par son employeur, dans le dessein d'extorquer son accord ;
Attendu que conformément à l'article 1109 du code civil, le harcèlement moral du salarié qui caractérise une situation de violence a pour effet de vicier son consentement à une rupture conventionnelle établie avec son employeur, encourant ainsi sa nullité ;
Qu'aux termes de l'article L1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ;
Qu'il résulte également de l'article L1154-1 du code du travail qu'en cas de litige relatif à l'application de l'article précité, le salarié doit établir des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et, au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;
Attendu que M. B... I... soutient qu'il a été victime des agissements répétés de son employeur qui sont constitutifs selon lui d'un harcèlement moral, lesquels seraient constitués par « des appels de la direction très tard le soir jusqu'à minuit », ayant à cet effet reçu au préalable « pour consigne de garder son téléphone ouvert le soir jusqu'à tard dans la soirée, ainsi que les week-ends » ;
Que le salarié fait valoir également qu'« il subissait une importante pression de la direction entraînant un burn-out, résultant du stress important subi quotidiennement » et qu'il a été de ce fait placé en arrêt de travail, du 14 mars 2013 au 5 juin 2013, soit pendant près de trois mois juste avant la signature de la convention litigieuse ;
Attendu que M. B... I... ne verse cependant aux débats aucun témoignage qui serait de nature à établir qu'il aurait subi sur son lieu de travail, ou encore à son domicile, des pressions du directeur de la société Akzio qui auraient été destinées à le convaincre d'accepter une proposition de rupture conventionnelle de son contrat de travail ;
Qu'en l'absence notamment de tout certificat médical et d'attestations de ses collègues de travail sur le comportement de son employeur durant le travail, avant la signature de la rupture conventionnelle, le salarié ne fait pas apparaître qu'il aurait été victime de pressions ou d'intimidations de la part de celui-ci, ayant conduit à un arrêt maladie du 14 mars 2013 au 5 juin 2013 ;
Qu'ainsi, M. B... I... n'établit en conclusion aucun fait précis laissant présumer qu'il aurait été victime de harcèlement moral, durant la période précédant la signature avec son employeur de la rupture conventionnelle de son contrat de travail, dont il sollicite aujourd'hui la nullité en raison du fait que son consentement aurait été vicié ;
Attendu que M. B... I... ne peut par ailleurs se prévaloir du fait qu'il n'aurait pas bénéficié d'un entretien préalable à la signature de la convention de rupture conventionnelle et qu'il aurait ainsi été privé par son employeur de la possibilité de négocier la fin de son contrat de travail ;
Que l'article L1237-12 du code du travail n'instaure en effet aucun délai, entre l'entretien au cours duquel les parties conviennent de la rupture conventionnelle et sa signature, si bien que celle-ci ne peut être déclarée nulle du seul fait qu'elle aurait été signée le jour même de cet entretien ;
Qu'en outre, ce texte ne prévoit non plus que l'employeur aurait personnellement l'obligation préalable d'informer le salarié sur « l'avantage qu'offre un licenciement économique en particulier le contrat de sécurisation professionnelle avec les garanties en découlant A>, afin notamment de l'éclairer sur son choix ;
Qu'en effet, M. B... I... ne conteste pas qu'il a été régulièrement informé de la possibilité d'être assisté par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise, qu'il s'agisse d'un salarié titulaire d'un mandat syndical ou membre d'une institution représentative du personnel, ou à défaut, par un conseiller choisi sur une liste dressée par l'autorité administrative, au cours de l'entretien précédant la signature de la rupture conventionnelle, afin notamment de lui permettre de recueillir les informations et avis nécessaires avant de prendre sa décision ;
Attendu que conformément à l'article 1116 du code civil, le salarié ne démontre pas également que la société Akzio aurait usé de manoeuvres frauduleuses, afin de le déterminer à signer l'accord de rupture conventionnelle, en date du 5 juin 2013, dont il sollicite également la nullité pour dol ;
Que sur la base uniquement d'une attestation de retraite complémentaire, M. B... I... ne rapporte pas en effet la preuve que son employeur ne l'aurait pas déclaré pour le calcul de base des salariés du régime général de la sécurité sociale, du 1er janvier au 13 juillet 2013, comme il est allégué ;
Qu'en tout état de cause, à supposer le manquement de l'employeur établi sur ce dernier point, celui-ci n'a aucune incidence sur la validité de la rupture conventionnelle, laquelle a en effet pour seul objet de régler les conséquences financières de la rupture du contrat de travail, par la fixation d'un commun accord entre les parties de l'indemnité de rupture, revenant au salarié ; -
Attendu que conformément à l'article L1237-13 du code du travail, M. B... I... ne peut enfin arguer du fait que l'exemplaire de la rupture conventionnelle qui lui a été remis par son employeur ne serait pas revêtu de la signature du représentant de la société Akzio pour en solliciter la nullité ;
Que nonobstant l'absence de la signature de l'employeur sur l'exemplaire de la rupture conventionnelle remis au salarié, celui-ci avait en effet toujours la possibilité d'exercer son droit de rétractation, dans un délai de quinze jours imparti, à compter de sa propre signature de ce document qui rappelle expressément l'existence de cette faculté ;
Qu'il n'est pas contesté de surcroît qu'à l'issue du délai de rétractation, l'employeur a adressé une demande d'homologation à l'autorité administrative d'un exemplaire de la convention de rupture, ce qui atteste formellement de son acceptation, et ce malgré l'absence de sa signature apposée sur l'exemplaire remis au salarié ;
Attendu qu'il convient dans ces circonstances de confirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a débouté M. B... I... de sa demande de nullité de la rupture conventionnelle établie le 5 juin 2013 avec la société Akzio ;
Que le salarié sera en conséquence débouté de ses demandes tendant à la fixation de sa créance au passif de la société Akzio des sommes correspondantes à l'indemnité de préavis, des congés payés sur ce dernier, ainsi que des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse » ;

