Faute inexcusable : indemnisation de la victime

Les modalités d’indemnisation de la victime

Lorsque la faute inexcusable de l’employeur est caractérisée, l’indemnisation de la victime va être double.

D’une part, la victime va pouvoir prétendre au versement d’une majoration de rente qui sera calculée en tenant compte du taux d’incapacité et du salaire perçu par la victime pendant son activité professionnelle.

L’article L.452-2 du Code de la sécurité sociale précise les contours de cette indemnisation, à savoir que si une indemnité en capital est attribuée à la victime, alors le montant de la majoration ne peut dépasser le montant de cette indemnité. S’il s’agit d’une rente qui est attribuée, le montant de cette majoration sera fixé de manière à ce que la rente allouée ne puisse excéder, soit la fraction du salaire annuel correspondant à la réduction de capacité, soit le montant de ce salaire en cas d’incapacité totale.

Le salaire annuel et la majoration seront soumis à la revalorisation prévue pour les rentes – (L.434-17 du Code de la sécurité sociale).

D’autre part, la victime pourra prétendre à une indemnisation complémentaire qui concernera la réparation des souffrances physiques et morales, les préjudices esthétiques et d’agrément, ainsi que le préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle – (L.452-1 du Code de la sécurité sociale et L.452-3 du Code de la sécurité sociale).

 

L’indemnisation en pratique

Une décision du Conseil Constitutionnel est venue préciser que l’indemnisation complémentaire concerne la réparation de tout autre préjudice qui n’est pas spécifiquement réparé par l’indemnisation de base de la sécurité sociale – (  Décision QPC du Conseil Constitutionnelle du 18 juin 2010 n°2010-8). Il peut s’agir par exemple de l’assistance d’une tierce personne compte tenu de la maladie ou l’accident, ou encore l’aménagement d’un logement eu égard au handicap.

Ainsi, sont notamment considérés comme déjà indemnisés au titre de l’indemnisation de base de la sécurité sociale, les préjudices suivants : les frais de déplacement, les dépenses en lien avec une expertise technique, les dépenses de santé actuelles et futures, ou encore des dépenses ayant trait à de l’appareillage.

A l’inverse, la victime pourra demander une indemnisation distincte au titre des préjudices suivants : un préjudice professionnel, un préjudice d’agrément, un préjudice esthétique, un préjudice sexuel, un préjudice d’anxiété, les souffrances physiques ou morales, le préjudice d’établissement ou encore un déficit fonctionnel permanent.

En pratique, le Tribunal désigne un expert qui sera chargé de réaliser une expertise médicale judiciaire, permettant ainsi d’évaluer les préjudices subis. Le rapport qui sera établi par l’expert permettra à la victime de pouvoir chiffrer les sommes qu’elle entend réclamer au titre de l’indemnisation de ses préjudices.

 

L’indemnisation du préjudice d’agrément

Le préjudice d’agrément se définit comme l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité sportive spécifique ou de loisirs depuis son accident – (  Cass. Civ. 2ème, 4 avril 2012, n°11-15.393 ; Cass. Civ. 2ème, 28 février 2013, n°11-21.015 ; Cass. Civ. 2ème, 7 mai 2014, n°12-23.962).

Pour prétendre à une telle indemnisation, la victime devra justifier d’une activité sportive ou de loisir qui soit antérieure à la maladie ou l’accident.

Pour illustration, la Cour de cassation a retenu que le préjudice d’agrément était constitué en se basant sur une attestation de l’épouse de la victime qui expliquait que celle-ci ne pouvait plus effectuer ses activités de bricolage, de pétanque et de tir à l’arc, compte tenu de sa maladie – (  Cass. Civ 2ème, 19 janvier 2017, n°15-29.437).

 

L’indemnisation de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle

Pour que la victime soit indemnisée au titre de ce préjudice, il conviendra de rapporter des preuves permettant d’établir que les chances de la victime à ce sujet avaient un caractère sérieux et certain, et n’étaient pas seulement hypothétiques.

En la matière, les Juges du fond disposeront d’un pouvoir souverain d’appréciation.