ET AUX MOTIFS, A LES SUPPOSER ADOPTES, QUE : « Attendu qu'aux termes de l'article 9 du code de procédure civile, il appartient aux parties au procès de prouver les faits nécessaires au succès de leurs prétentions ;
Qu'en application de l'article 1134 du code civil, les obligations légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ;
Attendu que M. B... I... et la SARL Akzio ont signé, le 5 juin 2013, une convention de rupture du contrat de travail les liant ;
Que M. B... I... ne produit aucun élément de preuve démontrant que son consentement aurait été vicié par une erreur, un dol ou la violence ;
Que les articles L1237-11 à L1237-16 du code du travail, qui régissent la rupture conventionnelle des contrats de travail, ne prohibent le recours à ce type de convention que pour les ruptures résultant des accords collectifs de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ainsi que des plans de sauvegarde de l'emploi ; qu'en l'espèce, il n'est produit aucun élément faisant présumer que la rupture conventionnelle litigieuse aurait eu pour objet de contourner cette prohibition ;
Qu'en outre, les articles susmentionnés n'instituent aucun délai obligatoire entre la tenue du ou des entretiens au cours desquels les parties conviennent du principe de la rupture conventionnelle et la signature de la convention de rupture ;
Que, de surcroît, la partie demanderesse n'a pas cru devoir faire usage du droit de rétractation prévu à l'article L1237-13 du code du travail et rappelé sur l'exemplaire du contrat de rupture qu'elle a signé le 5 juin 2013 ;
Qu'il apparaît ainsi que la demande de requalification de la rupture conventionnelle en licenciement pour motif économique n'est pas fondée, la convention de rupture étant légalement formée » ;

1°/ ALORS QU'aux termes de l'article 1237-11 du code du travail, la rupture conventionnelle résulte d'une convention signée par les parties au contrat ; que la signature de la convention constitue une formalité substantielle à défaut de laquelle la convention est nécessairement annulée ; qu'en refusant d'annuler la convention litigieuse quand elle avait pourtant constaté que l'exemplaire remis au salarié n'était pas signé, la cour d'appel a violé l'article L1237-11 du code du travail ;

2°/ ALORS QUE l'absence de remise au salarié d'un exemplaire de la convention de rupture entraîne la nullité de la convention ; que la remise d'une convention de rupture non signée ne saurait valoir remise au salarié d'un exemplaire de la convention de rupture ; que dès lors, en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a derechef violé l'article L1237-11 du code du travail ;

3°/ ALORS QUE le délai de rétractation de la convention ne court qu'à compter de la signature de celle-ci par les deux parties ; qu'en refusant d'annuler la convention aux motifs que le salarié disposait de sa faculté de rétractation et qu'il ne l'avait pas exercée, quand ce délai n'avait pas couru puisque la convention n'était pas signée par les deux parties, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants et privé sa décision de base légale au regard des articles L1237-11 et L1237-13 du code du travail ;

4°/ ALORS QUE l'article 1237-14 du code du travail dispose qu'à l'issue du délai de rétractation, la partie la plus diligente adresse une demande d'homologation à l'autorité administrative, avec un exemplaire de la convention de rupture ; qu'une demande d'homologation effectuée alors que le délai de rétractation n'a pas expiré entache l'homologation d'irrégularité ; qu'en refusant d'annuler la convention aux motifs que celle-ci avait été homologuée à la demande de l'employeur quand une telle homologation, était irrégulière, dès lors qu'elle avait été réalisée alors que, faute de signature de l'employeur, le délai de rétractation n'avait pas encore couru, la cour d'appel a violé les articles L1237-11 et L1237-14 du code du travail.

5°/ ALORS QUE la convention de rupture n'est régulière que si celle-ci est régulièrement homologuée ; qu'en refusant d'annuler la convention quand, faute de remise au salarié d'un exemplaire signé, le délai de rétractation n'avait pas commencé à courir, de sorte que l'homologation, qui ne peut être demandée que postérieurement au délai de rétractation, ne pouvait avoir eu lieu régulièrement, la cour d'appel a derechef violé les articles L1237-11 et L1237-14 du code du travail.