A l’inverse, l’indemnisation de ce préjudice a été refusée s’agissant d’une victime qui était âgée de 19 ans, ne disposait d’aucune qualification, avait échoué à examen de CAP, et ne prévoyait aucune formation qualifiante. Cet arrêt avait également souligné que l’évolution de carrière espérée, au travers notamment d’une embauche dans l’entreprise employant sa mère, était purement hypothétique – (  Cass. Civ. 2ème, 19 décembre 2013, n°12-28.025).

Il en est de même pour un travailleur saisonnier qui ne rapportait pas la preuve que son contrat de travail serait renouvelé ou encore qu’il était susceptible d’évoluer au sein de l’entreprise. La Cour de cassation a considéré qu’il ne pouvait invoquer une perte de promotion professionnelle – (  Cass. Civ. 2ème, 10 mai 2012, n°11-13.381).

Une décision du même type a été rendue concernant un étudiant qui ne possédait ni diplôme, ni formation professionnelle et ne travaillait pas. Il n’était donc pas en mesure de justifier d’une éventuelle chance de promotion professionnelle – (  Cass. Civ. 2ème, 30 juin 2011, n°10-22.768).

Enfin, la jurisprudence est venue préciser que le préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle doit être distinguée du préjudice résultant du déclassement professionnel, qui est déjà compensé par l’attribution de la rente majorée – (  Cass. Civ. 2ème, 1er juillet 2010, n°08-13.155).

 

L’indemnisation du préjudice d’établissement

Le préjudice d’établissement désigne la perte d’espoir et de chance normale de concrétiser un projet de vie familiale, et ce compte tenu de la gravité du handicap subi.

L’appréciation de ce préjudice et son chiffrage seront notamment fonction de l’âge de la victime.

En tout état de cause, le préjudice d’établissement est bien distinct du préjudice d’agrément et du préjudice sexuel.

 

Le principe de l’indemnisation du déficit fonctionnel permanent

S’agissant de l’indemnisation du déficit fonctionnel, la jurisprudence a opéré un revirement de jurisprudence en 2023. En effet, elle a récemment retenu que la rente d’incapacité ne répare pas le déficit fonctionnel permanent – (  Ass. Plén., 20 janvier 2023, n°20-23.673 et 21-23.947).

Dans cet arrêt, la Cour de cassation est venue rappeler que dans le cadre de la faute inexcusable, la victime va percevoir une rente qui correspond à son salaire annuel, multiplié par le taux d’incapacité. Un tel calcul ne tient donc pas compte des éventuels préjudices extrapatrimoniaux.

Ce revirement a donc pour effet de faciliter l’indemnisation de la victime s’agissant de ses souffrances physiques endurées. En effet, en pratique, il était souvent difficile pour les victimes de prouver que la rente n’indemnisait pas déjà les souffrances physiques et morales endurées au titre du déficit fonctionnel.

Ce revirement a d’ailleurs été confirmé dans une décision récente expliquant que la victime peut prétendre à la réparation d’un déficit fonctionnel permanent, que la rente ou l’indemnité en capital n’ont pas pour objet d’indemniser – (  Cass. Civ. 2ème, 16 mai 2024, n°22-23.314).

 

Les modalités d’indemnisation du déficit fonctionnel permanent

Concernant l’évaluation de ce préjudice, il est possible de se référer à ce qui est prévu dans la nomenclature DINTILHAC à ce sujet.

Selon cette dernière, il s’agit d’un préjudice extra-patrimonial qui découle d’une incapacité constatée médicalement qui établit que le dommage subi par la victime a une incidence sur les fonctions du corps humain. L‘objectif en l’espèce sera de réparer les incidents uniquement en lien avec la sphère personnelle de la victime, à savoir les atteintes aux fonctions physiologiques, la douleur permanente, la perte de la qualité de vie et les troubles dans les conditions d’existence du quotidien.

Plusieurs composantes vont donc être intégrées afin d’évaluer le déficit fonctionnel permanent.

Néanmoins, des précisions un peu plus détaillées sont attendues afin de définir davantage les contours de l’indemnisation de ce préjudice. La jurisprudence à ce sujet sera très importante afin de définir plus précisément les modalités d’indemnisation.

 

Les enjeux de l’indemnisation du déficit fonctionnel permanent

Au regard de cette jurisprudence relativement récente, l’indemnisation du déficit fonctionnel permanent sera désormais accessible et facilitée pour les victimes concernées. En effet, il ne sera plus nécessaire pour la victime de justifier que la rente prévue par le Code de la sécurité sociale ne répare pas le déficit fonctionnel permanent.

Dans ce contexte, le montant des réparations qui va être dû par l’employeur à la victime compte tenu d’une faute inexcusable devrait augmenter.

Dans ces conditions, si le principe de la souscription d’une assurance permettant de couvrir les conséquences financières pouvant être lourdes suite à la reconnaissance d’une faute inexcusable de l’employeur était déjà reconnu, cela s’avère désormais plus que nécessaire afin de sécuriser financièrement l’employeur.

 

L’indemnisation du préjudice esthétique

Le préjudice esthétique correspond à une atteinte à l’apparence de la victime.

Selon la jurisprudence, la victime peut solliciter une indemnisation au titre de son préjudice esthétique temporaire. Celui-ci doit être distingué du préjudice esthétique permanent.

Ce préjudice devra être évalué en considération de son existence, et ce avant consolidation – (  Cass. Civ. 2ème, 7 mai 2014, n°13-16.204).

 

L’indemnisation du préjudice sexuel

Le préjudice sexuel a été clairement défini par la jurisprudence. Il s’agit d’un préjudice personnel à caractère permanent, qui doit être distingué du déficit fonctionnel permanent et du préjudice d’agrément – (  Cass. Civ. 2ème, 4 avril 2012, n°11.14-311 et n°11-14.594). Le préjudice sexuel constitue donc un préjudice distinct et autonome depuis 2012. Celui-ci devra donc être étudié lors d’une expertise.

Selon la jurisprudence, le préjudice sexuel comprend l’ensemble des préjudices touchant à la sphère sexuelle – (  Cass. Civ. 2ème, 4 avril 2019, n°18-13.704).

Trois postes de préjudices vont pouvoir ici être appréciés, à savoir :

  • Une impossibilité ou une difficulté pour procréer,
  • Une atteinte aux organes sexuels primaires et secondaires,
  • Un préjudice en lien avec l’acte sexuel lui-même, tel que la perte de libido, de la capacité à ressentir du plaisir ou encore une difficulté pour accomplir l’acte sexuel. On parle dans ce dernier cas de préjudice positionnel. Ce dernier préjudice a d’ailleurs déjà été reconnu par la jurisprudence s’agissant d’une simple gêne positionnelle – (  Cass. Civ. 2ème, 4 avril 2019, n°18-13.704).

Malgré une définition précise du préjudice sexuel, celui-ci est peu pris en compte et indemnisé. Ce préjudice fait essentiellement l’objet d’une indemnisation en cas de difficulté ou d’impossibilité à procréer ou d’une atteinte aux organes sexuels.

 

L’indemnisation des autres préjudices « accessoires »

Les préjudices subis par la victime et susceptibles de réparation sont variés. Ainsi, en sus de ceux déjà exposés, on peut citer :

  • Les frais afférents à l’assistance d’un médecin conseil lors de l’expertise médicale – (  Cass. Civ. 2ème, 12 février 2015, n°13-17.677).
  • Le préjudice qui résulte d’un refus d’assurance concernant un prêt immobilier que le salarié victime souhaitait souscrire – (  Cass. Civ. 2ème, 11 octobre 2018, n°17-23.312).
  • Un préjudice universitaire compte tenu des modifications successives d’orientation nécessités par le handicap du salarié victime – (  Cass. Civ. 2ème, 18 mai 2017, n°16-11.190).

 

Me Mélanie Le Corre

par
Avocat au Barreau de Paris
Expert en droit du travail
MLC Avocat

Fascicule mis à jour le 28 août 2024.

Tous droits réservés.

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